Depuis le premier Noël, dans l’humble crèche de Bethléem, le mystère caché de la Sainte Enfance du Christ n’a cessé de se déployer et de se révéler. C’est, sans doute, en particulier, grâce à l’ordre de la Bienheureuse Vierge Marie du Mont-Carmel, qui en a été le précieux gardien et l’ambassadeur. Il en reçoit le dépôt dès ses origines, en Terre sainte, où selon la tradition, Marie serait allée, avec l’Enfant-Jésus, sur le mont Carmel – situé à seulement 26 km de Nazareth ! –, rendre visite aux vénérables ermites qui vivaient sur cette sainte montagne. Ces ancêtres des carmes vivaient comme en Avent, dans l’ardente espérance de la venue du Sauveur et de sa Mère immaculée, dont le prophète Élie, leur père fondateur, avait reçu l’annonce, 900 ans plus tôt, au même endroit. Cette tradition s’est transmise oralement au sein des carmels depuis 2000 ans. Sainte Thérèse d’Avila (1515-1582) – Thérèse de Jésus, en religion – baignée dans cette dévotion, et ayant elle-même bénéficié d’une vision de cet Enfant – dans son monastère de l’Incarnation, à Avila – l’a propagée, à travers sa grande réforme de l’ordre, apportant une statue de l’Enfant-Jésus lors de chaque fondation d’un nouveau monastère.
L’Enfant-Jésus porté en procession
« La nuit de Noël, Thérèse de Jésus, Jean de la Croix, et même la grave Anne de Jésus [bras droit de Thérèse d’Avila et fondatrice du Carmel en France, ndlr] dansaient dans l’exubérance de leur amour en tenant dans leurs bras une statue de l’Enfant-Jésus ! », rapporte une carmélite, ancrée dans cette longue tradition. Une joyeuse coutume qui perdure dans les carmels, la nuit de Noël : « La nuit sainte, l’Enfant-Jésus est porté en procession dans les cloîtres et les cellules de nos monastères, qui explosent de joyeux chants, dont certains composés par nos soins ! La divine Enfance occupe également nos oraisons » ajoute-t-elle.
Après la réforme du XVIe siècle, l’ordre sera le canal de cette dévotion à travers ses nombreuses fondations. À Prague, le carmel fondé, dans un contexte de guerre, sept ans plus tôt, connaît, en 1628, une grande misère. C’est alors qu’il reçoit une statue de l’Enfant-Jésus réputée miraculeuse, originaire d’Espagne.
« Je vous confie ce que j’ai de plus précieux. Vénérez bien l’Enfant-Jésus et rien désormais ne vous manquera », leur recommande la princesse Polyxène de Lobkowicz, en leur offrant son trésor. Très vite, parmi les Frères, le Père Cyrille de la Mère de Dieu vit cette dévotion avec un amour particulièrement fervent. C’est lui qui, à la suite d’un nouvel épisode de guerre, retrouve la petite statue, les mains brisées, en 1637, et en reçoit cette demande : « Aie pitié de moi et j’aurai pitié de toi. Rends-moi mes mains et je te rendrai la paix. Plus tu m’honoreras, plus je te favoriserai. » Le carme parvient, malgré la pauvreté, à faire réparer la statue. Peu à peu, la dévotion se répand dans la région et les pèlerins affluent du monde entier, jusqu’à aujourd’hui, avec un million de visiteurs par an.
25 000 pèlerins chaque année en Belgique
Depuis, de nombreux autres sanctuaires de l’Enfant-Jésus de Prague ont vu le jour dans le monde entier. Le dernier-né est le sanctuaire belge d’Horion-Hozémont. Inauguré par le nouveau curé de la paroisse, l’abbé Pierre Kokot, en 2011, il est consacré à la protection des familles et de la vie naissante. Une gageure, dans ce pays très déchristianisé : « Nous nageons complètement à contre-courant de la société belge ! », reconnaît tranquillement le recteur. Pourtant, déjà 25 000 pèlerins viennent y rencontrer l’Enfant-Jésus chaque année, dans ce lieu qui fait figure d’oasis au milieu d’un désert spirituel. « Nous proposons un pèlerinage tous les troisièmes samedis du mois. Les gens viennent demander la paix à l’Enfant-Jésus, qui l’avait promise à ceux qui l’honoreraient, au carmel de Prague, dans un contexte de guerre… Ils demandent aussi la grâce d’imiter sa vie cachée à Nazareth, dans la simplicité du quotidien. C’est une dévotion centrée sur le Christ », précise le recteur. Les pèlerins viennent également consacrer leurs enfants à l’Enfant-Jésus de Prague et recevoir une onction d’huile et des médailles bénies. Trois religieuses des Amantes de la Croix d’Hanoï se sont providentiellement installées au sanctuaire pour en soutenir le rapide développement. « Beaucoup de ceux qui arrivent ici ne sont pas du tout pratiquants ni même croyants. Ils viennent un peu en désespoir de cause. Pour certains, c’est l’occasion d’un début de chemin vers la foi. Garder l’église au milieu du village permet d’être un lieu d’évangélisation ! » Confessions, messes, demandes de baptême, mariages… Comme ailleurs, l’Enfant-Jésus attire par sa petitesse et ramène à lui. « Dans les sanctuaires, les gens se sentent plus libres pour recevoir les sacrements : cela en fait vraiment des portes d’entrée dans l’Église. » Chaque année, en mai, une grande procession de l’Enfant-Jésus est organisée dans le village, à l’occasion de la fête de… Notre-Dame du Mont Carmel, patronne secondaire de la paroisse !
De Prague à Beaune
Mais l’Enfant-Jésus de Prague n’est pas le seul à faire l’objet d’une profonde piété populaire. Au XVIIe siècle apparaît, dans le carmel de Beaune, une autre statue de l’Enfant-Dieu, sans lien avec celle de Prague, grâce à la vénérable Marguerite du Saint-Sacrement. Prenant le voile à 11 ans, en 1630, la jeune religieuse bénéficie de fréquentes visions de l’Enfant-Jésus. « Puise dans les trésors de mon enfance et rien ne te sera refusé », promet-il à celle qu’il appelle « ma petite épouse ». Il lui inspire une « horloge » pour méditer, à chaque heure du jour, sur une vertu de sa sainte enfance, pour les « faire connaître au monde », ainsi qu’une « petite couronne » des mystères des douze premières années de sa vie. Alors qu’elle pose la première pierre d’une chapelle consacrée à cette Sainte Enfance, la religieuse reçoit également une promesse : « Je remplirai de mes bénédictions tous ceux qui y honoreront mon enfance et qui y auront recours dans leurs besoins. » C’est en 1643 qu’est providentiellement offerte à la Sœur Marguerite une statue de l’Enfant-Jésus, vénérée sous le vocable de Roi de Grâce, qui favorise le culte.
En 2014, la chapelle a été érigée en sanctuaire diocésain de l’Enfant-Jésus, confié aux carmélites du même nom, venues de Pologne. « Outre les demandes concernant des enfants et des familles, c’est pour “la guérison des blessures intérieures” que les gens viennent prier, constate Sœur Huberta, supérieure de la communauté. Tous les jours, nous prions la “petite couronne” pour ces intentions et, chaque 24 du mois, nous fêtons la veillée de Noël ! » Pour la religieuse, c’est l’esprit d’enfance spirituelle que les pèlerins reçoivent en ce lieu, encore trop peu connu en France : « Ici, Jésus nous invite à imiter les vertus de sa Sainte Enfance. Il nous permet de nous approcher du Père, en passant par lui, pour retrouver notre identité d’enfant de Dieu. Courons, nous aussi, à la crèche, avec un cœur simple, comme les bergers : approchons-nous de lui qui s’est fait si petit pour nous rejoindre et qui nous dit de ne pas craindre notre petitesse ! »
Fidèle à la tradition carmélitaine, pendant l’Avent, une statue de l’Enfant-Jésus passe de cellule en cellule, permettant à chaque Sœur de vivre une journée de désert auprès de lui, avant d’être accompagnée, le soir « en procession par toute la communauté, avec des bougies, vers la cellule d’une autre sœur ! ».
Jésus, Roi d’amour
Outre la vénération des statues, la dévotion à l’Enfant-Jésus s’est également répandue chez les grands spirituels et à travers eux. En Normandie, à la fin du XIXe siècle, sainte Thérèse de Lisieux raconte ce qu’elle pensait, à 9 ans, désirant déjà entrer au couvent : «Je me demandai quel nom j’aurais au Carmel (…). Je pensai au Petit Jésus que j’aimais tant et je me disais : “Oh ! que je serais heureuse de m’appeler Thérèse de l’Enfant-Jésus !” » Elle développera par la suite sa célèbre « petite voie » de la spiritualité de l’enfance : abandon, confiance, petitesse… Au XXe siècle, Mère Yvonne-Aimée, future supérieure des augustines de la Miséricorde de Malestroit, reçoit, au début de sa vie mystique, en 1922, une vision de Jésus lui demandant de dire et faire dire cette invocation : « Jésus, Roi d’amour, j’ai confiance en ta miséricordieuse bonté. » Plus tard, pendant la Deuxième Guerre mondiale, elle dessine Jésus sous les traits d’un enfant, pour aider à la diffusion de cette prière : « Nous avons voulu représenter Jésus Enfant et Roi pour attirer plus facilement les âmes et leur donner espoir, expliquera-t-elle. Nous avons voulu rappeler que c’est par son divin Cœur, plein de miséricorde et d’amour pour l’humanité, que nous obtiendrons la paix du monde. » Sœur Odile, archiviste de la communauté, précise que c’est « d’après la mémoire des visions qu’elle a reçues de l’Enfant-Jésus qu’elle a peint ce tableau ». Aujourd’hui encore, les augustines diffusent la pieuse image aux malades de leur clinique et des soins palliatifs, où elle continue de faire grand bien.
Les bras de l’Enfant-Jésus enserrent le monde
Témoin de la soif spirituelle, l’afflux dans les sanctuaires de l’Enfant-Jésus croît dans le monde entier : Italie, Espagne, Salvador, Mexique, Philippines, Inde, Bolivie, Chili, Slovaquie… La liste fait le tour de la Terre, comme les bras de cet Enfant qui enserrent le monde de son amour… Sous les traits de cet Enfant, Jésus semble vouloir faire résonner de nouveau l’avertissement lancé à ses disciples de l’urgence de se convertir pour devenir « comme les petits enfants », sous peine de ne pas entrer « dans le royaume des Cieux » (Mt 18,3). Par la médiation de statues, d’images, de neuvaines, de prières diverses, et de tant de pieuses pratiques de dévotion à sa Sainte Enfance, il veut faire la conquête des cœurs, offrant ses innombrables grâces. Et veut sans doute, aujourd’hui, être utilisé comme instrument d’une réévangélisation, à travers le mystère insondable de son abaissement absolu dans une étable. Marie, Joseph, les bergers, les mages et les anges, sont les premiers à être tombés à genoux devant cet Enfant Roi. Et nous attendent.
Rome
Le Bambino Gesù
Au cœur de Rome, le sanctuaire de l’église médiévale Santa Maria in Aracœli vénère une statue du Bambino Gesù, datant du XVe siècle, volée en 1994. Sa tradition remonte à l’empereur Auguste, qui aurait eu la vision d’une vierge à l’Enfant, lui annonçant : « Cet Enfant est plus grand que toi. Élève-lui donc un autel. » Il aurait obéi. Par la suite, une abbaye byzantine a été érigée, au VIe siècle, sur les ruines du temple de Junon, baptisée Aracoeli, « autel du Ciel ». Le principal hôpital pédiatrique de Rome s’appelle le Bambino Gesù.