Rien ne semblait joué. On disait les catholiques américains d’origine latinos toujours hermétiques au discours musclé de Donald Trump en matière migratoire ou sociale. Tout comme on pensait qu’il avait perdu du crédit chez les blancs conservateurs, réfrigérés par ses atermoiements sur la question de l’avortement – apparemment confirmés par les confidences de son épouse Melania dans ses récents souvenirs – ou par le déballage de ses ébats avec l’actrice pornographique Stormy Daniels lors du procès qui s’est déroulé en mai dernier.
Vu de ce côté-ci de l’Atlantique, on pensait enfin que les propos chocs de certains de ses soutiens les plus en vue – comme Tucker Carlson, ex-figure de Fox News, affirmant au cours des derniers jours de la campagne avoir été mutilé par un démon, ou que les ouragans qui ont frappé le sud du pays étaient dus à l’avortement – étaient trop outranciers pour ne pas le démonétiser. Dans cette perspective, la publication sur le compte X – ex-Twitter – du candidat de la prière à saint Michel de Léon XIII pouvait apparaître comme une tentative de rattrapage in extremis.
Il n’en fut rien. Moins de 24 heures après son élection, plusieurs sondages analysés par Aleteia (06/11) montrent que Donald Trump a largement dominé cet électorat : selon une étude commandée par le Washington Post à la sortie des urnes, 56 % des catholiques américains ont voté pour lui, et 54 % selon Associated Press. Il s’agit d’une inflexion profonde par rapport aux scores de l’élection de 2020, où Joe Biden avait glané 52 % des voix catholiques. Manifestement, les outrances du candidat républicain, tout comme ses ambiguïtés, ne lui ont pas porté préjudice auprès d’électeurs allergiques à « la bêtise sophistiquée du wokisme », pour reprendre l’expression employée par Vincent Trémolet de Villers dans son éditorial d’Europe 1 (06/11).
Changements profonds
Cependant, tout n’est pas qu’affaire d’allergie ou de réaction éruptive. Ce vote est aussi l’indicateur de transformations profondes dans la nature même de cet électorat. « Alors que l’ancienne garde catholique démocrate avait par exemple adopté les combats pour le mariage homosexuel et le droit à l’avortement, les nouvelles voix fortes catholiques semblent adopter des positions plus conservatrices sur ces sujets, confortées en cela par l’épiscopat américain qui n’avait pas hésité à s’opposer frontalement à Joe Biden », observe ainsi Junno Arocho Esteves dans La Croix (06/11).
Conservatrices ou cohérentes ? Sur la question si clivante de l’avortement, par exemple, combien de temps les catholiques pouvaient-ils accepter de voir un président ouvertement catholique clamer son attachement à la communion dominicale, tout en rappelant son attachement sans faille à l’IVG ? 90 % des Américains opposés à l’avortement ont ainsi voté pour Donald Trump, comme le rapporte Catholic News Agency (06/11). Sur les questions migratoires, si présentes dans les préoccupations du pape François, les catholiques se sont en revanche révélés plus partagés. Néanmoins, ils ont largement suivi Donald Trump, puisque 57 % lui accordent du crédit sur ce dossier, contre 32 % pour Kamala Harris.
Mais au-delà des statistiques et des instantanés, cette évolution de l’électorat croyant ne traduit-elle pas aussi une restructuration profonde de la conscience chrétienne outre-Atlantique, portée par des auteurs à l’influence croissante, de Patrick Deneen à Sohrab Ahmari, dont les propos peuvent susciter le débat, mais qui incontestablement l’élèvent (cf. FC 3875) ?
Pour aller plus loin :
- Les catholiques américains à la reconquête du bien commun
- « L’Eucharistie est au cœur de notre identité catholique »
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- Vladimir Ghika : le contexte politique avant la guerre de 1914-1918
- A propos du projet de loi espagnol sur l’avortement