Qu'est-ce que le jansénisme ? - France Catholique
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Qu’est-ce que le jansénisme ?

Image :
Christ en Croix, copie par C. Tardieu (1829) d’un tableau de Philippe de Champaigne.

Qu’est-ce que le jansénisme ?

Le jansénisme s’inscrit dans les controverses sur la grâce qui ont traversé l’Église. En France, cette querelle théologique se doubla d’un conflit politique. Les éclaircissements de Simon Icard, chercheur en histoire de la théologie au CNRS.
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Qu’est-ce que le jansénisme ?

Simon Icard : Dans son Dictionnaire des idées reçues, Flaubert dit du jansénisme : « On ne sait pas ce que c’est, mais il est très chic d’en parler »… Pour y voir plus clair, il faut revenir à l’origine théologique du jansénisme, à savoir le livre de Jansénius intitulé Augustinus. Professeur d’Écriture sainte à l’université de Louvain, puis évêque d’Ypres, Jansénius voulait donner au pape le moyen de trancher les controverses sur la grâce qui secouaient l’Église catholique à cette époque. Pour cela, il voulait présenter la doctrine de la grâce de saint Augustin, qu’il identifiait intégralement à la foi chrétienne sur le sujet. En fait, il proposa une interprétation des écrits augustiniens, d’où il tira une doctrine spécifique.

Pour Jansénius, toute la controverse sur la grâce repose sur une question : quand la grâce de Dieu et le libre arbitre de l’homme coopèrent, qui domine l’autre ? Pour Jansénius, avant le péché originel, le libre arbitre d’Adam dominait la grâce : celle-ci lui était nécessaire pour persévérer dans le bien mais elle était soumise à son libre arbitre, à qui devaient être attribuées ses bonnes actions. Par conséquent, si Adam avait persévéré dans le bien, ses mérites auraient été purement humains. Il aurait pu s’en glorifier lui-même. Après le péché originel, ce rapport de domination s’est inversé : désormais, la grâce domine le libre arbitre des saints. C’est à la grâce que doivent être attribuées leurs bonnes actions et leur persévérance dans le bien. Leurs mérites sont purement divins. Ils doivent en rendre gloire à Dieu seul.
En somme, pour Jansénius, un mérite ne peut pas être à la fois divin et humain : il est soit l’un, soit l’autre. Comme de nombreux théologiens à son époque – et peut-être bien des chrétiens encore aujourd’hui – il pense l’action de Dieu et l’action de l’homme sur un modèle mécanique, où ce qui est accordé à Dieu est retiré à l’homme, et vice-versa.

On peine à imaginer aujourd’hui que de tels débats aient soulevé à l’époque tant de passions…

Les controverses sur la grâce ont déchiré la théologie catholique du milieu du XVIe siècle jusqu’au XVIIIe siècle. Elles portaient sur une question fondamentale pour la foi chrétienne : comment comprendre la coopération de deux libertés, celle de Dieu et celle de l’homme ? Or cette question était mal posée : on se demandait quelle était la part respective de Dieu et de l’homme. Tous les théologiens de cette époque avaient de grandes difficultés à penser une œuvre commune à Dieu et à l’homme qui soit totalement divine et totalement humaine. C’était le cas des thomistes, des molinistes – les disciples du jésuite Molina – comme des jansénistes.

La controverse était insoluble car les différentes théologies de la grâce qui s’affrontaient étaient insuffisamment fondées sur la christologie, c’est-à-dire la réflexion sur le mystère du Christ vrai Dieu et vrai homme. Si le Verbe incarné unit en sa personne la volonté divine et la volonté humaine, sans confusion ni séparation, si ses actes sont totalement divins et totalement humains, alors, dans les œuvres auxquelles concourent Dieu et les hommes, tout dépend de la grâce et tout dépend du libre arbitre.

Face à cette situation de blocage, le Saint-Siège s’est contenté d’affirmer que les différentes écoles théologiques avaient le droit d’enseigner leurs doctrines de la grâce, à condition de ne pas s’accuser mutuellement d’hérésie – une demande que personne n’a vraiment respectée !

Et le pape a condamné le jansénisme comme hérétique…

La seule prise de position romaine a été la condamnation d’erreurs chez des théologiens qui se disaient augustiniens : Baius, Jansénius, Quesnel, Scipione de Ricci. En 1653, Innocent X a notamment condamné cinq propositions attribuées à l’Augustinus. Toutefois, le Saint-Siège a toujours refusé de se prononcer sur la pertinence de la lecture de saint Augustin par Jansénius. De leur côté, les jansénistes ont toujours contesté que les propositions condamnées se trouvent dans l’Augustinus en un sens hérétique. Pour eux, condamner la doctrine de Jansénius revenait à condamner la doctrine de saint Augustin, qu’ils considéraient comme l’interprète par excellence de saint Paul.

En France, la querelle a pris aussi un tour très politique…

Dès ses origines, la théologie janséniste a eu des implications ecclésiologiques et politiques. D’une part, l’Augustinus soulevait une question sur l’autorité en matière de foi dans l’Église. Le discernement doctrinal revenait à Augustin et, en fin de compte, à l’érudit connaissant sa pensée, à savoir Jansénius lui-même. Cette conception du discernement magistériel et de l’autorité dans l’Église fut centrale dans l’opposition du Saint-Siège à l’Augustinus, en plus des questions proprement théologiques.

D’autre part, en France, il y avait une forte prévention contre l’Augustinus, avant toute considération théologique. Sujet du roi d’Espagne, contre qui la France était en guerre, Jansénius avait écrit un pamphlet contre la monarchie française. Son ami et principal défenseur, l’abbé de Saint-Cyran, était en prison sur ordre de Richelieu. Ensuite, Louis XIV s’opposa au jansénisme, sans doute poussé par ses confesseurs jésuites, mais aussi pour des raisons politiques : à ses yeux, l’unité du royaume allait de pair avec l’unité de la foi. De plus, la proximité d’anciens frondeurs avec le mouvement de Port-Royal, qui était la face visible du jansénisme en France, n’était pas pour lui plaire. Au XVIIIe siècle, certains jansénistes étaient ralliés à la contestation de la monarchie absolue. Cependant, il est difficile de trouver une unité politique au mouvement janséniste. Il était, me semble-t-il, plutôt structuré par la volonté de défendre les vérités de la foi, dont les jansénistes estimaient qu’elles étaient attaquées au cœur même de l’Église. 

Les jansénistes n’ont jamais admis leur condamnation, tout en proclamant leur appartenance à l’Église catholique. N’est-ce pas paradoxal ?

Les jansénistes étaient persuadés d’être les disciples authentiques de saint Augustin, donc les vrais défenseurs de la foi chrétienne. Ils croyaient en l’obscurcissement général de la vérité dans l’Église à l’approche de la fin des temps : plus l’Église s’éloigne de son origine et s’approche de la fin du monde, plus elle intègre en son sein le combat de la vérité et de l’erreur. Selon cette doctrine, Dieu assure la perpétuité de la foi en lui suscitant des défenseurs prêts à être persécutés, y compris par la hiérarchie de l’Église. Il leur revient de souffrir pour maintenir la vraie foi dans l’Église, malgré l’obscurité qui la recouvre, jusqu’au dernier jour. En ce sens, le jansénisme n’est pas seulement une théologie de la grâce : il est aussi un mouvement apocalyptique.

Le Jansénisme, Simon Icard, Les éditions du Cerf, 2024, 168 pages, 22 €.