Inscrite au fronton des édifices publics, la liberté semble être la valeur cardinale et presque unique des sociétés contemporaines. Dans sa promotion, on n’hésite pas à l’opposer à l’obscurantisme supposé des temps anciens, comme si l’homme moderne s’était enfin affranchi des carcans qui entravaient sa sacro-sainte liberté.
La liberté consiste-t-elle à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ?
Dans l’imaginaire d’aujourd’hui en effet, être libre, c’est faire ce que l’on veut. Cette conception somme toute récente – elle s’enracine dans la pensée des Lumières, au XVIIIe siècle – est au fondement de l’organisation de nos sociétés, dont le modèle entend accorder à chacun le droit d’user de sa liberté comme il le veut, tant qu’il n’empiète pas sur celle de son voisin. « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui », professe la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (article 4). De l’application de cette définition découlent individualisme et mépris du droit naturel, deux maux qui grèvent aujourd’hui profondément nos communautés. Osons deux réflexions iconoclastes, qui permettront de proposer une nouvelle définition de la liberté.
Loi naturelle
Placée au-dessus de tout, la liberté en vient ainsi à supplanter la notion même de bien, qui devrait se trouver au principe de la réflexion morale : l’action humaine est par nature orientée vers le bien – « ce que tous désirent » (saint Thomas d’Aquin). Une vraie liberté ne peut être pensée sans son orientation vers le bien, seule fin capable d’attirer et de combler le désir de l’homme. Or la réflexion sur le bien – et le mal – conduit nécessairement à se demander s’il existe dans le monde, et en nous, quelque bien objectif et absolu, autrement dit s’il existe une règle du bien et du mal imprimée en quelque sorte dans l’être des choses. Cette « loi naturelle, écrivait Jean-Paul II dans l’encyclique Veritatis splendor (1993), n’est rien d’autre que la lumière de l’intelligence, infusée en nous par Dieu [pour] pouvoir distinguer le bien du mal ». Dans sa grande encyclique morale, le pape polonais appelait ainsi à restaurer « le lien essentiel entre vérité-bien-liberté », dénonçant le drame d’une liberté « déracinée de toute objectivité », relativisme qui revient à un « manque de confiance dans la sagesse de Dieu », « en ne croyant plus que la Loi de Dieu soit toujours l’unique vrai bien de l’homme ».
Qu’est-ce que la vérité ?
Ajoutons qu’une véritable définition de la liberté ne doit pas se contenter de nommer ses effets – « faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » – mais considérer d’abord sa nature. Pour saint Thomas d’Aquin, la liberté est une propriété de la volonté de l’homme, également appelée « libre-arbitre », faculté de l’âme qui lui permet de se déterminer à agir. La volonté est dite libre lorsqu’elle peut se déterminer sans contrainte à la lumière de la raison : lorsqu’il se demande si les anges sont des êtres libres, le Docteur conclut d’ailleurs que, puisqu’ils sont intelligents, les esprits purs sont également dotés de liberté.
Résumons-nous : 1) puisqu’elle est la propriété de la volonté qui s’oriente sans contrainte sous la lumière de l’intelligence, et 2) puisque la volonté est cette faculté de l’âme qui détermine l’agir humain en répondant à son attirance fondamentale pour le bien, alors 3) la liberté n’est pas autre chose que la capacité de l’homme à faire le bien. La véritable liberté ne consiste pas à faire ce que l’on veut, mais à faire ce qui est bien, sans être entravé.
La liberté du oui
Lorsqu’un enfant grandit, on dit souvent qu’il passe, autour de sa deuxième ou troisième année, par l’âge du « non ». Bien qu’il semble alors affirmer sa prétention à faire « ce qu’il veut », et surtout pas ce que l’on veut pour lui, on ne prétend pourtant pas encore le considérer comme un être libre – et on lui donne tout de même sa soupe, son médicament, son vaccin… C’est vers les 7 ans que l’on reconnaît traditionnellement l’apparition de la liberté : « l’âge de raison ».
C’est précisément l’âge des plus jeunes saints vénérés aujourd’hui par l’Église – à l’heure actuelle, la cadette des saints canonisés est Jacinta Marto (9 ans et demi), de Fatima. Or cet âge n’est plus celui du « non », mais celui où l’enfant peut enfin dire par lui-même un vrai « oui », dont il soit capable d’assumer la portée et les conséquences. La trajectoire fulgurante et lumineuse des plus précoces parmi les saints – et des autres : Anne de Guigné, Antonietta Meo, Anne-Gabrielle Caron, Jeanne-Marie Kegelin… – nous enseigne ainsi sur la vraie liberté, qui n’est pas celle du « non » mais celle du « oui », dit en pleine lumière.
Cette liberté éclatante et radieuse transparaît peut-être mieux encore chez ces jeunes amis de Dieu, renouvelés dès leurs premiers jours dans les eaux du baptême et dont la grâce primitive n’eut pas le temps d’être ternie par la continuelle résurgence du « vieil homme » : les mauvaises habitudes, les tendances coupables, le respect humain et les concessions à l’esprit du monde. C’est donc aussi à eux que nous pouvons demander d’être renouvelés dans un esprit de véritable liberté, non pas celle qui dit « non » aux appels de la grâce pour courir après la vanité du monde, mais celle qui dit « oui » au plan de Dieu pour entrer dans sa joie. La véritable liberté, celle des saints, s’écrit « fiat » avec Marie : « Qu’il me soit fait selon votre parole ».
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