« Quels que soient les progrès de la médecine, les attitudes au regard des limites de la vie dépendront toujours d’une certaine idée de l’homme et de la valeur de sa vie. » En une phrase, l’écrivain Robert Boudet posait, dès 1968, les termes d’un problème qui n’a jamais cessé d’occuper France Catholique depuis que les sciences ont offert à l’homme un contrôle accru sur la vie. Cet intérêt, il en résume la raison dans l’article dont nous publions ci-contre un extrait : l’amour.
Si France Catholique a toujours prévenu ses lecteurs contre la contraception, l’avortement, l’euthanasie, c’est que l’Église ne peut abandonner l’homme et la femme à des excès qui dégraderaient l’amour qui les unit, et que Dieu porte à ses créatures. Car l’un ne peut aller sans l’autre, l’homme sans Dieu, le naturel sans le surnaturel. Pour comprendre le message de l’Église, il faut « s’exhausser jusqu’au dessein de Dieu » pour « se déprendre d’une vision rompue, terre d’un côté, ciel de l’autre, corps d’un côté, âme de l’autre », souligne Luc Baresta dans un article intitulé « Non à la dégradation de l’amour » (2 août 1968).
L’auteur y présente Humanæe vitæ, l’encyclique de saint Paul VI sur le mariage et la régulation des naissances, dans un style souple et lumineux. L’Église considère l’homme « dans la totalité et l’unité de sa nature créée et rachetée ». La vision catholique de l’amour puise à « sa source suprême, c’est-à-dire en Dieu. Cette source de l’amour est aussi celle de son appel à la fécondité ; dans cette lumière, les époux s’unissent en vue d’un mutuel perfectionnement pour collaborer avec Dieu à la génération et à l’éducation de nouvelles vies ».
« Mentalité contraceptive »
C’est pourquoi l’Église ne peut dire autre chose que ce qu’elle dit : la loi morale, qui n’est que la mise en forme de cet amour divin, ne peut pas être modifiée. « L’Église en est seulement la dépositaire et l’interprète, sans pouvoir jamais déclarer licite une chose qui ne l’est pas. Aussi ne s’étonne-
t-elle pas d’être, à la ressemblance de son Fondateur, signe de contradiction. » La morale n’est pas évolutive, conclut le Père Stanislas de Lestapis dans un autre article consacré à cette encyclique.
France Catholique pressent que la contraception ouvrira la voie à l’avortement. Président des Associations familiales catholiques, Louis Reverdy s’inquiète des progrès d’une « mentalité contraceptive », dans un article sur la légalisation de la pilule (15 décembre 1967). « Tout se tient dans le respect et le combat pour l’homme, résume le cardinal Alexandre Renard, archevêque de Lyon. Une brèche n’ébranle-t-elle pas tout l’édifice ? De la contraception à l’avortement, puis à l’euthanasie, n’y a-t-il pas la peur de la vie et l’escalade de la mort ? » (17 janvier 1975).
Ce sujet, France Catholique n’a cessé de le traiter, y compris sous l’angle scientifique. Interrogé sur l’apparition de la vie, le Pr Jérôme Lejeune répond qu’on peut en dater précisément le commencement : « Il suit immédiatement la fécondation », de sorte qu’« un fœtus est un être humain » (20 novembre 1970). « Qu’importe la petitesse de l’œuf. Ne détient-il pas, matérialisés dans son intimité, toute l’information, tous les éléments qu’exige le développement de l’individu ? En vérité, l’œuf fécondé, c’est déjà l’homme, et l’homme tout entier », confirme le Pr Pierre-Paul Grassé, de l’Académie des sciences. Rappelant que « la dignité de l’homme ne varie pas au gré d’appréciations arbitraires », ce zoologiste renommé sonne l’alarme : « La libre pratique de l’avortement ouvre de nouvelles perspectives à un eugénisme dit scientifique, dont rêvent beaucoup de politiciens, de philosophes, de médecins […]. Aujourd’hui les fœtus, demain les anormaux jugés tels sur des critères qui seront fixés par des comités dominés par des doctrines politiques, puis viendra le tour des vieillards » (Vers des pratiques hitlériennes ?, 29 mars 1974).
En sommes-nous si loin ? « Toutes les précautions déjà probablement prévues et tous les attendus dans l’application de la loi seront d’une effrayante fragilité », prévoyait le Père Jean Montaurier avant l’adoption de la loi Veil (27 novembre 1974).
L’inscription de l’avortement dans la Constitution, le 8 mars 2024, puis les débats sur la fin de vie, interrompus par la dissolution, confirment la sombre prédiction de ce prêtre et romancier. « Après la contraception et l’avortement, la légalisation de l’euthanasie s’inscrit dans le programme de transformation sociétale des obédiences maçonniques qui ont toujours voulu contrôler la vie, de la naissance jusqu’à la mort », écrivions-nous encore le 24 mai 2024.
L’homme, image de Dieu
Plus qu’une transformation, une révolution. L’homme peut désormais « lutter contre la nature elle-même », constatait Jean Rostand dans une conférence commentée par Jean de Fabrègues. « Mais quelle pourra bien être la vérité existentielle de l’homme de demain qui pourra dire […] : j’ai été porté par une mère qui n’était pas la mienne… », se demande le biologiste. À quoi Jean de Fabrègues répondait : « Comment ne pas voir, Monsieur Rostand, que tout cela était prévisible dès lors que l’homme ne se tenait plus pour fils de Dieu, image de Dieu. […] Ce que le monde moderne attend des chrétiens, c’est au contraire qu’ils défendent contre cela le visage humain, la face humaine qui ne restera elle-même que si elle se retrouve liée à autre chose qu’aux sciences de la nature. Les vrais hommes de progrès sont ceux qui voient cela – et oseront le dire. » Intitulé « La science va-t-elle changer l’homme en l’an 2000 ? », cet article date… du 13 avril 1956.
Pour aller plus loin :
- Affaire Ulrich KOCH contre Allemagne : la Cour franchit une nouvelle étape dans la création d’un droit individuel au suicide assisté.
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- LA « MODERNITÉ » : UN CENTENAIRE OUBLIÉ
- La France et le cœur de Jésus et Marie
- Jean-Paul Hyvernat