D’un geste dynamique, Don Grégoire-Marie Daniault ouvre grand les portes de l’église Sainte-Geneviève de Garges-lès-Gonesse, dans le Val-d’Oise, au milieu des barres d’immeubles et à deux pas de la mosquée pakistanaise de la ville. « J’aime que l’on voie que l’église est ouverte », sourit le curé appartenant à la Communauté Saint-Martin et installé en 2022. Dans cette ville de 40 000 habitants, l’une des plus pauvres de France et à majorité musulmane, la foi catholique doit s’assumer si elle ne veut pas disparaître.
Un peu plus tôt, aux abords de l’église Saint-Martin, l’ambiance est plus feutrée. Il est 7 h 30 et la plupart des volets des maisons du quartier sont encore fermés. Dans l’église, le silence est seulement interrompu par les bruits des travaux de restauration de l’édifice. Imperturbables, les prêtres et le diacre de la paroisse sont installés pour une demi-heure d’oraison, bientôt suivie des laudes, puis de la messe. « Ce temps d’oraison est incontournable pour le prêtre, d’abord pour se mettre à l’écoute du Seigneur, mais également pour lui confier tout ce que l’on porte » explique Don Grégoire-Marie Daniault. Ensuite, place au ministère de prêtre en banlieue – catéchisme, patronage, préparation aux sacrements –, « réjouissant et exigeant, puisqu’il faut aller à l’essentiel » continue le curé.
« Aller à l’essentiel » signifie ici qu’il n’y a pas de place pour les « chicaneries », les querelles de clocher, pour la séparation entre « progressistes » et « tradis ». Les apports de la Communauté Saint-Martin, tels que le grégorien, le latin lors des laudes et autres offices, ou encore les messes ponctuellement célébrées « ad orientem », en sont un exemple frappant. « On s’adapte », explique avec sérénité Marie-Françoise, jeune sexagénaire et paroissienne de Garges-lès-Gonesse depuis trente ans, presque étonnée que cela puisse être l’objet d’une question. Pour elle, l’essentiel est ailleurs : « Les prêtres doivent être là pour la paix et pour faire vivre la paroisse », affirme-t-elle avec un sourire.
Incendie de la mairie
La paix est importante dans une ville marquée par la pauvreté et par les émeutes à la suite de la mort de Nahel, en juin 2023 – la mairie avait alors été incendiée. Marqués par une forte communautarisation, les habitants de Garges-lès-Gonesse apprécient ces prêtres qui s’assument, comme en témoignent les nombreuses marques de sympathie que Don Grégoire-Marie Daniault reçoit dans la rue, alors qu’il marche près de son église. Et même si leur soutane est parfois confondue avec un qamis – tunique principalement portée chez les musulmans –, les prêtres de la paroisse restent bien identifiés, avec ce que cela comporte d’avantages… et d’exigence : être prêts à répondre de leur foi, en toute situation. « Cela fait déjà trois fois qu’en allant chercher du pain, on est venu me voir pour essayer de me mettre en difficulté sur la Trinité… », sourit Don Maximilien Hardel, diacre de la paroisse.
À Garges-lès-Gonesse, la présence de l’islam se fait lourdement sentir. « Lorsque je me suis inscrite au catéchisme, puis ai demandé à faire ma première communion, on m’a demandé pourquoi je n’avais pas fait un choix plus simple en me convertissant à l’islam », se souvient Tyfenn, 20 ans, en service civique au patronage de la paroisse. La jeune femme, qui explique ne pas avoir honte de sa foi catholique et qui met en évidence la croix qu’elle porte autour du cou, reconnaît qu’il est « parfois dur » d’exprimer sa foi. Elle peut néanmoins compter sur le soutien que représente le fait d’être entourée par des personnes partageant sa conviction religieuse. « Quand on est en minorité, on ne voit pas forcément le dynamisme autour de soi, d’où l’importance de montrer aux catholiques qu’ils ne sont pas seuls », relève Don Grégoire-Marie Daniault.
Ferveur religieuse
Pour cela, le curé mise notamment sur les démonstrations de piété populaire, comme la procession de la Fête-Dieu. Cette année, deux cortèges ont traversé Garges-lès-Gonesse, à la plus grande joie des 500 fidèles présents ce jour-là. « La foi ne se vit pas seul dans sa maison », lance Stéphane, étudiant de 22 ans, qui a redécouvert la foi catholique à la fin de l’adolescence. Lui, qui se désole que les catholiques n’osent pas afficher plus clairement leur croyance, a les yeux qui brillent en évoquant le cortège suivant le Saint-Sacrement dans les rues de la ville. « Ces manifestations de foi populaire sont essentielles, car les fidèles réalisent alors qu’ils ne sont pas les derniers des Mohicans ! avance Don Grégoire-Marie Daniault. La vie de l’Église, avec son trésor de grâce dans les sacrements, ainsi que l’Évangile, est une richesse dont nous n’avons pas le droit de priver les pauvres. »
Une grande ferveur religieuse règne à Garges, qui n’échappe pas au mouvement qui s’observe dans toute la France : 28 catéchumènes, 30 confirmands – ils étaient trois il y a deux ans… « Nous sommes les plus heureux des prêtres », sourit Don Grégoire-Marie Daniault, soucieux de ne tirer aucun mérite de ces conversions, rappelant qu’il s’agit aussi du fruit des prêtres présents avant eux. « Évidemment, nous faisons face à la misère, aux blessures profondes… Mais ce dynamisme démontre qu’indubitablement, souffle l’Esprit Saint. »
À travers ce dynamisme, le curé de Garges-lès-Gonesse voit dans les banlieues « une force de réévangélisation, car ceux qui y habitent attendent qu’on leur parle de Jésus, comme si elles étaient prédisposées à recevoir le message de l’Évangile ». Et le prêtre de témoigner que les conversions ne sont pas des cas isolés, entraînant d’autres conversions autour d’elles, dans leurs milieux familiaux et amicaux, « tel le sillage d’un bateau ».
« Quand, lors d’une messe dominicale, s’est tenu un scrutin et que tous les catéchumènes de la paroisse se sont levés, c’était incroyable à voir », raconte Stéphane. Assis sur la terrasse du presbytère, où se tiennent les réunions du groupe « Cristeros » des 18-25 ans de la paroisse, le jeune homme confie observer des conversions autour de lui, poussées par la foi et par le désir « d’appartenance » à un groupe. Ce soir, les « Cristeros » partiront en week-end pour Reims, afin de découvrir notamment l’histoire chrétienne de la ville, sur les pas de Clovis qui y a été baptisé.
Donner à aimer la France
C’est encore un autre aspect du sacerdoce en banlieue : profiter des enseignements et autres activités paroissiales pour donner à aimer une France que certains responsables politiques et associatifs voudraient faire passer pour un « État raciste » à l’encontre des jeunes. « En tant que prêtre, l’éducation civique et culturelle n’est pas notre première mission, tient à mettre au clair Don Grégoire-Marie Daniault. En revanche, si l’on veut qu’ils s’en sortent, à nous de leur montrer l’héritage, notamment chrétien, de la France et de leur dire : “Le voici. Maintenant, à vous de jouer”. » En complément, la paroisse les accompagne également sur le plan de l’insertion professionnelle.
Assumer, encore et toujours. Avec leur identité claire, appuyée sur une foi populaire et une solide vie de prière, les prêtres de Garges-lès-Gonesse semblent avoir trouvé une formule qui remet l’église au milieu du village.