Pourquoi un tel acharnement contre les chrétiens ? - France Catholique
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Enfance : éduquer à la sainteté
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Pourquoi un tel acharnement contre les chrétiens ?

Dès l’origine, les chrétiens ont été opprimés et martyrisés. À toute époque et sous toutes les latitudes. Pour quelles raisons ? Les réponses de notre chroniqueur et philosophe, Frédéric Guillaud, auteur de Et si c’était vrai ? (éd. Marie de Nazareth).
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Au Nigeria, le pasteur Zachariah a retrouvé les corps calcinés de sa femme et de son fils dans la maison de son village, attaqué en mai 2023. © Portes ouvertes

Comment expliquer que les chrétiens soient l’objet de si nombreuses persécutions, alors que ce ne sont pas des « va-t-en-guerre », et qu’ils s’emploient à distinguer le temporel du spirituel ?

Frédéric Guillaud : C’est bien ce qu’on leur reproche ! Depuis toujours, les chrétiens, prenant la suite des Hébreux, refusent de diviniser le pouvoir temporel, refusent la divinisation de l’État. Autrement dit, ils reconnaissent une autorité supérieure à l’autorité terrestre : l’autorité spirituelle. Et, à la différence des musulmans, ils n’admettent pas la confusion des deux. C’est leur grande originalité, et cela leur vaut effectivement beaucoup d’ennuis. Ce refus, par les chrétiens, et avant eux par les juifs, de se confondre entièrement avec l’ordre politique, voilà qui a toujours mis en rogne les potentats. Qu’ils s’appellent Assuérus, Antiochus ou Néron, Danton, Lénine ou Mao, les tyrans auto-divinisés n’ont jamais supporté que l’on relativise leur toute-puissance, qu’on leur dénie le droit de remplacer la loi de Dieu par la leur.

Les chrétiens sont jugés mauvais citoyens…

Par les tyrans, oui ! Ce n’est pas que les chrétiens soient d’irréductibles rebelles. Simplement, ils obéissent sans adorer, sans se plier, sans s’incliner devant les statues dorées de tous les Kim-Jong-il de l’histoire. Et dans les cas litigieux, ils préfèrent obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. Rousseau, le doux Rousseau, qui inspirait les aimables humanistes qui décapitèrent les jeunes carmélites de Compiègne, mettait précisément le doigt sur ce point dans son Contrat social (IV, 8) : « Jésus vint établir sur la terre un royaume spirituel ; ce qui, séparant le système théologique du système politique, fit que l’État cessa d’être un, et causa des divisions intestines… Or cette idée nouvelle d’un royaume de l’autre monde n’ayant pu jamais entrer dans la tête des païens, ils regardèrent toujours les chrétiens comme de vrais rebelles qui, sous une hypocrite soumission, ne cherchaient que le moment de se rendre indépendants… Il a résulté de cette double puissance un perpétuel conflit de juridiction qui a rendu toute bonne politique impossible dans les États chrétiens, et l’on n’a jamais pu venir à bout de savoir auquel du maître ou du prêtre on était obligé d’obéir. » Les carmélites étaient ainsi soupçonnées, seules dans leurs cellules, de comploter avec le Ciel contre la vertueuse République. Mauvaises citoyennes !

Voyez-vous d’autres motifs à cette persécution « préférentielle » des chrétiens ?

Sans me lancer dans la psychanalyse, je dirai qu’une religion qui prône la douceur, le pardon des offenses et dont le Messie a accepté de mourir sur la Croix a tendance à déchaîner une vindicte délirante chez les violents. Les brutes aiment dérouiller le Petit Chose. La douceur n’attendrit pas le méchant, elle le rend fou de rage. Comment expliquer autrement que l’on condamne à mort une femme chrétienne qui a osé puiser un verre d’eau dans le puits d’un musulman ? C’est le loup et l’agneau.

Les chrétiens sont, en quelque sorte, des boucs-émissaires ?

En effet. Le massacre préférentiel du faible, de l’innocent accusé de crimes imaginaires, a quelque chose à voir avec le mécanisme pathologique du bouc-émissaire, qui permet de souder le groupe et de lui donner une assurance qu’il n’a pas au fond de lui. Cela étant dit, il ne faut pas trop s’en étonner, car le Christ en personne nous a prévenus : « S’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront aussi » (Jn 15, 20). « Vous serez haïs de tous, à cause de mon nom » (Mt 10, 22). Non seulement cela, mais le Sauveur nous dit que, lorsque cela arrive, il ne faut pas s’en désoler mais s’en réjouir : « Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des cieux est à eux ! Heureux serez-vous, lorsqu’on vous outragera, qu’on vous persécutera et qu’on dira faussement de vous toute sorte de mal, à cause de moi. Réjouissez-vous et soyez dans l’allégresse, parce que votre récompense sera grande dans les cieux ; car c’est ainsi qu’on a persécuté les prophètes qui ont été avant vous » (Mt 5, 10 sq).

Reste qu’il n’est pas facile d’accueillir sereinement les persécutions… Est-ce propre au christianisme ?

C’est un peu dur à avaler, mais c’est assez logique : le salut est venu par l’Homme-Dieu qui a tenu ferme sous la persécution en mourant pour la vérité, sans se dérober, pour nous montrer comment il faut être prêt à donner sa vie par charité. Or, être chrétien, c’est se tenir prêt à imiter Jésus-Christ, jusqu’à cette extrémité-là. Bref, si le christianisme, c’est l’imitation de Jésus-Christ, cela ne va pas sans la possibilité de la Croix. « Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il renonce à lui-même, qu’il se charge de sa croix, et qu’il me suive. Car celui qui voudra sauver sa vie la perdra, mais celui qui la perdra à cause de moi la sauvera » (Mt 16, 24). Pour réaliser ce programme, il faut bien dire que le christianisme a trouvé dans l’islam un exécutant « idéal », puisque Mahomet prône explicitement la persécution des « infidèles » ! Il mettait d’ailleurs la main à la pâte à l’occasion, en égorgeant lui-même les récalcitrants. Quant au martyre islamique, il ne consiste pas, comme le martyre chrétien, à mourir en pardonnant à son persécuteur, mais à mourir en tuant l’infidèle.

Mais faut-il se laisser faire, toujours « tendre l’autre joue » ? N’a-t-on pas le droit de se défendre ?

Si, on a le droit de se défendre ; on en a même parfois le devoir strict. Ici, il faut faire quelques distinctions. D’abord, il ne faut pas confondre le fait d’être victime et le fait d’être martyr. Le martyre est un acte volontaire, l’acte suprême de la vertu de courage, par laquelle un croyant accepte de souffrir le pire des maux physiques – la mort – plutôt que d’abjurer sa foi, ou de commettre un péché. Être assassiné lâchement par un anti-chrétien fanatique, c’est autre chose. C’est un malheur, ce n’est pas forcément un martyre.

Ensuite, il ne convient pas de rechercher le martyre, mais seulement de l’accepter quand il n’y a pas d’autre issue. « Il n’est pas louable, écrit saint Thomas d’Aquin, de rechercher le martyre, car cela paraît plutôt présomptueux et périlleux. On ne doit pas offrir à autrui l’occasion d’agir injustement ; mais si l’autre agit ainsi, on doit le supporter dans la mesure raisonnable » (Somme théologique II-II, 124, 1, ad 3m).

Mais doit-on se résoudre au martyre ?

Grosso modo, il y a deux cas : soit vous êtes en mesure de vous défendre – et surtout de protéger, y compris par la force, les petites communautés dont vous avez la charge –, alors la loi naturelle n’est pas abolie par la loi évangélique ; vous avez non seulement le droit de faire usage de la légitime défense, mais vous en avez le devoir. Pensons, parmi tant d’exemples, à la résistance des Vendéens en 1793, ou des Cristeros mexicains dans les années 1920… Soit vous êtes isolé, acculé, prisonnier, sans espoir d’action pour les vôtres et sommé de renier votre foi ou d’agir contre votre conscience ; alors, la virilité suprême, si la grâce nous en est donnée, c’est d’imiter celle de Jésus-Christ face au Sanhédrin, face à Pilate, face aux soldats.

Ne pas lâcher la vérité, quitte à le payer de sa vie, c’est l’acte de résistance ultime, qui rend fou le Père du Mensonge. C’est en imitant Jésus de cette façon-là que les victimes de l’injustice agissent, par le martyre, dans l’invisible, pour le salut du monde : « Ainsi donc, puisque les enfants participent au sang et à la chair, il y a également participé lui-même, afin que, par la mort, il anéantît celui qui a la puissance de la mort, c’est-à-dire le diable, et qu’il délivrât tous ceux qui, par crainte de la mort, étaient toute leur vie retenus dans la servitude » (He 2, 14-18).