Pourquoi le Christ est né à cette époque de l'histoire - France Catholique
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« Ô Marie conçue sans péché »
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Pourquoi le Christ est né à cette époque de l’histoire

Ce n’est pas un hasard si Dieu s’est fait homme au moment où les Romains avaient étendu leur Empire sur le monde connu.
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Vision de la Croix à Constantin le Grand, 1520-1524, Atelier de Raphaël, musées du Vatican, Rome.

Vision de la Croix à Constantin le Grand, 1520-1524, Atelier de Raphaël, musées du Vatican, Rome.

L’entrée dans l’Avent offre l’occasion, chaque année, de méditer sur les raisons qui ont pu porter la Providence à faire se produire l’Incarnation sous l’Empire romain, et pas à une autre époque. Question oiseuse, direz-vous peut-être, car comme disait Descartes, « nous ne sommes pas dans le conseil de Dieu ». Il n’est toutefois pas interdit d’y réfléchir à l’invitation de saint Paul, qui nous tend la perche dans l’épître aux Galates (4, 4), écrivant que Dieu a envoyé son Fils « quand les temps furent accomplis ». Accomplis ? Qu’est-ce à dire ? Que désigne cette «plenitudo temporum » évoquée par l’Apôtre ? La réponse la plus facile – façon de parler – consiste à dire qu’il s’agit de l’accomplissement des prophéties bibliques.

Annoncé par les prophètes

J’en relève ici deux, les principales : celle de Jacob sur son lit de mort, dans la Genèse (49, 10), qui prévoyait que « le sceptre ne s’éloignera(it) point de Juda, ni le bâton souverain d’entre ses pieds, jusqu’à ce que vienne celui qui doit être envoyé ». Or, les descendants de la tribu de Juda ont perdu le sceptre à l’avènement du roi Hérode, qui fut le premier souverain de Judée à n’être pas de la descendance d’une tribu d’Israël, mais de celle d’Esaü. C’est précisément sous son règne qu’est né Jésus de Nazareth. Ainsi le sceptre est-il bien resté dans les mains de Juda jusqu’au moment où Jésus fut envoyé.

Et la prophétie de Daniel (9, 21), qui prévoyait l’arrivée du Messie, ou plutôt son onction, « 69 semaines d’années », soit 483 ans, après le décret d’Artaxerxès autorisant la reconstruction du Temple
(en - 457) : ce qui nous amène à l’an 27 de notre ère, au moment du baptême de Jésus. Les païens eux-mêmes avaient eu vent de ces prophéties. Suétone (v. 70-v. 140) rapporte ainsi qu’« il régnait dans tout l’Orient une vieille tradition : les Destins avaient prédit que ceux qui viendraient de la Judée, à cette époque, seraient les maîtres du monde » (Vie de Vespasien, ch. 4).

Tout cela néanmoins ne répond pas à notre question. Car en admettant que la date de l’Incarnation corresponde à ce que prévoyaient les prophéties, il nous reste à comprendre pourquoi Dieu a choisi cette période de l’histoire humaine et pas une autre.

Pax Romana

Voici l’hypothèse que nous défendrons : le Christ est né en pleine Pax Romana, au sein de la plus grande construction politique de tous les temps, parce qu’elle était la plus propice à la réception et à la diffusion de la Bonne Nouvelle : « Le Fils de Dieu, disait Dante (1265-1321), a attendu cet état extraordinaire de la vie des mortels… cet état de paix mondiale dont nous ne trouverons pas d’exemple sinon sous le divin monarque Auguste, à l’époque de la monarchie parfaite » (De Monarchia, I, 16). « Que le genre humain ait alors été heureux dans la quiétude d’une paix universelle, tous les historiens et les poètes illustres ont jugé digne d’en porter témoignage ; Paul, enfin, appela cet état très heureux la plénitude des temps. » En d’autres termes, le monde était « mûr » pour la Révélation. Sur le plan matériel, il est bien évident que la densité et la sûreté des voies de communication, ainsi que l’existence d’une langue véhiculaire – le grec – étaient favorables à la diffusion de la Bonne Nouvelle. Mais surtout, sur le plan intellectuel et moral, l’unification du monde sous la loi romaine avait préparé les esprits à reconnaître l’existence du Dieu unique.

La philosophie stoïcienne, dominant à Rome, disposait les cœurs à la reconnaissance d’une fraternité universelle, puisqu’elle devait affirmer, quelque temps après la mort du Christ, sous les plumes d’Épictète (50-125 ou 130) et de Marc-Aurèle (121-180), l’identité fondamentale de l’empereur et de l’esclave sous le regard de la Providence. Ainsi semblait se dessiner une sorte de christianisme « en creux », une manière de « préparation évangélique », dont on trouvait déjà l’expression dans les œuvres de Cicéron (106-43 av. J.-C.) : « De tout ce qui est honnête, rien n’a plus d’éclat et ne s’étend plus loin que l’union des hommes avec leurs semblables ; cette société et cette communauté d’intérêts, cet amour de l’humanité – caritas generis humani –, amour qui naît avec la tendresse des pères pour leurs enfants, se développe dans les liens du mariage, au milieu des nœuds les plus sacrés, puis coule insensiblement au-dehors, s’étend aux parents, aux alliés, aux amis, aux relations de voisinage, grandit avec le titre de citoyen, se répand sur les nations alliées et attachées à la nôtre, enfin est consommé par l’union de tout le genre humain » (Des fins, V, 23). Quant au grand Sénèque (4 av. J.-C. – 65 ap. J.-C.), il allait jusqu’à recommander « de porter secours, même à nos ennemis, d’une main obligeante » (De la retraite du sage, XXIX).

Les deux péchés du stoïcien

L’Empire romain figurait en somme ce que la raison humaine pouvait accomplir de mieux par ses seules forces. Elle s’était haussée jusqu’à concevoir l’unité du genre humain et l’existence d’une loi morale universelle. Mais elle restait insatisfaite : la vieille mythologie, tombée en désuétude, ne lui disait plus rien, et la philosophie demeurait trop courte – sous-estimant tout à la fois notre grandeur et notre misère. Ignorant notre faiblesse, le stoïcien péchait par orgueil ; ignorant l’union à Dieu, il péchait aussi par désespoir. Le même Sénèque, si proche parfois du christianisme, affirmait en effet qu’il n’est pas d’autre vie que celle-ci et qu’il faut se tenir toujours prêt au suicide.

Dans l’angoisse, on attendait donc quelque chose. On espérait confusément un message du ciel, la révélation d’une destination plus haute, le commencement d’un nouvel âge. On connaît les vers fameux de Virgile (70-19 av. J.-C.), obscurs et saisissants : « Déjà du fond des âges, un grand ordre est en train de naître, déjà revient la Vierge et le règne de Saturne, déjà du haut du ciel nous descend un nouveau rejeton » (Bucoliques, IV).

Or, ce rejeton, ce n’était pas le fils de Saturne mais, chose inouïe, le Fils du Dieu d’Israël ! Les temps étaient accomplis : tout était prêt, le Sauveur pouvait entrer en scène. « Les pas des légions avaient marché pour lui, écrivait Péguy dans son Ève, Il allait hériter de l’école stoïque./Il allait hériter de l’héritier romain./Il allait hériter du laurier héroïque./Il allait hériter de tout l’effort humain. »