Si l’on remonte à sa racine grecque, le cimetière est « le lieu où l’on dort ». Le corps est confié à la terre comme le Christ en son tombeau. Est-on encore sensible à cette symbolique de l’inhumation, qui requiert humilité et espérance en la résurrection des corps ? Selon un sondage OpinionWay paru l’an dernier, près d’un Français sur deux (45 %) préférerait la crémation. 19 % choisiraient d’être enterrés dans une tombe, tandis qu’un bon tiers des personnes interrogées hésitent encore. Parmi les partisans de la crémation, 47 % se disent catholiques et 41 % « catholiques pratiquants ». C’est cependant parmi ces derniers que le choix de l’inhumation demeure le plus élevé (33 %).
Depuis 1963, l’Église n’interdit plus la crémation, qu’elle avait condamnée en 1886 quand elle était l’apanage des anticléricaux et des francs-maçons. Le Code de droit canon de 1983 y met cependant une réserve : « L’Église n’interdit pas l’incinération à moins que celle-ci n’ait été choisie pour des raisons contraires à la doctrine chrétienne. » Dans le même article du droit canon, elle recommande « vivement que soit conservée la pieuse coutume d’ensevelir les corps des défunts ».
Pourquoi donc la tombe reste-t-elle, par essence, un témoignage de foi chrétienne ? Pour le Frère Patrick Prétot, moine de l’abbaye de la Pierre-qui-Vire et professeur à l’Institut catholique de Paris (ICP), « la tombe est d’abord le lieu d’une expérience spirituelle – celle de la prière pour les morts qui n’est pas qu’une forme de charité à leur égard : elle est aussi la célébration de l’espérance chrétienne. Nous croyons que le Christ est ressuscité, “sinon notre foi est sans contenu”, clame saint Paul. La tombe est un mémorial pascal qui s’inscrit dans le souvenir du passé de la personne défunte et qui porte la promesse de la résurrection, parce que le Christ a vaincu la mort et nous appelle à vivre auprès de lui dans sa gloire ». Souvenons-nous là encore de la parole de saint Paul : « Car lui-même, le Seigneur, au signal donné par la voix de l’archange et la trompette de Dieu, descendra du Ciel et les morts qui sont dans le Christ ressusciteront » (1 Co 5-16).
Un lieu de mémoire double
C’est parce qu’ils considéraient la tombe comme un lieu de foi que les chrétiens combattirent très tôt la tradition païenne d’aller manger sur les tombeaux des défunts, et parfois des martyrs ! Au IVe siècle, saint Augustin reprochait vivement à sa sainte mère, Monique, de s’adonner à cette pratique. Celle-ci y renonça dès qu’elle apprit que le futur saint Ambroise, évêque de Milan, l’avait interdite. « Le christianisme n’a pas le culte des morts mais il fait mémoire des morts en croyant qu’ils sont en Dieu, appelés à ressusciter avec le Christ, ajoute le Frère Patrick Prétot. La présence de la Croix sur la pierre tombale est très importante pour voir le Ressuscité au-delà du Crucifié. »
La tombe est donc un lieu de mémoire double : on se souvient du défunt en s’y recueillant, mais « c’est aussi le lieu où nous découvrons que Dieu se souvient de nous, souligne le Frère Patrick Prétot. N’oublions jamais l’amour inconditionnel de Dieu pour sa créature, illustré par les paroles du Livre de la Sagesse : “Dieu n’a pas fait la mort, il ne se réjouit pas de voir mourir les êtres vivants. Il les a tous créés pour qu’ils subsistent” » (1, 13-15). D’où l’importance de l’inscription du nom sur la tombe. Il nous relie à nos prédécesseurs, puisque nous nous inscrivons dans une filiation, et dans la grande chaîne humaine qui unit les vivants et les morts.
Le Frère Patrick Prétot relève également qu’au-delà du nom, le prénom, reçu au baptême, « est la marque que Dieu nous appelle à vivre auprès de lui et qu’il n’oublie aucun de ses enfants ». C’est ce qu’évoque le verset du prophète Isaïe : « Moi, je ne t’oublierai pas. Voici, je t’ai gravé sur les paumes de mes mains » (Is 49, 15-16). Seuls certains cimetières monastiques comportent des tombes anonymes, traduisant ainsi le dépouillement total de la personne qui s’en remet à Dieu.
« La mort n’est pas une fin »
La multiplication des incinérations modifiera-t-elle la façon dont les hommes perçoivent le cimetière ? Ce lieu n’est plus guère l’endroit du dialogue entre les vivants et les morts depuis qu’il a été installé en lisière des agglomérations et non plus en leur sein, autour de l’église du village ou de celle du quartier d’une ville. Raison de plus pour que la tombe soit l’affirmation d’une foi chrétienne au-delà de la mort. L’artiste Augustin Frison-Roche s’interroge : « Pourquoi l’art funéraire a-t-il disparu des cimetières ? Plus encore que les églises qui se vident, je trouve que cela en dit long sur la déchristianisation de notre pays et la perte du sacré. Depuis des milliers d’années, l’humanité se préoccupe en premier lieu de construire des tombeaux et des temples. » Le peintre et sculpteur réalise un monument par an sur commande, en aimant se souvenir de « la tombe comme d’un lieu de rencontre avec la transcendance, où le Beau a toute sa place puisque la mort n’est pas une fin ».
Le Frère Patrick Prétot attire cependant l’attention sur le fait que la tombe chrétienne est bien plus qu’un mausolée : « C’est une confession de foi en la résurrection qui s’inscrit dans la tradition. Dans un monde de relations choisies avec des amis virtuels ou réels, nous risquons d’oublier que les humains sont tissés de relations reçues : celles de la famille ou celles que les défunts ont tissées avant nous. Or le lieu de la tombe est par essence le lieu où nous percevons que notre vie est reçue à travers nos prédécesseurs. »
À ce titre, le chrétien a le devoir d’être le gardien d’une mémoire vivante héritée des morts.