Pour gagner son Ciel, faut-il « être en règle » ? - France Catholique
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Le Liban chrétien
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Pour gagner son Ciel, faut-il « être en règle » ?

Promettre le Ciel comme une récompense, est-ce fausser la morale ?
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«Votre récompense sera grande dans les cieux » (Mt 5, 12), « Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense méritez-vous ? » (Mt 5, 46), « Au contraire, aimez vos ennemis, faites du bien et prêtez sans rien espérer en retour. Alors votre récompense sera grande… » (Lc 6, 35).

Les fréquents appels du Seigneur à chercher une récompense, tout comme les menaces de châtiment, pourraient nous mettre mal à l’aise. La vraie charité n’est-elle pas désintéressée ? Chercher une récompense, n’est-ce pas avoir une âme vile et mercenaire ? Comment concilier ces paroles du Maître avec l’esprit du don et son exigence de gratuité ?

Il est naturel de chercher une récompense

Dieu, pure bonté, a créé l’homme pour le bien. C’est pourquoi celui-ci est attiré fondamentalement par le bien car, à travers tout bien, il cherche Dieu. Et il n’y a rien d’égoïste à rechercher ce qui est bon pour nous : nous sommes faits pour cela ! Pourquoi serait-ce malsain pour un enfant de vouloir devenir adulte, ou pour une chenille de devenir papillon ? Dieu veut que l’homme atteigne sa plénitude et, pour cela, l’incite à faire le bien en lui promettant des récompenses. « Il appartient, écrit saint Thomas d’Aquin, à la Providence divine de présenter aux hommes des biens en récompense, pour que leur volonté se meuve dans la rectitude, et des maux comme peine, pour qu’elle évite le désordre. » Cela est conforme à notre psychologie, et il y aurait un certain orgueil à vouloir nous passer de l’idée de récompense.

Qu’est-ce qu’une récompense ?

Cependant, si la récompense est un moyen pour nous entraîner au bien, une motivation, un encouragement, elle peut également désigner la fin que nous recherchons. Ainsi comprise, la récompense serait le fait même d’atteindre notre but, le couronnement de l’action. « Est-ce un désir mercenaire pour Roméo de vouloir épouser Juliette ? Pour une équipe qui a travaillé dur d’aspirer à la victoire ? », s’interroge le philosophe catholique Peter Kreeft (1937), professeur au Boston College. Et il répond : « Certaines récompenses ne sont pas intéressées mais naturelles et justes. Elles ne sont pas artificiellement rattachées à l’activité qu’elles couronnent, comme une note à un examen, mais elles sont l’activité elle-même dans sa forme parfaite. Tel est le Ciel. Ce n’est pas quelque gratification accrochée à l’amour de Dieu ou du prochain, mais cet amour lui-même rendu parfait. »

Ce serait une vision enfantine de voir dans le Ciel une sorte de bonbon pour enfant sage. Le christianisme n’est pas une religion dans laquelle la récompense pour la piété aurait peu de rapports avec les actes posés. Dans laquelle, par exemple, Dieu maudirait celui qui boit du vin, tout en promettant des fontaines de vin et de miel, ou dans laquelle celui qui aurait vaillamment combattu pour Dieu recevrait des vierges en héritage.

La sainteté ne consiste donc pas à se tenir bien sage, à suivre une règle arbitraire, afin de recevoir la Béatitude comme un cadeau de Noël, mais à se préparer au Ciel. Il y aura une continuité entre ce que nous aimerons sur Terre et ce que nous aimerons au Ciel. Autrement dit, la récompense de celui qui aime de charité sera de pouvoir continuer à aimer, éternellement. De pouvoir aimer en plénitude, sans entraves et sans la plus pénible d’entre elles : le souci de soi.

Notre récompense, c’est Dieu, pas nous

Notre récompense est donc d’atteindre notre plus grand bien. Or, précisément, notre plus grand bien est d’aimer, de nous « réjouir de l’existence de l’autre », selon l’expression de l’Allemand Josef Pieper (1904-1997). Chercher notre bien, c’est donc paradoxalement nous détacher de nous-mêmes pour connaître et aimer Dieu, pour connaître et aimer les autres. C’est le contraire de l’égoïsme ; car l’égoïste ne cherche pas son véritable bien et ne se rend pas heureux.

« Pourquoi la sainteté est-elle requise pour que nous soyons admis au paradis ? » s’interrogeait le futur cardinal Newman, dans le tout premier des Sermons paroissiaux (1824). « Voici ma réponse : si quelqu’un entrait au Ciel sans la sainteté, il n’y serait pas heureux. » Le Ciel, poursuivait-il, n’est pas de faire tout à son gré. Au contraire, au Ciel nous ne ferons pas ce qui nous plaît, mais ce qui plaît à Dieu.
La préparation au Ciel ne consiste pas à conserver nos désirs tels quels, tout en mettant nos papiers en règle. Notre vie sur Terre est une purification de notre désir. C’est une œuvre de longue haleine, une lente et douloureuse dépossession de soi. Pour celui qui n’a pas un cœur pur, le Ciel ne serait pas supportable : « Un esprit insouciant, sensuel, incrédule, qui n’éprouverait ni la crainte ni l’amour de Dieu, qui n’aurait que des vues étroites et des objectifs mondains, un sens restreint du devoir, une conscience enténébrée, un esprit satisfait de lui-même, rebelle à la volonté de Dieu, aurait aussi peu de plaisir, au dernier jour, à entendre les mots “Entre dans la joie du Seigneur” qu’il en éprouve aujourd’hui à entendre l’injonction : “Prions” », écrit le cardinal Newman.

Le Ciel est la réalisation de nos meilleurs désirs, et ceux-ci ne sont pas vils et intéressés. Ce qu’avait saisi saint Thomas d’Aquin, avec son immense acuité spirituelle. Le Christ lui était apparu, dit-on, en lui demandant : « Tu as bien écrit de moi, Thomas. Que désires-tu comme récompense ? » et le saint avait fait cette sublime réponse : « Rien d’autre que vous, Seigneur. »