«Tout commence en mystique et finit en politique. » La fameuse phrase de Péguy décrit bien la dégradation de l’idéal politique, quel qu’il soit, en manœuvre politicienne et en démagogie. Difficile de ne pas y lire un commentaire de la situation actuelle, avec des combinaisons politiques improbables masquant une incohérence de fond.
Mais pour l’écrivain, ce processus provenait d’un déracinement plus profond encore, celui du monde moderne, et que l’on pourrait rapprocher de ce que disait le cardinal Pie, grand apôtre de la Royauté sociale du Christ, quelques décennies plus tôt : « Partout où Jésus-Christ n’exerce pas ce règne, il y a désordre et décadence. »
Le roi est nu
C’est donc qu’il faut changer de logiciel, car désormais, en 2024, le roi est nu. Comme l’a souligné l’historien Pierre Vermeren dans Le Figaro : « Comment, dans un pays qui a connu depuis 2018 une demi-douzaine d’insurrections d’ampleur nationale contre les politiques d’État, ignorer la souffrance et la radicalité croissante des classes populaires et moyennes appauvries, qui composent 80 % de l’électorat ? »
Mais cette insécurité n’est pas seulement économique, elle est aussi culturelle et existentielle. Ainsi, il n’est pas anodin que la campagne bretonne ait exprimé sa défiance à l’égard du pouvoir en place en votant RN lors des élections européennes. Dans ce territoire de vieille souche catholique, qui analysera l’impact négatif de lois sociétales contraires au Décalogue sur l’avortement ou l’euthanasie ? On se souvient de la déclaration de Jeanne-Françoise Hutin, veuve de l’ancien patron de Ouest-France, sur la fin de vie : « Si la loi passe, je rends ma Légion d’honneur. » De ce point de vue, les premiers échos du Nouveau Front populaire envisageant une remise en chantier de ce texte gelé par la dissolution ne sont guère rassurants…
Dans les mois à venir, face à la probable instabilité au Parlement, il sera donc encore plus nécessaire que les prélats retrouvent confiance en leur rôle éminemment politique, au sens le plus noble du terme. À cet égard, il faut relire le dialogue du 15 mars 1856 entre Mgr Pie et Napoléon III. L’évêque de Poitiers demandait à l’empereur que la royauté du Christ éclaire l’enseignement et règle les actions des gouvernements, en particulier à travers la Constitution. Face aux objections du Prince, le prélat rétorqua : « Quand de grands politiques comme votre Majesté m’objectent que le moment n’est pas venu, je n’ai qu’à m’incliner parce que je ne suis pas un grand politique. Mais je suis évêque, et comme évêque je leur réponds : « Le moment n’est pas venu pour Jésus-Christ de régner, eh bien ! alors le moment n’est pas venu pour les gouvernements de durer » ».
Le cardinal Pie comparait, déjà, la situation de la France à celle de l’épileptique dans l’Évangile, subissant des crises et des rechutes périodiques. La bonne réponse à apporter à cette crise est ainsi contenue dans cet échange des Écritures où le père de l’enfant s’écrie, face à l’interpellation de Jésus : « Je crois ! Viens au secours de mon manque de foi ! » La prière et la pénitence des hommes ont maintes fois dans l’histoire obtenu la miséricorde de Dieu pour avancer vers la vraie paix, celle qui transcende la fragilité et la versatilité des événements humains.