Pierre de Porcaro, prêtre sacrifié - France Catholique
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Le trésor des psaumes
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Pierre de Porcaro, prêtre sacrifié

Voici 80 ans, le 12 mars 1945, l’abbé Pierre de Porcaro s’éteignait dans la déréliction la plus complète, derrière les barbelés du camp de Dachau. Cette figure remarquable pourrait un jour rejoindre la cohorte des saints et bienheureux. France Catholique lui consacrera un numéro spécial.
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« Ein Laus, dein Tod. » Comme tous ses compagnons de misère, le Père de Porcaro avait certainement lu cet avertissement des autorités SS, affiché sur les murs du Konzentrationslager (KL) bavarois de Dachau. Quatre syllabes sèches comme les ordres aboyés à chaque instant par les gardiens et kapos du camp : « Un pou, ta mort. » Cynique avertissement d’une administration concentrationnaire, dont l’objectif ultime était de faire mourir tous les détenus après les avoir harassés par le travail. Mais comment le respecter lorsque la crasse des hardes, la promiscuité des châlits, l’absence de sanitaires, font du camp un terrain de chasse rêvé pour les parasites ? Le rasage intégral des têtes, des aisselles et des pubis, infligé aux déportés, qui subissent ensuite la brûlure insupportable du Crésyl rapidement badigeonné, ne ralentissent qu’à peine le pullulement des poux, dont les excréments sont porteurs de la bactérie du typhus.

Dans la « baraque des prêtres »

Alors que l’effondrement du Troisième Reich n’est plus qu’une question de semaines, de quelques mois au plus, l’abbé de Porcaro – comme tant de ses compagnons – est piqué. Âgé de 40 ans, il est arrivé à Dachau le 20 janvier 1945. Le matricule 138374 y a retrouvé des confrères dont certains sont là depuis 1938, dans les « Blocks » réservés par les SS aux ecclésiastiques, les fameuses « baraques des prêtres ». Les piqûres suscitent d’épouvantables démangeaisons et les anciens savent bien que les soulager est fatal : c’est par les plaies ainsi ouvertes que s’immisce la bactérie.

Arrivé à Dachau le 7 janvier 1945, l’abbé Robert Beauvais connaît le danger, lui qui croupissait auparavant à Buchenwald pour faits de résistance. Dans le froid mordant du camp, il ne cesse d’exhorter son camarade : « Pierre, ne te gratte pas ! » Mais Pierre s’est gratté. Il contracte le mal qui se répand dans son organisme affaibli. Terrassé par la fièvre, il reçoit les derniers sacrements, puis est conduit à l’« infirmerie » du camp, en fait un mouroir, où il s’éteint après douze jours d’agonie. Le crématoire, qui tourne à plein régime, a tôt fait de le faire disparaître. Seuls son ceinturon scout et son briquet, qu’il avait confiés au Père Beauvais, reprendront le chemin de la France.

Pierre de Porcaro fait partie des 2720 prêtres – dont une écrasante majorité de Polonais (1780) – qui ont été déportés dans ce camp qu’Himmler avait conçu, dès 1933, comme le prototype du système concentrationnaire. Son parcours est singulier. Issu d’une famille de la vieille noblesse bretonne, il entre au grand séminaire de Versailles en 1923, après être passé par le petit. Il est ordonné prêtre six ans plus tard, en 1929, par Mgr Roland-Gosselin, coadjuteur de Mgr Gibier, l’évêque de la ville royale.

Très rapidement, il va mettre son caractère dynamique au service des élèves du petit séminaire où il est nommé professeur. Il rejoindra ensuite la paroisse de Saint-Germain-en-Laye où il est nommé vicaire à la fin de l’année 1935. Marqué par le scoutisme et les patronages, c’est un entraîneur d’hommes né, même si son caractère parfois instable, contre lequel il mène un combat permanent, peut lui jouer des tours. « Il était plutôt pourvu – ou affligé, c’est comme vous voulez – d’un fort tempérament, que l’on pourrait même qualifier de volcanique ou de sanguin ; les choristes chantant sous sa direction et auteurs de fausses notes l’ont parfois appris à leurs dépens ! », sourit l’abbé Pierre Amar, qui signe le scénario d’une bande dessinée consacrée au personnage.

Prisonnier en 1940

Survient la guerre. Pierre de Porcaro, qui a fait son service militaire dans un régiment de chars de combat, est affecté dans un bataillon du génie, et rejoint la région des Vosges. C’est dans ce secteur que le surprend l’offensive allemande de 1940. Le 23 juin, alors qu’armés seulement de quelques fusils, ses camarades et lui avaient reçu pour ordre d’arrêter une colonne de blindés, il est fait prisonnier sur les hauteurs de Cornimont, à quelques encâblures du ballon d’Alsace. Détenu dans un « Stalag », il est libéré en août 1941 et regagne sa paroisse.

L’abbé de Porcaro reprend ses activités. L’occupation revêt une tonalité singulière à Saint-Germain-en-Laye, où le maréchal Von Rundstedt a établi le Grand Quartier général de l’armée allemande. Le 16 avril 1943, il reçoit une lettre décisive qui va sceller son destin : Mgr Roland-Gosselin lui demande de prendre le chemin de l’Allemagne pour y assurer une présence sacerdotale clandestine auprès des ouvriers du Service du travail obligatoire (STO). « Égoïstement, je préfèrerais rester ici. Oui égoïstement. En vérité, c’est un nouvel appel à la croix. Toute croix comporte ses grâces : s’il faut des grâces pour tenir, le Seigneur fera un miracle », écrit-il le soir même. Fiat. Le bouillant vicaire entre dans le mystère de l’oblation : « Oui mon Dieu, j’accepte avec toute la générosité possible, tout, y compris d’en mourir, de mourir sur une terre étrangère, loin de tout, loin de tous. Notre-Dame des Sept Douleurs, présentez mon offrande. »

Prêtre clandestin au STO

Son chemin l’emmène à Dresde dans une usine de carton ondulé. En bleu de travail, « Pierre » connaît les conditions de travail de tous les travailleurs, et profite de chaque instant pour assurer son ministère. Les autorités nazies ne tardent pas à avoir vent de l’existence d’un membre clandestin du clergé chez les ouvriers du STO, organisé depuis la France par Mgr Rodhain, futur fondateur du Secours catholique. Un décret de septembre 1943, signé par Ernst Kaltenbrunner, le chef du Reichsicherheitshauptamt (RSHA), intensifie la chasse aux aumôniers clandestins.

Le 11 septembre, probablement trahi par un mouchard, le Père de Porcaro est arrêté par les séides de la Gestapo, sans pouvoir exécuter la parade qu’avec humour il avait conçue : « Je me déguiserai en lapin, et ils pourront courir après moi ! » Il ne faudra pas plus de huit semaines à Dachau pour avoir raison du corps vigoureux de l’abbé de Porcaro. Le camp fut en revanche incapable de mettre à bas cette grande âme, qui avait confié à l’un de ses camarades de Dresde : « Dieu, qui fait les croix, fait aussi les épaules, et nul ne l’égale dans l’art des proportions. » 

Pierre de Porcaro. Prêtre clandestin volontaire, Venzac (illustrations), Pierre Amar (auteur), éd. Plein Vent, février 2025, 48 pages, 15,90 €.