Co-initiateur en 2013 du Courant pour une écologie humaine, Tugdual Derville publie un recueil de 67 recettes pour cultiver un bonheur authentique, ancré dans le réel et aimanté par l’absolu. Dans un monde pétri par la frénésie consumériste et l’individualisme asséchant, ce livre est un antidote aussi enthousiasmant… qu’exigeant.
Phénomène philosophique, médiatique, politique ou littéraire, la nostalgie du Bien Commun s’affiche désormais au grand jour, dans son acception sécularisée ou spirituelle. De Jean-Claude Michéa, qui n’a de cesse de défendre la « décence commune » formalisée par George Orwell, à l’abbé Guillaume de Tanoüarn qui appelle dans son dernier livre à la défense d’une foi commune « non confessionnelle », nombreux sont les penseurs qui voient dans ce concept la clé qui permettra d’échapper au piège de notre époque dont les deux mâchoires sont l’égoïsme narcissique et le communautarisme belligène. Tugdual Derville, fort de son expérience de l’accompagnement de l’extrême vulnérabilité (il a fondé l’association À Bras Ouverts en 1986) et de l’arène médiatico-politique où il défend inlassablement la vie (comme délégué général d’Alliance VITA), propose à son tour de quoi réhumaniser une société qui semble parvenir au bout de son modèle.
Pas de théorie complexe dans ces 67 recettes de bonheur, mais une approche volontairement simplifiée, accessible, et surtout traductible en actes concrets grâce aux pistes d’action systématiquement proposées par l’auteur à la fin de chacune des fiches. La démarche adoptée par Tugdual Derville se veut résolument constructive et pratique : le temps n’est plus à l’énumération des innombrables maux qui contribuent à la déshumanisation du monde. Comme le dit, dans la préface, Philippe Pozzo di Borgo, dont le parcours a inspiré l’immense succès que fut le film Intouchables : « Plutôt que de démonter un système dont les excès semblent conduire l’humanité à une mort certaine, Tugdual part de notre inspiration commune à reconstruire. » Ces recettes, qui s’adressent à tous, se fondent en effet sur ce beau pilier de l’anthropologie chrétienne, qui a tant inspiré les travaux de saint Thomas d’Aquin : l’attirance spontanée de l’homme vers le bien, sa défiance naturelle à l’encontre du mal. Certes, ces dispositions ont pu être dénaturées, mais elles n’en justifient pas moins une foi en l’homme dont témoigne l’auteur avec enthousiasme.
Que l’on se garde de réduire cet ouvrage à un sympathique manuel de développement personnel comme son titre, sa structure et même sa couverture pourraient nous le laisser croire. Dans certaines recettes, on retrouve le Tugdual Derville passionné par la beauté et la complexité de la nature, qui nous invite à l’observation, à l’écoute, au silence ou à l’émerveillement. Mais au-delà de ces rappels bienvenus, on trouve aussi des approches plus abrasives qui témoignent chez lui d’une connaissance de la nature humaine aussi pointue que lucide.
La recette n°13, intitulée « Pacifier les cœurs » invite ainsi à savoir identifier son « ennemi » pour convertir ensuite son ressentiment en amour. Mais, rappelle l’auteur, cet ennemi « peut parfaitement se trouver parmi ceux que nous désignons sincèrement comme ami ». Constat sans détour, cruel, qui ne manquera pas de résonner dans les consciences. Nourries, l’air de rien, au lait de Bernanos, Zundel, Harendt, Weil ou encore saint Augustin, les petites recettes de Tugdual Derville ne sont pas moins que des chemins de libération et d’humanisation offerts à tous. Avec la plus grande bienveillance.
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Tugdual Derville, 67 recettes du bonheur – L’écologie humaine en actions, préface de Philippe Pozzo di Borgo, éditions Emmanuel, 2018, 149 p., 15 euros.