Pascale Morinière : « Le lieu naturel d’engagement du chrétien est sa famille. » - France Catholique
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Pascale Morinière : « Le lieu naturel d’engagement du chrétien est sa famille. »

Engagée dans la promotion de la famille, et active sur le front des pauvretés, la Confédération nationale des Associations familiales catholiques, présidée par Pascale Morinière, est l’une des chevilles ouvrières du forum Viva.
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Quelle est l’ambition de ce premier forum Viva ?

Pascale Morinière : À l’origne, ce forum a été organisé par dix-sept associations qui travaillent ensemble depuis plusieurs années pour créer davantage d’unité sur des questions liées aux fragilités, à l’accueil de la vie, à la famille, avec cette intuition que c’est de l’unité que naît la fécondité. Nous ne pouvons pas nous résoudre à ce que la vie ne soit accueillie que lorsqu’elle ne dérange pas. La vie est toujours infiniment précieuse, même si elle est fragile. Nous nous engageons tous, les dix-sept associations, mais aussi les cinquante qui participeront au village des associations, pour une société du soin des plus fragiles, et nous affirmons même que c’est un chemin de bonheur et de paix pour les familles comme pour toute la société. Ce forum ne se contente pas de le dire, il s’en occupe très concrètement sur le modèle du « Bon Samaritain » qui prend soin de celui qui croise son chemin, quel qu’il soit.

Les associations d’inspiration chrétienne ont-elles un rôle plus important à jouer dans la société ?

Toute l’histoire de l’Église atteste que les chrétiens ont toujours été présents sur le front des « plus grandes pauvretés ». C’est l’Église qui, avant l’État, a inventé les hospices pour prendre soin des malades. C’est aussi l’Église qui a développé les écoles et l’Université, et a fait reculer ainsi l’ignorance.

Aujourd’hui, nos fronts des « plus grandes pauvretés » concernent la famille. On y projette de grands rêves de bonheur, d’épanouissement ou de sécurité mais la famille est devenue un espace de grande fragilité. En raison de la « liquidité » des liens entre les personnes, elle peut être le lieu du « jetable », selon le mot du pape François. L’augmentation des séparations conjugales, la montée de la solitude ou le nombre des IVG en attestent.

Les mouvements d’inspiration chrétienne que nous sommes ont une anthropologie et un art de vivre à la fois réaliste et ambitieux. Nous pouvons partager des savoir-faire et des savoir-être en matière d’accueil de la vie, de conjugalité, d’éducation, d’accompagnement du grand âge ou de la fin de vie.

Quels sont les lieux d’action où le chrétien peut apporter son savoir-faire de nos jours ?

Le premier lieu, le lieu naturel d’engagement du chrétien, est sa famille. C’est la première communauté où nous sommes confiés les uns aux autres. Il serait, par exemple, incohérent d’aligner les engagements mais de ne jamais visiter ses propres grands-parents ! Au-delà de sa famille, les chrétiens qui veulent s’engager n’ont que l’embarras du choix. Il y a du bien à faire de multiples manières pour être les gardiens de nos frères. Les 50 associations présentes à Viva seront toutes heureuses d’avoir davantage de bénévoles. Nous évoluons dans un monde complexe : le bénévolat n’est pas synonyme d’amateurisme. Être bénévole, c’est aussi être compétent et donc être formé. L’un ne va pas sans l’autre.

Les AFC sont fortes de 20 000 familles : avez-vous le sentiment d’être écoutée par le gouvernement sur le programme d’éducation à la sexualité en milieu scolaire ?

Nous avons été auditionnés au début du processus par le Conseil supérieur des programmes et avons constaté que certains de nos points d’insistance avaient été repris. Je pense à l’éducation à la pudeur ou à l’intimité, à la lutte contre la pornographie, par exemple. Nous n’avons pas été entendus sur d’autres sujets importants, mais nous n’en resterons pas là. L’arrivée de ce programme dans les écoles va susciter de forts remous. D’ici là, nous serons reçus au ministère de l’Éducation nationale, ce qui n’était pas arrivé depuis plusieurs années, et nous n’excluons pas un recours juridique pour défendre la primauté éducative des parents. Nous continuons à nous engager dans la formation des parents et des enfants avec le programme « Grandir et aimer » pour les CM1-CM2.

Que pensez-vous de la volonté de François Bayrou de scinder en deux le projet de loi sur la fin de vie avec, d’un côté, la priorité donnée aux soins palliatifs et, de l’autre, l’euthanasie ?

Ces deux textes arriveront le 12 mai à l’Assemblée et en juin au Sénat. Ils seront examinés en même temps sans être confondus. L’un, celui sur les soins palliatifs, relève d’un devoir d’humanité. L’autre relève d’un choix de société. Les distinguer permet de respecter pleinement la liberté de conscience des parlementaires. La ministre Catherine Vautrin s’en inquiétait d’ailleurs le 11 février dernier : « Avec deux textes, ceux qui ne veulent pas de la fin de vie voteront contre. » En effet… et bien heureusement ! Donner la mort n’est pas un soin.

L’étude de la Fondapol sur « Les non-dits économiques et sociaux du débat sur la fin de vie » contribue à faire prendre conscience que la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté a aussi un volet économique que les citoyens et les parlementaires devraient prendre au sérieux. Cette étude chiffre à plusieurs milliards d’euros les économies qui pourraient être réalisées chaque année en légalisant la mort administrée. Est-ce cette société-là dont nous voulons ?

Aux États-Unis, le président Trump tient ses engagements pour combattre le wokisme. Est-ce aux hommes politiques de pourfendre ce phénomène de déconstruction, ou les associations ont-elles un rôle à jouer ?

Le wokisme consiste à dénoncer des inégalités sociales de manière si excessive que les abus du passé donneraient des droits sans limites aux descendants des opprimés d’hier : personnes de couleur, femmes, personnes LGBT… jusqu’à créer une tyrannie des minorités. Le président Trump, élu en partie contre ces dérives, supprime les programmes « diversité, équité et inclusion ». Cette décision, comme sa déclaration sur les sexes – « Il n’y a que deux sexes, masculin et féminin » – sont un salutaire retour au bon sens.

Néanmoins, les contre-révolutions engendrent souvent des retours de balancier excessifs : un équilibre devra être retrouvé. Le mal-être de trop nombreuses personnes est le moteur du wokisme. Il ne sera pas, lui, résorbé par une simple décision présidentielle. Les associations, comme les AFC, ont un rôle important pour prendre soin au plus près de chacun. Leur action est différente de celle des politiques : elles travaillent moins dans l’urgence et peuvent approfondir les sujets, elles sont au plus près des personnes et jouent un rôle très utile de lanceuses d’alerte.

La natalité, en France, est en chute libre. Avez-vous des motifs d’espérance, et comment les AFC peuvent-elles agir ?

Les AFC se sont beaucoup engagées pour faire prendre conscience qu’à l’instar des autres pays européens, la France entrait dans un hiver démographique. Depuis 1974, nous sommes en dessous du seuil de renouvellement des générations. Nous avons beaucoup alerté : je pense aux États généraux de la natalité, organisés au collège des Bernardins en octobre 2022, par exemple. La prise de conscience est enfin faite, et c’est heureux. Néanmoins, la France n’est pas malthusienne : en 2023, les Français souhaitaient 2,27 enfants mais ne parvenaient à en accueillir que 1,68 et seulement 1,62 en 2024. Autrement dit, les Français ne parviennent pas à accueillir le nombre d’enfants qu’ils souhaitent.

L’étape suivante est de faire prendre conscience qu’un diagnostic précis doit être établi sur les freins qui pèsent sur l’accueil de l’enfant. Les pays qui ont fait ce travail et mis les bonnes mesures en place ont vu leur natalité augmenter. C’est le cas de l’Allemagne, de la Roumanie ou de la République tchèque, par exemple.

Je note que l’un des premiers à avoir alerté les pouvoirs publics est François Bayrou, alors Haut-Commissaire au Plan, en mai 2021. La ministre Catherine Vautrin a lancé un « plan démographique 2050 ». Le gouvernement prend enfin la mesure de cette question.

La natalité doit être soutenue pour répondre aux attentes des parents, pour assurer la pérennité de notre modèle social fondé sur la solidarité entre les générations, pour assurer notre dynamisme économique et notre poids géostratégique et, enfin, pour que notre pays se projette avec confiance et espérance vers l’avenir à bâtir pour les jeunes générations. 

La famille, où bat notre cœur, Pascale Morinière, éd. Cerf, mars 2025, 168 pages, 18 €.