Les derniers chiffres de l’Insee indiquent que le nombre des naissances a encore baissé l’an dernier. Comment expliquer cette chute de la natalité ?
Aziliz Le Corre : Les chiffres montrent un décrochage de la natalité depuis 2010, alors que l’État annonçait un ensemble de coupes dans les dépenses de politique familiale. Si les politiques publiques ont un effet concret sur les comportements, c’est aussi une mentalité qu’il faut interroger. La dislocation de la matrice catholique a favorisé l’éclatement de la société en communautés dont les systèmes de valeurs sont contradictoires, et l’exacerbation des désirs d’individus devenus purs consommateurs. La crainte en l’avenir et le manque de repères structurants dans une société « liquide » empêchent les jeunes générations de s’abandonner à l’aventure de la maternité et de la paternité.
Vous pointez du doigt une écologie mal comprise. L’écologie n’est donc pas un humanisme ?
Les militants « No kids » estiment qu’il faut cesser de procréer pour ne pas ajouter des pollueurs à ce monde. Ils voudraient sacrifier l’humanité sur l’autel de l’écologisme. Une écologie humaine n’oppose pas l’homme à la nature. Elle les intègre dans un même écosystème, de la plante jusqu’à l’homme, sans non plus les mettre sur un pied d’égalité. Cela ne nous donne pas le droit de nous faire « maître et possesseurs de la nature » (Descartes). Au contraire, nous devons entrer en relation avec l’ensemble du vivant, en reconnaissant que son maintien, mais aussi notre survie dépend de notre pouvoir.
Y a-t-il d’autres raisons que ces préoccupations écologiques : un individualisme exacerbé ? un matérialisme consumériste ?
Selon l’Ifop, 24 % des Français – et plus encore les jeunes – se disent influencés par le réchauffement climatique dans leur décision d’enfanter. Et 42 % des femmes de moins de 35 ans déclarent que la crise climatique pèse sur leur désir d’enfant. Néanmoins, les comportements de cette classe d’âge ne sont pas plus écologiques que ceux de leurs aînés. Selon une étude du Crédoc, en 2020, ils sont moins nombreux à trier leurs déchets, à acheter des légumes de saison ou à réduire leur consommation d’électricité ; ils montrent un goût certain pour le shopping, les équipements et pratiques numériques, les voyages en avion… En résumé, il leur est plus concevable de ne pas enfanter que de cesser de prendre l’avion ou de changer leurs habitudes alimentaires. Ce raisonnement démontre l’incapacité d’une partie de la population à renoncer à son confort de consommateur. Il faut pouvoir satisfaire le moindre de ses désirs, jouir sans entraves.
La baisse de la natalité commence dans les années 1960. L’égalité revendiquée au nom du féminisme a-t-elle débouché sur l’aliénation de la femme ?
Le féminisme a voulu faire des femmes des hommes comme les autres. Dès 1949, Simone de Beauvoir affirme, à propos de la femme, dans Le Deuxième Sexe : « Son malheur, c’est d’avoir été biologiquement vouée à répéter la vie. » Ce qui constitue la particularité du corps féminin, ses attributs maternels et nourriciers, est rejeté. L’enfant est un « parasite », un fardeau, qui empêche l’épanouissement de la femme, met un frein à sa carrière. Ce à quoi s’ajoute la pression du marché de l’emploi. La possibilité pour une femme de se consacrer pleinement à sa maternité est impossible, car il lui faut d’abord mener carrière. Le philosophe américain Christopher Lasch résume mieux que quiconque l’effet pervers de cette prétendue liberté de choix : « Le mouvement [des femmes] ne reconnaît en fait qu’un seul choix – la famille au sein de laquelle les adultes travaillent à temps plein dans le marché. »
La conception chrétienne ne dissocie pas la sexualité de la procréation. La rupture avec cette conception, qui imprègne le programme EVARS, explique-t-elle aussi cette chute ?
Oui, de même que la conception de la vie. Il nous faudrait désormais « consentir » à l’enfant. Il doit être désiré, programmé, projeté sinon sa vie n’a pas de valeur. Nous ne sommes plus de facto responsables de la vie qui vient, mais avons un droit de vie ou de mort sur celle-ci. Nous oublions que l’enfant est le fruit de l’amour qui unit l’homme et la femme, il en constitue le dépassement, bien plus encore que l’aboutissement.
L’idéologie du genre, le brouillage de l’identité sexuelle ont-ils joué un rôle ?
La mutation des aspirations individuelles ruisselle sur la conception du politique. Le politique ne poursuit plus l’idée de « société bonne ». Toute réforme dite « sociétale » vise ainsi principalement à satisfaire les désirs d’individus ou de groupes d’individus, constitués en communautés. Le transgenrisme est l’aboutissement d’une déconstruction à l’œuvre dans le féminisme existentialiste (voir Simone de Beauvoir). Cette déconstruction de la loi naturelle ruisselle sur celle de la famille. Sa composition, assortie aux évolutions techniques, se réorganise au gré des envies. Tandis que la PMA pour les femmes seules ou en couple consacre l’invisibilité des pères, la GPA pour les hommes – bien qu’interdite en France – réduit la mère à sa fonction gestatrice, niant les implications plurielles d’une grossesse. Dans l’avenir, alors que les transhumanistes œuvrent à la création d’utérus artificiels, nous pouvons nous-même nous interroger : naîtrons-nous toujours des femmes ?
Quels remèdes à cette crise ? Vous jugez nécessaire de réinvestir la beauté…
Pour avoir envie de peupler cette terre, déjà faut-il l’habiter. Or habiter le monde passe par un attachement poétique aux lieux. La beauté est un hommage que nous rendons à notre terre, à notre maison commune et à la manière dont nous l’habitons et la partageons. C’est pourquoi elle ne peut être simplement subjective. Il faut la réinvestir pour en faire l’un des principes de vie commune. Cela passe par un réinvestissement du foyer – « La maison est notre coin du monde. Elle est notre premier univers », écrit Bachelard – et par la préservation des paysages, de ce qui fonde notre culture, nos langues et notre affection pour nos terroirs, premières conditions de notre enracinement.
L’Enfant est l’avenir de l’homme. La réponse d’une mère au mouvement « No kids », Aziliz Le Corre, éd. Albin Michel, 2024, 256 pages, 19,90 €.
Pour aller plus loin :
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- Liste des ouvriers pastoraux, Evêques, Prêtres, Religieux, Religieuses et Laics tués en 2011 et 2010
- Quand le virtuel se rebelle contre le réel, l’irrationnel détruit l’humanité
- La France et le cœur de Jésus et Marie
- EXHORTATION APOSTOLIQUE POST-SYNODALE « AFRICAE MUNUS » DU PAPE BENOÎT XVI