Comment analysez-vous le malaise du monde agricole ? Est-il lié à une crise de sens ?
Thierry François : Tout est fait pour que l’agriculteur perde confiance en lui, en autrui et en sa propre terre. Pourquoi ? Parce que nos dirigeants, en France comme à Bruxelles, ont remplacé Dieu : ils veulent être maîtres de tout et tout régenter. C’est ainsi qu’on a encouragé des agriculteurs à se lancer dans le bio alors que la demande n’était pas suffisante. Résultat : les agriculteurs ont été obligés de repasser en conventionnel…
Plus surréaliste, on a désormais si peu de considération pour l’agriculteur qu’on met des directives partout. L’un de mes voisins vient d’être condamné à régler une amende au pénal car son tas de fumier était monté à 2, 70 mètres quand il ne doit pas dépasser 2, 50 mètres… Or tous les paysans savent qu’il se tasse au bout de quinze jours !
On ne regarde plus l’homme, on regarde la loi. On ne voit plus l’homme qui vend le produit, on ne voit plus que le produit. Nous, agriculteurs, demandons un droit à l’erreur. Nous travaillons sur du vivant, donc tout ne peut pas être parfait. J’aime l’idée émise par le philosophe Martin Steffens de considérer nos fermes comme des oasis, alors que l’humanité vit dans un désert où elle s’imagine que tout va bien.
Heureusement, il y a nos fermes pour dispenser de la lumière, du don, de la gratuité. Sans nos oasis, le monde ne tient plus.
Quelle « transition écologique » serait acceptable pour les agriculteurs, sachant que vous êtes attentifs à la Création ?
Il ne faut pas mettre d’angélisme dans la Création. Depuis le péché originel, l’homme doit travailler la terre à la sueur de son front. C’est un labeur. Par ailleurs, dans la nature, il n’y a pas que du bien : il y a les maladies, les épidémies qui touchent les animaux. Tout est combat pour faire croître la vie. La véritable écologie n’a pas de sens si l’agriculteur ne reconnaît pas humblement au quotidien qu’il n’est jamais maître de la situation. Être chrétien en travaillant la terre nécessite de tout abandonner à Dieu pour espérer une belle récolte. C’est le sens de nos prières.
Les Journées paysannes existent depuis plus de trente ans. À quels besoins répondent-elles ?
Les Journées paysannes résultent d’une réflexion des membres de la chambre d’agriculture de la Somme. Il y a trente-quatre ans se profilait déjà une énième réforme de la Politique agricole commune. Nous nous sommes dit alors : « Comment avoir une réflexion chrétienne sur ce qui nous arrive ? » Depuis, nous organisons aussi des pèlerinages, et je remarque la présence de nombreux jeunes qui se posent des questions sur le sens à donner aux métiers de la terre.