C’est ce qui ajoute au mystère de la Légion étrangère : ses traditions s’ancrent dans un temps immémorial. Nul ne saurait dire quand s’enracina dans ses rangs l’habitude de faire des crèches de Noël, associant dans une touchante effusion l’histoire de la Sainte Famille et celle de ses hommes. Sans doute « très vite après sa création en 1831 », avance le général Bruno Dary – l’un de ses anciens commandants. « Les Alsaciens et les Lorrains ont donné le ton dès la fin de la guerre de 1870 », précise le général Jean Maurin, dans Képi blanc.
Un témoignage de 1912 relate la célébration de Noël par le 2e Régiment étranger, alors basé à Fez (Maroc) après avoir servi en Algérie, en Crimée, au Mexique… « La veillée de Noël se passait autour d’une crèche vivante, comme c’était alors la tradition. Les draps, les chèches, les ceintures bleues constituaient l’essentiel des déguisements de la Sainte Famille et des bergers ; une poupée représentait l’Enfant-Jésus et parfois un bourricot ajoutait au réalisme du tableau […]. À minuit, les officiers venaient dans les chambres et la veillée commençait alors autour de la crèche avec ses chants, ses chœurs allemands, russes et espagnols. » Point d’excès ce soir-là : le réveillon se limitait à un quart de vin chaud.
Un prix très convoité
Quatre-vingts ans plus tard, le journal de marche de la 2e compagnie du 3e Régiment étranger de parachutistes, alors en Somalie, témoignait de la persistance de cette tradition. La sobriété du propos laisse affleurer l’émotion : « Déplacement de Baïdoa à Haddour, arrêt à 17 h 30 […], préparation du bivouac pour Noël. Messe à 20 h 30, remise des cadeaux, pot, sketches et dîner. La compagnie est rassemblée autour d’une petite crèche et d’un sapin de fortune… Humilité et chaleur d’un Noël sur la piste ! »
Après la guerre d’Algérie apparaîtra le concours. Bien que symbolique, le prix est très convoité au sein des compagnies : les lauréats en tirent une légitime fierté. Qu’ils s’entraînent dans la forêt guyanaise ou participent en ville à l’opération Sentinelle, les soldats rivalisent d’imagination pour confectionner la plus belle des crèches, dont l’Enfant-Jésus occupe évidemment le centre, mais qui raconte aussi la vie et l’histoire de leurs unités. Chaque section fait la sienne, au Fort de Nogent comme à Aubagne, à Nîmes comme à Calvi. Avec les moyens du bord quand les légionnaires sont en opération extérieure, mais sans jamais déroger à la tradition – qu’ils soient ou non chrétiens. Au fil des ans, selon les interventions de la Légion ou les anniversaires qui rythment son histoire, l’étable où naquit le Christ voisine avec la fusée Ariane, jouxte une caserne à Djibouti, s’installe sur les contreforts afghans ou près des cagnas qu’occupaient les poilus de la Grande Guerre – car la crèche est aussi l’occasion d’honorer la mémoire et le sacrifice des anciens.
Une fête de famille
Si les légionnaires sont si assidus à la célébration de Noël, c’est aussi que, pour ces hommes façonnés par l’épreuve, sans autre patrie que la Légion, deux mots s’attachent à l’avènement du divin Enfant : « famille » et « espérance ». Nul d’entre eux n’est laissé pour compte ce jour-là. La fraternité n’est pas un vain mot. Le lieutenant Martin a servi au Kosovo. Il y a fêté Noël en 2002 par - 25 °C : « Du chef de section au légionnaire, chacun s’est investi pour faire vivre la solidarité et la tradition qui nous unissent », se souvient-il.
Aumônier de la Légion et compagnon de la Libération, le Père Jean Hirlemann écrivait dans Képi blanc, en décembre 1947 : « Noël est à la Légion une fête de famille. C’est aussi, pour nous, la fête de l’Espérance. On vient à la Légion parce qu’on espère. Aussi, dans la monotonie des jours qui passent, Noël a sa place. Sa grande place. Courage ! Noël donne un sens à notre vie de légionnaire. »
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CNews diffusera le 24 décembre, à 18 h 30, la messe de la nuit de Noël de la Légion étrangère, à Carnoux-en-Provence.