C’est en 1877 qu’Augustine Fouillée-Tuillerie publia sous le pseudonyme de G. Bruno Le Tour de la France par deux enfants, un livre de lecture pour les élèves du cours moyen, soit entre 6 et 15 ans. Elle avait pris le pseudonyme de G. Bruno en hommage à Giordano Bruno, né en 1548 près de Naples à Nola et brûlé vif à Rome sur ordre du tribunal de l’Inquisition, le 17 février 1600.
Il semble que, pour elle, Giordano Bruno incarnait la liberté de penser. Ses œuvres sont pourtant très éloignées de la mentalité de son modèle, un dominicain que son orgueil fit errer de l’Église catholique à Genève – d’où Calvin le fit expulser –, à l’Église anglicane – qui le rejeta –, et jusqu’à l’université de Wittenberg – d’où Luther le fit à nouveau expulser. Bruno avait extrapolé les thèses de Copernic et de Galilée pour en tirer une philosophie qui récusait l’Incarnation, ridiculisait la personne de Marie, Mère du Christ, et enseignait la métempsychose et une forme de gnose, la philosophie étant réservée aux élites et la religion aux ignorants. Il se vantait de pratiquer et d’enseigner « l’art divinatoire » qui permettait de connaître l’avenir et de rentrer en contact avec les morts…
Amour de la France
On ne trouve rien de cet état d’esprit dans les œuvres qu’Augustine Fouillée publia sous ce nom. Il s’agit au contraire d’enseigner une morale sociale et civique et un amour de la France détachés de toute inspiration religieuse, préfigurant ainsi l’effort de la IIIe République de fonder une morale sans Dieu. J’ai le même respect que celui manifesté par Charles Péguy pour ces « hussards noirs de la République », qui s’incarnaient pour moi dans la personne de ma grand-mère maternelle, institutrice laïque et républicaine, napoléonienne mais non bonapartiste, qui me transmit un véritable amour des lettres et de la France. Mais nous sommes obligés de constater aujourd’hui que cette prétention de la IIIe République fut vaine et que sa morale, qu’on appelle aujourd’hui les « valeurs républicaines », s’est écroulée. Je constate d’ailleurs que, dans les bibliothèques informatiques – Google, Wikipédia –, ses livres se trouvent associés aux miens et notamment à La Nuit des rois, ce qui prouve que le temps a réuni ce qu’il ne fallait pas diviser et que, comme le disait Péguy : « Cette République a été notre royaume de France. »
Qu’est devenu, sous ces caricatures, le royaume de France ? C’est la question qu’on peut se poser aujourd’hui et c’est à cette question que le tour de France que nous nous proposons, mon épouse et moi d’accomplir, et de vous relater, veut répondre. Il s’agit donc d’une œuvre, non pas de deux enfants mais de deux grands-parents dont les regards et les constats se croisent sans forcément toujours se rencontrer. Il ne s’agit pas de prouver quoi que ce soit mais de chercher à voir ce qui est par une vision directe des êtres et des choses.
Une rencontre
Voir, écouter, comprendre seront les maîtres mots de cette enquête. La volonté d’Augustine Fouillée-Tuillerie était de faire connaître aux élèves de son temps ce qu’était une France qu’ils ne rencontreraient peut-être jamais, faute de pouvoir se déplacer. Aujourd’hui, l’abondance des voyages comme des reportages, la qualité des guides dispense de ce préalable. Il ne s’agira donc pas d’une réédition moderne du Guide Vert ou du Guide Bleu mais d’une rencontre.