En Europe, une femme sur quatre n’aura pas d’enfants. La faute à l’idéologie féministe ?
Ève Vaguerlant : Dès l’origine, le mouvement féministe a donné une définition de la femme libre particulièrement contestable car entièrement calquée sur l’homme, en postulant qu’une femme ne pouvait s’épanouir que dans le travail – et le travail salarié. Simone de Beauvoir qualifie ainsi de « parasite » la femme qui s’occupe de son foyer et de ses enfants ! Par ailleurs, on a fait des femmes des consommatrices en quête de bien-être. Conséquence : elles ont été éloignées le plus possible de la maternité, perçue comme un inconvénient dans le monde du travail et un frein à l’épanouissement personnel des femmes.
La confusion des genres est-elle l’aboutissement de la négation de la maternité ?
Oui, elle est une émanation de ce féminisme qui a milité pour l’indifférenciation totale entre l’homme et la femme et rejeté la caractéristique essentielle du féminin : la possibilité de porter la vie. Cette différence fondamentale a toujours été honnie des féministes car elle fait de la femme un être particulier, qui n’aura jamais la même existence qu’un homme. À force de vouloir déconstruire le féminin en le présentant comme un artifice culturel, on en est venu à nier ses caractéristiques biologiques. Le phénomène « trans », aujourd’hui dénoncé par certaines féministes, est en réalité le produit de leur propre idéologie, qui a toujours défendu un idéal féminin abstrait et désincarné, en niant la nature de la femme et en refusant la différence des sexes.
Cette haine de la maternité découle, selon vous, d’un rejet du christianisme…
Le christianisme a porté au plus haut la figure de la mère à travers l’image de la Vierge Marie. Et il définit la femme comme un être à la fois spirituel et charnel : c’est à travers elle que Dieu s’est incarné. À notre époque de rejet du christianisme, on voit resurgir des attitudes dignes des époques païennes – comme l’élimination des embryons surnuméraires, en particulier ceux qui portent un handicap, puisque « l’interruption médicale de grossesse » est permise jusqu’à la fin du neuvième mois, en cas de trisomie par exemple. Ou des hérésies comme le catharisme qui, au nom d’un idéal de pureté, rejetait le mariage et l’enfantement comme des souillures – ce que l’on retrouve aujourd’hui, d’une certaine manière, à travers une écologie extinctionniste, qui perçoit l’être humain comme une nuisance sur Terre et fait la promotion de la stérilité volontaire, ligature des trompes pour les femmes et vasectomie pour les hommes…
Quel a été l’apport du christianisme dans la protection des femmes et donc des mères ?
Le féminisme associe le christianisme au patriarcat, au prix d’un aveuglement assez fantastique. Dès les origines, les femmes ont été présentes aux côtés du Christ, comme le rappelle la figure de Marie Madeleine, et Jésus s’est interposé face à ceux qui voulaient lapider la femme adultère. Saint Paul a affirmé l’égalité complète de l’homme et de la femme devant Dieu en prêchant qu’il n’y avait plus « ni homme ni femme, ni esclaves ni hommes libres » car tous ne font « qu’un en Jésus Christ ». S’il déclare que la femme doit obéir à son mari, c’est pour ajouter aussitôt que celui-ci doit l’aimer en retour comme le Christ a aimé son Église, c’est-à-dire jusqu’à la mort. Par la suite, c’est le christianisme qui, dès les premiers siècles de notre ère, a libéré les femmes de la répudiation et de la polygamie. Le mariage chrétien est un don mutuel qui repose sur le consentement libre des époux. Si le féminisme est né en Occident, ce n’est pas parce que les femmes y étaient plus opprimées, mais parce qu’elles bénéficiaient déjà d’une liberté qu’on ne pouvait même pas imaginer dans d’autres sociétés marquées par l’enfermement de la femme, l’inégalité dans les héritages, l’excision, le mariage forcé, la polygamie, etc.
La presse féminine regorge de témoignages de mères regrettant d’avoir eu des enfants. Qu’en pensez-vous ?
J’y vois l’expression d’un individualisme exacerbé, qui prend l’enfant pour un instrument au service de l’épanouissement personnel. Une femme qui regrette d’être mère a le sentiment de n’avoir pas obtenu ce qu’elle avait projeté d’obtenir à travers cet enfant. Ce regret est le fruit de la culture du choix, l’enfant n’étant plus perçu comme un don puisqu’il résulte d’une décision personnelle. Si les parents veulent des enfants parfaits de leur point de vue, ils s’exposent à une déception d’autant plus grande que l’idéologie libertaire les empêche de leur donner le cadre dont ils ont besoin sur le plan familial et éducatif. Le résultat est qu’il y a de plus en plus d’enfants perturbés et perturbateurs.
Les femmes ne veulent plus être mères car elles ne veulent plus être épouses ?
L’individualisme et la « libération » sexuelle des années 1970 ont fragilisé la famille. Les hommes sont transformés en prédateurs potentiels pour des femmes devenues des objets de plaisir librement « accessibles » grâce à la contraception. La banalisation des divorces, à l’issue desquels les femmes doivent assumer seules la garde des enfants, est l’envers tragique d’une situation promue au départ comme une merveilleuse liberté. Les familles monoparentales sont parmi les ménages les plus précaires de France, et les délinquants en sont très souvent issus. Les femmes ayant perdu la sécurité du mariage, l’enfantement représente pour elles un énorme risque social. Elles préfèrent s’en détourner.
Pour redonner le goût de la maternité, vous dites qu’il faut s’affranchir d’une mentalité contraceptive…
Il faut en effet travailler à changer les mentalités en réaffirmant les valeurs fondamentales de notre société chrétienne. L’illusion de maîtrise de nos vies à travers les changements de sexe, la pratique massive de l’IVG, l’euthanasie, la marchandisation des enfants ne nous rendent pas plus heureux et se heurtent constamment aux limites imposées par notre nature humaine. Une politique nataliste doit accompagner et encourager cette évolution en permettant aux femmes qui souffrent de ne pas avoir autant d’enfants qu’elles le voudraient – le désir d’enfant étant de 2,4, pour une fécondité de 1,8 – de concilier le travail et la maternité et de se consacrer à leurs enfants comme elles le souhaitent.
L’Effacement des mères. Du féminisme à la haine de la maternité, Ève Vaguerlant, éd. L’Artilleur, 2024, 192 pages, 18 €.
Pour aller plus loin :
- Quand le virtuel se rebelle contre le réel, l’irrationnel détruit l’humanité
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- La paternité-maternité spirituelle en vie monastique est-elle menacée en Occident ?
- FRISSONS : OTZI DANS SON FRIGIDAIRE
- LA « MODERNITÉ » : UN CENTENAIRE OUBLIÉ