Marie Noël, la poétesse du cœur - France Catholique
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Noël : Dieu fait homme
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Marie Noël, la poétesse du cœur

Elle brûlait d’un feu sacré qui illumine une œuvre tout entière tournée vers Dieu.
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© Jean-Dominique Caron – CC by

À près de vingt-cinq ans de la fin du siècle dernier, soit le temps d’une génération, nous pouvons commencer à distinguer les monuments littéraires qui le dominent. En poésie, c’est la figure de Marie Noël qui s’impose. De son vrai nom Marie Rouget, elle est née et morte à Auxerre. Sa vie s’écoule entièrement dans cette ville de province entre la cathédrale et la vieille maison où elle est née, et ses bonnes œuvres. Mais, dans cette vie apparemment monotone, une flamme intérieure brûle d’un feu qui dévore son cœur et s’épanche tant en poésie qu’en prose, révélant des passions toutes dominées par une seule, qui est l’Amour.

« Le Rosaire des joies »

Les éditions Stock ont publié son œuvre poétique en un gros volume de près de 700 pages. Les Chansons et les Heures, Les Chants de la merci, La Dernière messe… Il faudrait tout citer, mais c’est impossible. La célèbre « Berceuse de la Mère-Dieu » (ci-dessous) a été publiée en 1931 dans Le Rosaire des joies. Ce Rosaire alterne la tragédie et le sourire, qui est le lot particulier de ceux qui ont gardé l’esprit d’enfance. « Image pour le jour des rois » est dédié à Robert Louis, qui a reçu le don d’enfance, se termine par cette prière :

Veuille ô Jésus, nous qu’ont raidis
Le temps passé, les ans partis,
Comme lui nous garder petits
Jusqu’aux portes du Paradis.


Un cœur mystique et déchiré

On comprend la fraternité d’âme qu’elle eut avec Gustave Thibon qui écrivait, de son côté, « tout ce qui n’est pas de l’éternité retrouvée est du temps perdu », et qui lui écrivait qu’ils ne se rencontreraient peut-être jamais mais qu’ils communiaient dans le même esprit.

Elle eut aussi une grande amitié spirituelle avec Anna de Noailles, dont la vie mondaine semble à l’opposé de la sienne. Une semblable amitié la lie à Colette, pourtant si différente mais, comme elle, bourguignonne. La romancière de la sensualité et la poétesse romantique des salons parisiens allaient chercher la sagesse auprès de celle dont le cœur mystique et déchiré savait dire, en chanson et en vers, tout ce qu’elles n’arrivaient pas à exprimer. Marie Noël est un poète du cœur. Elle correspond parfaitement à la formule d’Alfred de Musset : « Ah ! frappe-toi le cœur, c’est là qu’est le génie. »

Ces poètes, maîtrisant parfaitement les formes classiques de la prosodie et de la poétique, ont traduit le tremblement du cœur qui est la vraie source de la poésie et qu’aucune technique ne peut remplacer. Là où les symbolistes – Heredia, Leconte de Lisle, Mallarmé – et les surréalistes ont échoué dans leur recherche de prouesses littéraires, Marie Noël, qui a simplement su faire parler son cœur, apparaît comme une source claire et fraîche à laquelle notre siècle peut aller se désaltérer. 


 
« Berceuse de la Mère-Dieu »

Mon Dieu, qui dormez, faible entre mes bras,
Mon enfant tout chaud sur mon cœur qui bat,
J’adore en mes mains et berce étonnée,
La merveille, ô Dieu, que m’avez donnée.

De fils, ô mon Dieu, je n’en avais pas.
Vierge que je suis, en cet humble état,
Quelle joie en fleur de moi serait née ?
Mais vous, Tout-Puissant, me l’avez donnée.

Que rendrais-je à vous, moi sur qui tomba
Votre grâce ? ô Dieu, je souris tout bas
Car j’avais aussi, petite et bornée,
J’avais une grâce et vous l’ai donnée.

De bouche, ô mon Dieu, vous n’en aviez pas
Pour parler aux gens perdus d’ici-bas…
Ta bouche de lait vers mon sein tournée,
Ô mon fils, c’est moi qui te l’ai donnée.

De main, ô mon Dieu, vous n’en aviez pas
Pour guérir du doigt leurs pauvres corps las…
Ta main, bouton clos, rose encore gênée,
Ô mon fils, c’est moi, qui te l’ai donnée.

De chair, ô mon Dieu, vous n’en aviez pas
Pour rompre avec eux le pain du repas…
Ta chair au printemps de moi façonnée,
Ô mon fils, c’est moi qui te l’ai donnée.

De mort, ô mon Dieu, vous n’en aviez pas
Pour sauver le monde… Ô douleur ! là-bas,
Ta mort d’homme, un soir, noir, abandonnée,
Mon petit, c’est moi qui te l’ai donnée.

Marie Noël