Qu’appelle-t-on la prière d’oraison ?
Frère Baptiste de l’Assomption : La définition la plus classique est celle de Thérèse d’Avila, la grande maîtresse de l’oraison, qui lui a donné la place centrale dans l’ordre du Carmel en le réformant, au XVIe siècle : elle parle de l’oraison comme de cet « entretien d’amitié avec celui dont on se sait aimé ». Dans cette forme de prière, l’attention de notre cœur est consacrée uniquement à Dieu. C’est un temps – un quart d’heure, une demi-heure ou plus – pendant lequel on ne fait qu’être centré sur Dieu.
Quelle est la place de l’oraison dans la vie chrétienne ?
Cette prière exclusive est la source qui vient irriguer toutes les autres formes de prières – eucharistie, confession, adoration, chapelet, prière de demande… – pour les rendre fécondes et nous permettre de les vivre pleinement. De la même manière que, dans un jardin, il faut de l’eau pour faire pousser de nombreuses fleurs. L’oraison est cette eau qui arrose tout notre jardin spirituel ! « La porte par où pénètrent dans l’âme les grâces de choix […], c’est l’oraison. Une fois cette porte close, je ne sais comment il pourrait nous les accorder. En vain voudra-t-il entrer dans une âme pour prendre ses délices avec elle et les lui faire trouver en lui, les avenues lui sont fermées », écrivait Thérèse d’Avila. Sans oraison, notre participation aux sacrements manque de fruits : en effet, elle dispose l’âme à recevoir Dieu.
Cela consiste en quoi ?
De même que Dieu, après avoir travaillé six jours, s’est reposé le septième, il nous appelle à arrêter nos actions, quelques minutes par jour, pour n’être occupé que de nous entretenir avec lui, dans le centre de notre âme. Il désire que, comme dans une relation amoureuse, nous lui offrions un peu de notre temps gratuitement. C’est un temps distinct de la messe quotidienne, qui permet de la vivre d’une manière plus fructueuse, un temps d’intimité profonde, seul face à Dieu, qui est là, présent au milieu de nous. C’est un vrai sacrifice pour nos vies très affairées d’offrir ce temps exclusif à Dieu… C’est cela qui le rend si précieux à ses yeux. En sanctuarisant le temps de l’oraison, nous venons satisfaire le besoin qu’a Jésus de se donner à nous, pour lui donner la joie de décharger les flots d’infinie tendresse retenus dans son Sacré-Cœur, comme il l’a dit à sainte Marguerite-Marie, lors des apparitions de Paray-le-Monial, au XVIIe siècle, et qu’il redit encore à chacun de nous : « Mon Cœur est si passionné d’amour et pour toi en particulier que, ne pouvant contenir les flammes de son amour, il faut qu’il les répande par tout moyen. »
Est-elle plus pour les religieux que pour les laïcs ?
L’oraison est pour tous : les religieux et les prêtres – pour qui elle est « obligatoire » – mais les laïcs sont également appelés à faire oraison, afin de recevoir tous les flots de l’amour divin. « Si l’âme cherche Dieu, son Bien-Aimé la cherche bien davantage », disait saint Jean de la Croix. Il faut comprendre le désir fou que Dieu a de nous, de se donner à nous… Et c’est dans l’oraison qu’il le fait de manière privilégiée, qu’il vient s’unir à nous ! L’oraison nous permet de vivre déjà le ciel sur la terre, dans l’obscurité de la foi, comme le disait une autre carmélite, sainte Élisabeth de la Trinité : « Nous portons notre Ciel en nous… Il me semble que j’ai trouvé mon Ciel sur la terre puisque le Ciel, c’est Dieu, et Dieu, c’est mon âme. » Nous avons un monde intérieur, un jardin, un château où nous attend le grand Roi, où il vient se donner à nous. Entrer dans ce sanctuaire de notre âme est très simple : il suffit de poser un acte de foi qu’il est là, et de le renouveler souvent pendant le temps d’oraison. Il faut décider de se lancer, en réponse à l’appel de Dieu et en s’appuyant sur sa grâce. Jésus ne cesse de nous inciter à cette union d’amour, qui est la vraie source de la fécondité : « Demeurez en moi, comme moi en vous. […] Celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là porte beaucoup de fruit » (Jn 15, 4, 5).
Y a-t-il urgence pour les chrétiens à pratiquer cette prière ?
En effet, face à l’épuisement des forces dans l’Église, nous voyons qu’il ne faut plus tant faire des choses pour Dieu que commencer par revenir à Dieu, avant toute chose. L’oraison est ce moment où Dieu crée du neuf dans les cœurs, à son contact, lui qui est la source même de toute nouveauté. Elle est la source de tous nos apostolats : la mission commence par l’oraison. Thérèse de Lisieux, religieuse cloîtrée et patronne des missions, avait parfaitement compris la puissance de cette prière : « Un savant a dit : “Donnez-moi un levier, un point d’appui, et je soulèverai le monde.” Ce qu’Archimède n’a pu obtenir […], les saints l’ont obtenu dans toute sa plénitude. Le Tout-Puissant leur a donné pour point d’appui : Lui-même et lui seul ; pour levier : l’oraison, qui embrase d’un feu d’amour, et c’est ainsi qu’ils ont soulevé le monde. »
Que faire dans l’oraison ?
On commence par faire le signe de croix, puis un bref examen de conscience, pour reconnaître notre pauvreté, notre misère devant le Dieu saint qui vient nous visiter. Ensuite, pour alimenter la prière, Thérèse d’Avila recommande d’avoir une image – crucifix, icône… – du Christ à contempler ; une parole – l’Évangile, les psaumes ou un livre de spiritualité –, en cas de sécheresse ; et de faire une offrande de nous-même à Dieu. Pendant le temps que nous avons décidé d’offrir, nous regardons Jésus – en contemplant, par exemple, les mystères de sa vie – nous lui parlons, comme à un ami, dans une méditation amoureuse, en posant des actes de foi, d’espérance et de charité – Jésus, je crois que tu es là, en moi, j’espère en toi, je t’aime… Parfois, Dieu donne la grâce de passer de la méditation à la contemplation : ce n’est plus moi, alors, qui fournis des efforts pour me rendre disponible à Dieu, mais c’est lui qui prend les rênes et me remplit de sa présence. Il faut juste alors se laisser faire…
Quelles sont les difficultés de l’oraison ?
Elles sont triples : la lutte contre les distractions – dès qu’on s’en rend compte, il suffit de parler à Jésus, et, si besoin, de prendre une lecture –, la sécheresse – renouvelons alors le don de nous-même – et la désolation – qui vient quand on se regarde soi plutôt que de regarder Dieu en nous… Par ailleurs, pour ceux qui pensent être trop occupés, prendre ce temps avec Dieu en fait en réalité gagner beaucoup car, au contact de Dieu, l’esprit est plus clair et discerne mieux, la volonté est plus ferme et prend des décisions plus rapides. Donc l’oraison est bonne pour l’âme et pour l’esprit, elle nous rend plus efficaces ! Ce qui compte n’est pas ce que l’on ressent mais d’offrir ce petit temps à Dieu, qui est un des sacrifices les plus difficiles pour notre nature… Même si nous avons l’impression que notre oraison est sèche et stérile, ce temps offert fait de nous une âme d’oraison et notre vie en sera transformée. Pour cela, il faut s’appuyer bien sûr sur la grâce de Dieu, et pas sur nos propres forces.
Quelle est la différence avec la méditation profane ?
Dans la méditation profane, je m’appuie sur mes propres forces, j’utilise des techniques humaines, pour chercher la sérénité, en vue de trouver la paix, le silence intérieur et me procurer un apaisement thérapeutique. Elle ne me met donc en contact qu’avec moi-même. C’est tout l’inverse dans la méditation de l’oraison, où Dieu, dans sa miséricorde infinie, m’attend et m’accueille comme je suis et vient me visiter dans ma misère, pour me remplir de son amour. La croissance dans l’oraison, ce n’est donc pas de ne plus avoir de distractions mais de comprendre, au contraire, que c’est normal, et qu’il faut simplement lutter contre en revenant à chaque fois vers Dieu : dix fois, cinquante fois… comme autant de manifestations de notre amour à Dieu. C’est cela qu’il désire.
Pourquoi avoir écrit un livre sur l’oraison avec les anges ?
Les anges peuvent bien nous aider dans l’oraison. Ils nous ouvrent les yeux sur la réalité spirituelle et peuvent nous aider à nous recueillir, nous souffler les bonnes images, les bonnes paroles qui vont soutenir nos actes de foi. Ils nous aident à entrer en relation avec Jésus, et nous permettent d’avoir une oraison plus profonde, en étant les gardiens de notre recueillement. Ils nous apprennent aussi à contempler l’humanité de Jésus, dont ils ont été témoins et messagers : à l’Annonciation, la Nativité, son baptême, sa résurrection… Prendre conscience de la présence des anges, et de leur action pour nous servir, nous dispose à recevoir leur influence qui nous entraîne dans un silence habité. Il peut donc être bon d’invoquer notre ange gardien au début de l’oraison.
Faire oraison avec les anges, Frère Baptiste de l’Assomption, éd. du Carmel, janvier 2025, 144 pages, 13 €.
Du temps pour Dieu. Guide pour la vie d’Oraison, Jacques Philippe, éd. EdB, octobre 2024, 152 pages, 9,90 €.
Présence à Dieu. Cent lettres sur la prière, Henri Caffarel, 2000, éd. Parole et Silence, 2000, 250 pages, 16 €.
Sur Internet : www.oraison.net