J’ai systématiquement constaté que les gens les plus intolérants que j’ai rencontrés étaient ceux qui avaient perpétuellement le mot tolérance à la bouche. Nous ne devrions pas prendre cela pour de l’hypocrisie. Ce n’est pas ce que faisaient les Pharisiens, qui faisaient sonner de la trompette devant eux quand ils faisaient l’aumône. C’est à dire transformer la charité en théâtre, afin de gagner les louanges des gens et si c’était ce qu’ils voulaient, c’est ce qu’ils ont obtenu. « Une rétribution adaptée, aussi vide que leurs actes » dit Milton.
C’est plutôt, je pense, un état bien particulier à notre époque et cela est lié à un désir pressant de ne pas ressentir le picotement des péchés que nous approuvons. Ceux qui examinent leur conscience régulièrement et honnêtement n’aimeront pas ce qu’ils y trouveront. C’est parce que nous sommes tous pécheurs et que nous ne sommes pas à la hauteur de la gloire de Dieu.
Le saint est plus assuré de la miséricorde divine que le pécheur ordinaire, mais il est également plus soucieux de ne pas offenser, et plus contrit quand il a effectivement offensé. Il n’a pas besoin d’un slogan venu d’une équipe politisée de l’Église pour l’instruire sur la tolérance. Ses propres péchés l’instruisent suffisamment bien.
Je parle ici de tolérance envers les personnes, non envers les péchés. Nous voulons des médecins qui aiment leurs patients et détestent leurs cancers.
Nous devons faire entrer dans nos têtes que le péché est aussi réel que sont réelles les maladies du corps. J’ai marché durant presque un mois avec un caillot de sang dans la jambe, ne voulant pas croire que ce caillot était là. Mais il n’avait pas obligation de respecter mes souhaits.
Nous catholiques croyons que Dieu a donné une constitution à l’âme humaine : nous prospérons grâce à ce qui est objectivement bien et nous nous flétrissons par ce qui est objectivement mauvais. Nos maladies morales n’ont aucune obligation de respecter notre opinion à leur égard.
Naturellement, quand un homme pèche avec pleine et entière conscience que ce qu’il fait est mal, il ajoute le défi ou la témérité au péché premier. Et dans ce sens, nous pourrions dire qu’une certaine quantité d’ignorance atténue la culpabilité quand l’acte et ses circonstances sont jugés. Mais le péché en lui-même demeure, ainsi que le mal qu’il cause.
Imaginons alors quelqu’un qui porte en lui une grave maladie morale, un péché qui est devenu tellement habituel qu’il ne peut pas imaginer vivre sans, mais qui pourtant altère ses relations avec les autres, surtout avec ceux qu’il sait désapprouver le péché, même s’ils ne savent pas qu’il y succombe.
Il commence à prêcher la « tolérance » pour engourdir le mal. Il n’est pas nécessairement conscient de sa motivation. C’est une panique interne. S’il était un homme d’affaires proche de l’insolvabilité, le même type de motivation l’empêcherait de passer devant sa banque, de regarder son chéquier et il pourrait rembarrer quiconque discuterait de la déontologie de frugalité et de prudence en matière financière.
Mais cela ne suffit pas. Le mal ne s’engourdit pas. La maladie continue son œuvre. Quelque chose dans l’âme crie que les choses ne vont pas.
Cela aiguillonne l’homme ; alors il impute des motifs blâmables à ceux qui lui rappellent le péché et il part dans une attaque fougueuse contre les péchés qu’il ne commet pas, et même contre les dispositions morales qui sont bonnes ou neutres dans la mesure où elles peuvent être confondues avec ces péchés. « Tolérance » est sur ses lèvres avec le rugissement d’un animal blessé.
Et puisque l’homme est une créature sociale, essentiellement sociale, l’état peut devenir général. La société prêchant à grands cris la « tolérance » est une société dont les péchés caractéristiques sont devenus intolérables. Ce sont des plaies infectées, rouges et à vif.
Tout le monde peut les voir. Mais chacun doit être persuadé qu’elles ne sont pas ce qu’elles sont ou qu’elles sont naturelles et inévitables. Le mélanome doit être nommé grain de beauté.
Dans la progression initiale de ce conflit intérieur, la tolérance d’un péché caractéristique de la société et la rage contre son opposé est affaire de vanité et de mode sociale, comme l’oncle Screwtape (NDT : démon personnage du roman Tactique du Diable) le suggère : « Nous dirigeons le tollé chic de chaque génération contre les vices qui la menacent le moins et nous fixons son approbation sur la vertu la plus proche du vice que nous essayons de rendre chronique. Le jeu est de les faire courir avec un extincteur là où il y a une inondation et de les faire s’entasser du côté où le bateau penche jusqu’au plat-bord. »
Le tentateur expérimenté poursuit :
De ce fait, nous mettons à la mode d’exposer les dangers de l’enthousiasme au moment même où ils deviennent tous mondains et tièdes ; un siècle plus tard, quand nous les rendons tous disciples de Byron et ivres d’émotion, le chic du chic est de dénoncer les dangers de la simple « compréhension ». Durant les époques cruelles, on met en garde contre la sentimentalité, durant les époques irresponsables et paresseuses contre la respectabilité, durant les époques lubriques contre le puritanisme ; et chaque fois que tous les hommes s’empressent de devenir esclaves ou tyrans nous faisons du libéralisme l’épouvantail principal.
De ce fait, nous avons une société qui a oublié tous les rites cérémoniels et n’a aucun goût pour la solennité et qui est mise en garde contre le « ritualisme » ; Nous sommes le peuple le moins patriarcal de l’histoire du monde qui vitupère contre la « masculinité toxique ». Nous avons un monde qui est en danger de perdre toute distinction nationale et culturelle et qui est terrifié à l’idée qu’une ou deux nations puisse préserver leur identité et ne pas être absorbées par la masse.
Mais ainsi que je l’ai suggéré, avec certains maux nous sommes au-delà de la récrimination à la mode. La maladie se manifeste maintenant comme un dégoût de tout ce qui est sain et normal. D’où l’intolérance du tolérant.
Cela ne peut être soulagé par des mots, par de la persuasion. C’est hors du domaine de la logique. C’est une infection du cœur. Cela requiert une chirurgie radicale, et seul l’unique Chirurgien peut la mener à bien.
Source : https://www.thecatholicthing.org/2024/09/29/the-intolerance-of-the-tolerant/
Anthony Esolen, traduit par Bernadette Cosyn
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