L’inquiétude des chrétiens de Syrie - France Catholique
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L’inquiétude des chrétiens de Syrie

Reportage. La chute de la « dynastie » Assad a fait basculer le pays dans une ère nouvelle. L’islamiste Ahmed al-Charaa, connu sous son nom de guerre al-Joulani, est désormais au pouvoir. Ses annonces bienveillantes laissent les chrétiens sceptiques.
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Procession des offrandes lors d’une messe à l’église grecque orthodoxe Saint-Élie d’Alep.

Procession des offrandes lors d’une messe à l’église grecque orthodoxe Saint-Élie d’Alep. © SOS Chrétiens d’orient

À Alep, la deuxième ville de Syrie, presque rien n’a changé. Bien sûr, les portraits de Bachar el-Assad ont disparu et les nouvelles couleurs du pays flottent aux coins des rues : le drapeau de la révolution syrienne, vert, blanc, noir, frappé des trois étoiles rouges en son centre. Mais le quotidien des Syriens n’a pas changé.
Après quatorze années de guerre, 90 % d’entre eux vivent sous le seuil de pauvreté. Devant une boulangerie, en ce matin de février, ils sont une centaine à attendre leur tour. « J’ai cinq enfants, je fais trente minutes de marche tous les jours pour chercher le pain », explique un homme qui patiente dans le froid. « Depuis la révolution, la qualité du pain est meilleure ; en revanche, la taille des galettes a bien diminué », complète un autre. Quant au prix, l’inflation est passée par là. « Avant, c’était deux kilos de galettes pour 1 000 livres syriennes. Aujourd’hui, c’est un kilo pour 4 000 livres. » Et, pour ceux qui ont encore des économies en banque, impossible de retirer plus de 294 000 livres, soit l’équivalent de 30 euros, par mois. Les entreprises refusent même les clients qui ne peuvent payer autrement qu’en argent liquide.

Lourdes sanctions économiques

Ces difficultés économiques s’expliquent par les sanctions internationales qui frappent la Syrie depuis 2011 et le début de la guerre. En décembre, dès le changement de gouvernement, les Syriens ont espéré leur fin. Trois mois plus tard, il n’en est rien. À Paris, le 13 février, à l’occasion d’une conférence internationale sur l’avenir de la Syrie – la troisième depuis décembre 2024 – cette question a été évoquée à nouveau. Mais, pour le moment, ni les États-Unis, ni l’Union européenne ne veulent lever ces sanctions sans engagement du nouveau gouvernement à construire une « Syrie libre, unie, souveraine, stable, inclusive », selon la déclaration finale de la Conférence de Paris. « Les sanctions touchent pourtant d’abord le peuple syrien », regrette Benjamin Blanchard, directeur général de SOS Chrétiens d’Orient, association qui intervient en Syrie depuis 2013. « Nous réclamions leur levée pendant la guerre, nous le demandons plus que jamais aujourd’hui. »

Autre chantier urgent pour le nouveau gouvernement, l’énergie. La majorité des Syriens ne dispose que de deux heures d’électricité par jour. La fin de la guerre n’y a rien changé et l’électricité turque, promise elle aussi en décembre 2024, n’arrive toujours pas à Alep. En attendant, chacun se débrouille avec des panneaux solaires, ou en achetant, à prix d’or, quelques ampères à ceux qui possèdent des générateurs. Juste de quoi allumer un peu la lumière le soir et recharger les téléphones portables, indispensables pour chercher du travail, s’informer et contacter des proches, notamment ceux qui sont à l’étranger.

Samira a 65 ans. Un bras paralysé suite à une attaque cérébrale mal soignée – les médicaments sont aussi sous sanction – elle connaît le sort de beaucoup de personnes âgées en Syrie. Ses enfants sont partis en Arménie, à Dubaï, au Canada, en Europe. Rares sont ceux qui font encore des aller et retour vers la Syrie, ou qui réussissent à envoyer de l’argent au pays. Les flux monétaires sont difficiles.

La tentation de l’exil

Aussi, chez les chrétiens de Syrie, la tentation de l’exil, qui existait déjà avant la chute d’Assad, est toujours présente. Le contexte sécuritaire y joue pour beaucoup. « C’est toujours la misère, mais en plus, on se sent moins en sécurité », raconte Samira. « Ces nouveaux hommes que je vois par la fenêtre, ils sont armés et cagoulés. Ils sont tous musulmans, du genre de ceux qui coupent des têtes. »

Les paroles bienveillantes des nouvelles autorités ne suffisent pas à la rassurer, ni elle, ni les communautés chrétiennes. Autour de Homs, au sud d’Alep, les violences sont nombreuses. La ville est partagée entre sunnites et alaouites. Cette communauté dissidente du chiisme, d’où est issu Bachar el-Assad, subit des représailles. Les témoignages d’humiliations, de violences, d’enlèvements et d’assassinats sont nombreux.
Reste l’Église. Ou plutôt les Églises. À Alep, il reste 25 000 chrétiens, au lieu de 150 000 il y a quinze ans. On y compte onze églises catholiques, orthodoxes et protestantes. Chacun se mobilise pour encourager ses fidèles à rester. Avec le soutien de SOS Chrétiens d’Orient, l’Église grecque catholique poursuit ainsi son programme d’aide aux jeunes familles. « Il s’agit d’encourager les familles chrétiennes à avoir des enfants », témoigne Mgr Georges Masri, métropolite des grecs melkites catholiques d’Alep. « C’est un gage d’avenir pour les chrétiens », précise Benjamin Blanchard.

Mais le défi est de taille, tant l’avenir des chrétiens de Syrie s’écrit avec un point d’interrogation. « Tout le monde est très inquiet », explique Majd, un jeune Syrien qui vient tout juste de rentrer d’Alep, où il visitait sa famille. « Cette peur est justifiée, estime Mgr Masri, mais nous devrions la dépasser. Nous devons commencer le travail, chercher à laisser notre empreinte dans la construction de la nouvelle Syrie à laquelle nous aspirons. » Un vœu pieux ?

À l’initiative des nouvelles autorités, une Conférence de dialogue national s’est réunie dans les principales villes de Syrie, puis à Damas le 25 février, pour débattre de l’avenir politique de la Syrie. « On avait l’impression que les conclusions étaient prêtes avant même de commencer », raconte Majd, déçu de l’événement. Rien de concret n’en est sorti. « Ce qui compte, c’est la nomination du futur gouvernement. Elle devait intervenir le 1er mars… mais rien n’a été annoncé ! Les autorités disaient vouloir “étonner les Syriens”. Mais on peut être étonné dans un sens comme dans l’autre… Soit on aura un gouvernement ouvert, soit on aura un gouvernement clairement islamiste. On verra ! », conclut-il, sceptique.