Pas un jour ou presque, sans que l’Église ne nous invite à vénérer la mémoire d’un antique martyr. Prenons l’exemple de la semaine qui commence ce 4 mars. Lundi, on célébrera saint Basile et ses compagnons martyrs, Eugène, Agathodore, Elpide, Éthère, Capiton ou Gapito, Éphrem, Nestor et Arcade, évêques de la région de Sébastopol, en Crimée, massacrés au IVe siècle. Ou encore saints Codrat, Acace, Stratonique, Julienne et Paul, martyrisés en Syrie au IIIe siècle. Mardi, ce sera au tour de sainte Olive, mise à mort à Brescia au IIe siècle ; de saint Adrien, tué en Palestine au IIIe siècle ; et de saint Conon le Jardinier, que l’on fit courir nu, les articulations percées de clous. Mercredi marquera une pause. Jeudi, on commémorera saintes Perpétue et Félicité, qui subirent le supplice à Carthage au début du IIIe siècle avec leurs compagnons saints Saturus, Saturnin, Révocat et Secondin ; on fera aussi mémoire de saint Eubule, martyrisé en Palestine au IVe siècle. Vendredi, saints Apollonius et Philémon, exécutés en Égypte au IIIe siècle, figurent au calendrier avec saint Arien, le juge qui les avait condamnés et qui se convertit juste après le verdict. Samedi, ce sont les 40 martyrs de Sébaste, massacrés en Arménie au IVe siècle, qui seront honorés ; ou encore saint Urpasien, consumé vivant au-dessus d’un lit de braises à Nicomédie, au IVe siècle également. Et dimanche, c’est de Caïus et Alexandre, exécutés en Phrygie au IIe siècle, que l’on se souviendra pour clore le cycle.
Trois siècles, trois continents
Cette énumération, que l’on pourrait reproduire pour chaque semaine de l’année, manifeste à elle seule l’ampleur du phénomène, étalé sur trois continents – l’Europe, l’Afrique du Nord et l’Asie Mineure –, et sur un peu moins de trois siècles, de la persécution néronienne de 64, immortalisée par Henryk Sienkiewicz dans Quo Vadis ? (1896) jusqu’à celle menée par Julien l’Apostat en 362, dans une tentative de retour au paganisme, mais qui est mal documentée.
Elle pose une question simple dans sa formulation : comment ces premiers chrétiens – que l’on a les plus grandes difficultés à quantifier – ont-ils conservé un courage intact malgré, d’une part, la férocité des répressions, leurs bourreaux manifestant des ressources inégalées en matière de sadisme, et, d’autre part, leur intensification ? L’une des pires fut en effet l’avant-dernière : la grande vague conduite sous Dioclétien, entre 303 et 311. Dévorés par les bêtes sauvages, livrés aux flammes ou à la glace, décapités, lapidés, broyés, écorchés, écartelés, enfermés dans des oubliettes ou des lupanars, ils ont su maintenir intacte leur ardeur malgré d’inévitables apostasies.
La première raison de ce que l’on appellerait aujourd’hui une incroyable résilience est la proximité chronologique qui les liait à la venue du Christ en ce monde, en tout cas pour les premiers temps, qualifiés d’apostoliques, et qui donnait à leur foi une vivacité toute singulière tant étaient fraîches les promesses de la Bonne Nouvelle, en particulier celle des Béatitudes : « Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des Cieux est à eux. » Les communautés récentes fourmillent de témoignages et de récits portés par des témoins oculaires, de premier plan – à commencer par saint Paul – ou plus secondaires, qui galvanisaient leurs auditeurs. Comme on le sait, la première signification du mot martyre – en grec – est « témoin ». Si l’on fait exception de la lapidation de saint Étienne, le « protomartyr », racontée dans les Actes des Apôtres, le premier récit documenté d’un martyre, que l’on a conservé, est celui de saint Polycarpe, évêque de Smyrne.