Varsovie, 5 août 1944. Le camp de concentration Gęsiówka est pris d’assaut par une troupe de jeunes gens. Ce sont des scouts polonais organisés en bataillon, le bataillon Zośka. Au bout d’une heure et demie de combat, ils réussissent à investir le camp et à libérer tous les prisonniers.
Ce fait d’armes hors du commun est loin d’être isolé car tous les scouts polonais prennent une part active à la résistance pendant la guerre. Les vies sacrifiées sont à la hauteur de leur engagement. Ainsi, entre août et octobre 1944, le bataillon Zośka perd 70 % de son effectif.
Dans la clandestinité
Fondée en 1911, l’association polonaise des scouts et guides (ZHP) est interdite par les nazis dès leur entrée sur le territoire polonais au mois de septembre 1939. Les cadres du mouvement décident alors de passer à la clandestinité et prennent un nom de code : Szare Szeregi – littéralement les « Rangs gris ». Toutes les branches du scoutisme, de 11 à 25 ans, entrent ainsi dans la résistance.
La mission des Szare Szeregi est de sensibiliser les plus jeunes au combat contre l’occupant pour préparer la future libération de la Pologne. Leur mot d’ordre est : « aujourd’hui, demain, le jour d’après ». Aujourd’hui : la lutte clandestine actuelle ; demain : le soulèvement contre l’occupant ; le jour d’après : la reconstruction de la Pologne libre. Jusqu’en 1942, le Père Jan Mauesrsberger est à la tête de l’organisation. Les scouts sont affiliés au mouvement de résistance Armia Krajowa (AK), l’armée clandestine polonaise. Chaque éclaireur, garçon ou fille, contribue à la cause selon son âge et ses capacités. Les plus jeunes sont formés aux services auxiliaires de secours et d’entraide. À partir de 15 ans, les garçons apprennent des techniques de combat et participent à des actions de sabotage. Les guides, quant à elles, secourent les malades. Elles sont aussi agents de liaison et prennent une part active au transport des munitions.
Le mouvement scout est impliqué dans trois grandes campagnes d’action : l’opération Wiss, l’opération N, l’opération Wawer. La première concerne la surveillance des unités allemandes. La deuxième regroupe les opérations d’intoxication et de guerre psychologique menées entre avril 1941 et avril 1944 dans le but d’affaiblir le moral des Allemands. Son action principale est l’édition et la distribution de tracts et journaux en langue allemande, destinés aux Allemands habitant en Pologne, militaires ou civils. Une partie de ces documents véhiculent de fausses informations, l’autre partie cherche à démontrer les méfaits du national-socialisme.
Opération Arsenal
Enfin, l’organisation Wawer est spécialisée dans les sabotages mineurs : remplacer les drapeaux allemands par des drapeaux polonais, dessiner des graffitis anti-allemands ou pro-polonais, arracher les affiches de propagande allemande, perturber les séances de cinéma de propagande, rebaptiser les rues en leur donnant le nom de héros polonais ou bien de personnalités anglaises ou américaines. Cette dernière organisation compte environ 500 membres, la moitié d’entre eux fait partie des Szare Szeregi.
L’opération Arsenal est la première action militaire importante des Szare Szeregi. Elle a lieu le 26 mars 1943 à Varsovie. L’objectif de cette opération audacieuse est de délivrer le chef de troupe Jan Bytnar arrêté par la Gestapo trois jours auparavant. Une petite trentaine de scouts attaque la camionnette qui transfère le jeune garçon et 24 autres détenus de leur prison au QG de la Gestapo. L’opération est considérée comme un succès car tous les prisonniers sont libérés mais Jan Bytnar, sauvagement torturé par les Allemands, meurt quatre jours plus tard des suites de ses blessures. Il a 21 ans.
L’activité la plus héroïque des scouts polonais est leur participation à l’insurrection de Varsovie – 1er août-2 octobre 1944. Cette insurrection, préparée et menée par l’AK, est une tentative de soulèvement contre les nazis, dans l’espoir de reprendre le contrôle de la capitale, quartiers par quartiers. Pendant plus de deux mois, les scouts participent activement à cette bataille acharnée qui, malheureusement, se solde par un terrible échec : 18 000 combattants et plus de 160 000 civils sont tués côté polonais. Les nazis raseront la ville en représailles.
« Les Remparts »
Les plus jeunes, garçons et filles, servent d’observateurs, de guides dans les égouts – mode de déplacement le plus sûr –, de coursiers, mais aussi de facteurs, les scouts étant spécialement en charge du service postal dans les quartiers libérés. Les plus âgés prennent part aux combats, pendant que les guides se concentrent sur la logistique, le soin des blessés dans les hôpitaux de campagne, l’assistance aux nourrissons et aux orphelins.
Les scouts polonais œuvrent partout, et même au cœur des camps de concentration, comme l’illustre la compagnie créée clandestinement dans le camp de Ravensbrück. Une centaine de jeunes femmes polonaises, arrêtées pour faits de résistance, se retrouvent dans ce camp et décident de continuer à vivre leur engagement scout. Elles se font appeler les Mury, « les Remparts ». Leur action s’oriente vers l’assistance aux personnes les plus faibles, notamment aux femmes qui ont subi des expérimentations médicales. Les guides mettent en place un réseau pour leur fournir plus de nourriture, des médicaments, un soutien spirituel. Elles réussissent même à transmettre à la Croix-Rouge suédoise d’importantes informations, comme la liste des 25 000 détenues, et des renseignements concernant les expériences pratiquées sur certaines femmes.
La barbarie de la guerre a donné aux scouts polonais l’occasion d’épanouir jusqu’à l’héroïsme cette vertu de service, et de devenir ainsi des modèles pour les scouts du monde entier.