Le diable, tentateur par excellence, sait utiliser contre nous les défauts du « vieil homme ». Saint Pierre l’illustre quand, la nuit du Jeudi saint, il renie Jésus, manquant à la vertu de force pour avoir compté sur la sienne plutôt que sur Dieu, en dépit des avertissements : « Avant même que le coq ait chanté deux fois, tu m’auras renié trois fois. » Cette chute, la plus retentissante de l’histoire de l’Église, humiliation colossale, devient tremplin vers le repentir, « et il pleura amèrement », en même temps que capacité à admettre la faiblesse d’autrui à travers la sienne. En se découvrant faillible, Pierre est désormais tenu de pardonner jusqu’à 77 fois 7 fois, point crucial quand il s’agira du pardon des péchés, même les plus lourds.
Le tison de saint Thomas
Ceux de la chair sont un thème récurrent dans l’hagiographie de l’Antiquité tardive et médiévale, corollaire des renoncements consentis par les ascètes retirés au désert dans une recherche du tête à tête avec Dieu que le démon cherche à troubler. Toute une littérature s’en est emparée à travers les tentations de saint Antoine l’Égyptien, soumis par le diable aux visions des voluptés terrestres, mais l’expérience est commune. Retiré au désert de Chalcis en Syrie, où la privation de contacts humains et d’échanges intellectuels manque le rendre fou, saint Jérôme, dans les années 370, est hanté par les souvenirs de ses soirées estudiantines et des filles avec qui il dansait la chaloupée… Il résiste en apprenant l’hébreu. À deux siècles de là, saint Benoît, obsédé de pensées lascives, se roule dans les orties pour que la douleur l’en distraie. Thomas d’Aquin, dans les années 1240, est enfermé par sa famille, qui veut l’obliger à renoncer à la vie dominicaine, avec une prostituée. Sur le point de succomber, le garçon de 18 ans s’empare à pleine main d’un tison ardent dans la cheminée avec lequel il trace une croix sur le mur, se méritant une chasteté inentamable, matérialisée par le don d’une ceinture angélique.
Catherine de Sienne (1347-1380) brûle de désirs charnels qu’elle repousse en priant sans cesse mais sans que cette tentation la laisse tranquille. Elle s’en plaint au Christ, lui demandant pourquoi il l’a laissée seule quand elle avait le plus besoin de son soutien. Jésus lui affirme alors ne l’avoir jamais quittée, luttant en elle et pour elle, lui permettant de triompher.
La tentation agit à d’autres niveaux. Dans les Confessions, Augustin, évoquant le vol des poires de son voisin, souligne que la gourmandise eut moins de poids dans l’affaire, car les fruits étaient immangeables, que le plaisir gratuit du mal.
La crainte d’offenser Dieu
À 5 ans, Pierre Julien Eymard (1811-1868), fasciné par l’attirail militaire des dernières années de l’Empire, vole un plumet rouge de cavalerie à l’épicerie de son village… et le rapporte aussitôt, par crainte précoce d’offenser Dieu, témoin de son larcin.
Même réaction au XVIe siècle chez André Avellin (1521-1608) qui, jeune et brillant avocat, achète une victoire au prétoire au prix d’un mensonge mais renonce alors à plaider, préférant se consacrer à Dieu, preuve que succomber à la tentation peut se révéler salutaire.