C’est en février, dans ce temps qu’on appelle « le faux printemps de la Provence », qu’il faut aller à Carpentras. Les arbres n’ont point encore de feuilles et l’air est si pur que l’œil distingue le moindre relief de l’architecture. On comprend alors que ce pays est la terre de la pierre et de la lumière.
Carpentras plonge ses origines dans la civilisation gallo-romaine, mais elle est aussi, selon la formule de son député actuel Hervé de Lépinau, « la Jérusalem de la Provence ». C’est la plus ancienne ville juive de France, et elle est devenue une ville presque musulmane. La synagogue, la cathédrale Saint-Siffrein, qui est une des plus vénérables de la France chrétienne, et la mosquée d’aujourd’hui en font le siège des trois religions monothéistes. C’est un bouleversement de civilisation puisque la présence juive était due aux « Juifs du pape » qui, au Moyen Âge, pouvaient habiter sans être inquiétés le Comtat Venaissin, possession du Saint-Siège. La prospérité de la ville venait de son statut de ville pontificale – statut qui ne disparut qu’en 1791, quand la République, annexant le Comtat Venaissin, le divisa en départements et le soumit aux lois de l’administration, et donc aux lois fiscales, qu’il ne connaissait pas auparavant.
On dit qu’au XVIIIe siècle, les belles dames d’Avignon venaient faire leurs courses à Carpentras car c’est là qu’étaient les beaux magasins, dus à la richesse des maraîchers et des expéditeurs qui nourrissaient le sud et le nord de la France et s’enrichissaient tranquillement puisqu’ils n’avaient pas d’autres impôts qu’un modeste tribut à l’évêque pour lui assurer un train de vie convenable.
Amour courtois
Carpentras compte aussi parmi ses hommes célèbres Francesco Pétrarque, né à Arezzo, en exil de Florence d’où sa famille avait été chassée et qui était venue se réfugier près du pape d’Avignon. Pétrarque ne fut pas seulement le chantre de Laure qu’il a rencontrée à Avignon et dont il est tombé amoureux, comme Dante de Béatrice. Il l’a chantée en près de 400 sonnets, d’un amour courtois et très pur qui restera le modèle dont s’inspirera Ronsard. Il fut aussi un humaniste, un moraliste et un théologien. Il milita pour le retour de la papauté à Rome, son œuvre philosophique et théologique est restée moins connue que l’œuvre poétique.
Carpentras compte parmi ses trésors, dans l’église Saint-Siffrein dédiée au patron de la ville et dont la nef immense peut contenir plus de 2 000 personnes, le Saint Mors qu’Hélène, la mère de Constantin, fit forger avec un clou de la Passion du Christ et offrit à son fils l’empereur pour hâter sa conversion.
Carpentras compte encore Notre-Dame-de-Santé, dont la cloche sonna à 3 heures du matin le 10 juillet 1629, sans explication, au temps de la grande peste et annonça le salut de la ville. Depuis, le jour anniversaire de cet événement, à 3 heures du matin, une messe est dite en action de grâce pour l’intervention de Notre-Dame qui sauva Carpentras de la peste – messe à laquelle assistent les élus de la ville, du canton et du département, et à l’issue de laquelle le maire et le conseil municipal remettent les clefs de la cité entre les mains de Notre-Dame de Santé.
C’est à ces secours surnaturels, qui prouvent que Carpentras est une ville bénie et choisie, que ses habitants d’aujourd’hui se raccrochent devant la montée de l’islam qui gagne le centre-ville. Peu à peu, les anciens habitants s’en vont vers les environs, délaissant les vieux quartiers dont les hôtels particuliers sont rachetés par ce qu’on appelle ici la « beurgeoisie », mais dont les rues sont livrées à la domination des Frères musulmans et aux trafics.
Un joyau historique
Carpentras est une des villes qui souffre le plus d’une absence de politique de l’État sur les flux migratoires, alors qu’elle aurait pourtant tous les éléments historiques et humains pour les gérer convenablement.
Elle reste un joyau géographique et historique de la France du Midi, et tous ceux qui y sont passés n’ont pas pu ne pas succomber à son charme. C’est dans ses environs proches que Mistral et ses amis ont fondé le Félibrige. Elle fut donc un des foyers de la Renaissance provençale au XIXe siècle, et rien n’interdit qu’elle le soit au XXIe siècle. Si l’on en croit la foi de ses habitants catholiques d’aujourd’hui, les secours surnaturels ne lui manqueront pas, et la population qui, aux dernières élections législatives a élu son député Hervé de Lépinau au premier tour, a manifesté la volonté de ne pas subir un destin contraire à son histoire.