Quelle est la place des psaumes dans la vie bénédictine ?
Un moine du Barroux : Elle est centrale, en lien étroit avec la prière romaine. La récitation des psaumes s’inscrit dans des règles monastiques anciennes, reprises par saint Benoît, avec son génie propre, sa discrétion, son équilibre et sa sagesse. Nous récitons ainsi l’ensemble du psautier en une semaine, au cours des sept offices de la journée et de celui de la nuit. Bientôt, lors du Triduum pascal, ils seront encore plus centraux : au cours des offices des petites heures, ils seront récités seuls avec le Notre-Père et une oraison. Les psaumes sont au centre de la prière liturgique et l’on a coutume de dire que si le prêtre n’avait pas le temps de tout réciter, il devrait au moins se concentrer sur les psaumes.
Que nous enseigne leur histoire singulière ?
Les psaumes nous renvoient directement à nos origines sémitiques. Nous en comptons 150, tout comme nos frères juifs, qui considèrent que le juif vraiment pieux, le Tzadiq, est celui qui récite sur une semaine l’ensemble du psautier. Pourquoi l’ensemble ? Parce que le psautier est un résumé, sous forme de louanges, de l’ensemble de la Révélation. Ce qui est fascinant, c’est de constater – malgré quelques variantes minimes et la différence de langue liturgique – que dans un monastère, comme dans une synagogue, nous chantons la même chose ! Contrairement à ce qu’affirme l’islam, cette proximité est bien la preuve que juifs et chrétiens n’ont pas trafiqué les Écritures. Et même, les quelques nuances introduites par les différents manuscrits transmis et leurs traductions variées indiquent que l’Esprit Saint nous laisse de la souplesse, contrairement au monolithisme de l’islam qui estime que le Coran est descendu du Ciel directement, dans sa forme unique, et qu’il est de ce fait intraduisible.
Omniprésents dans la prière monastique, les psaumes sont aussi centraux dans la messe…
En effet, on les retrouve absolument partout : dans l’introït, le graduel, l’alléluia, le trait, l’offertoire ou lors de la communion. Il n’y a qu’une seule voix qui chante à la messe, c’est celle du Christ. Donc les psaumes, c’est la voix du Christ ! Et il nous est demandé d’avoir l’audace de nous insérer dans son Cœur pour les comprendre. Les psaumes ont assurément été écrits par des mains humaines – à commencer par celle du roi David – mais ils sont littéralement « pris » par le Christ. En tant que Verbe de Dieu, il en est l’Éternel Inspirateur. En tant qu’homme, fils d’Israël, sa prière au Dieu vivant s’est nourrie des psaumes. De tous, et dans leur intégralité. Oui, il les prend tous, y compris les plus violents ou les plus cruels.
Quel conseil donneriez-vous pour pénétrer pleinement dans la prière des psaumes ?
Il y a comme deux niveaux qui se complètent mutuellement. Je peux partir de mes sentiments du moment : il y aura toujours un verset de psaume qui y corresponde tant la palette est grande, depuis le cri de détresse et l’appel au secours jusqu’à la plus profonde jubilation pour la bonté de Dieu.
Mais il arrive souvent que les textes liturgiques ne correspondent absolument pas à mon état d’âme actuel. Alors c’est le moment « d’avancer en eaux profondes ». De plonger dans le mystère du Seigneur Jésus lui-même. Il est indispensable de se décentrer et de laisser toute sa place au Christ. Ultimement, c’est lui qui chante les psaumes. C’est sa voix que nous entendons. Depuis son entrée dans le monde, sa relation de Fils unique s’est exprimée à travers les psaumes. Et voilà la merveille : les mots des psaumes qui me sont présentés sont ceux qui sont passés sur ses lèvres pour parler à « son Père et notre Père ». Je dois donc oublier mes sentiments et m’enquérir des siens, ce qui suppose une certaine audace !
Mais cette démarche vient mettre en lumière un aspect essentiel de notre foi : sa voix, que nous entendons vraiment dans les psaumes, nous rappelle qu’il est bien vivant, avec nous, toujours penché avec amour sur nos petites casemates terrestres ! Et alors nous ferons l’expérience de la Prière du Christ Jésus traversant notre cœur : sa pure louange de la sainteté du Père, son adoration brûlante d’amour, sa supplication pour les pécheurs, ses appels au secours dans la nuit de l’agonie à Gethsémani – la sienne et celle de tous ses membres souffrants –, sa soif de justice divine contre les persécuteurs et les profanateurs du Nom béni, sa Joie jubilatoire pour le Salut de Dieu, pour sa tendresse ineffable pour les pauvres et les pécheurs, etc. Et, en tout cela, son intimité unique avec le Dieu vivant, exprimée dans le vocable Adonaï, « Seigneur », répété des centaines de fois dans les psaumes, et que Jésus devait souvent remplacer par Abba quand il priait seul. Et de ce Cœur brûlant d’amour que nous aurons rejoint, nous rejoindrons aussi tous les hommes de tous les lieux et de tous les temps dont le Christ assume tous les sentiments. Alors nous ferons l’expérience du « Secret de Dieu », cet « Amour du Christ qui surpasse toute connaissance » (Eph 3,19).
Même animé des meilleures intentions, il arrive que la récitation des psaumes puisse conduire à une certaine lassitude…
C’est vrai, et cela suppose un travail personnel. Je vous livre une piste, inspirée par Dom Romain Banquet, fondateur de l’abbaye d’En-Calcat, dont l’abbaye Sainte-Madeleine du Barroux est une émanation. À la fin de sa vie, il consacrait de plus en plus de temps à la lecture des psaumes avant les offices. Comme lui, prenons le temps avant la messe de regarder les psaumes du jour dans le Missel, puis allons rechercher leur version complète dans la Bible : les versions intégrales sont souvent plus riches de sens que les extraits et nous aident à saisir l’intention de l’Église qui a choisi ce verset. En retour, l’insertion d’un verset de psaume au cœur de la messe nous ouvre une fenêtre sur son sens profond. Et tout particulièrement au moment crucial de la Consécration. Dans le silence de l’Élévation du Seigneur Eucharistié, résonne l’avant-dernière parole de Jésus sur la Croix : « Koull di shlim ! Tout est accompli ». Ce « tout », c’est aussi, bien évidemment, les psaumes, dont tous les versets trouvent leur plénitude de sens dans la Pâque du Seigneur Jésus offert à la gloire de Son Père pour le salut du monde.
Permettez-moi aussi de vous livrer un « truc » personnel, que j’appelle le « coloriage biblique ». Après avoir imprimé les psaumes remis en forme, je les encadre, les surligne de couleurs variées pour mettre en valeur leur mouvement et leurs trésors ! Et favoriser ainsi la compréhension et la mémorisation.
Je recommande aussi tout particulièrement de les réciter à haute voix pour en goûter toute la saveur et, peu à peu, finir par les connaître par cœur. « Heureux l’homme qui a son plaisir dans la Torah du Seigneur et qui la murmure jour et nuit », nous dit le psaume 1. On dit dans nos monastères qu’entrer au noviciat, c’est entrer en psalmodie. Le moine est un ruminant : il mâche et remâche la Parole de Dieu, et spécialement les psaumes. Mais ce n’est pas réservé aux moines. « Heureux le fidèle qui murmure les psaumes jour et nuit », alternant les temps de silence, de chant, de repos, de murmure répété d’un verset qui l’a touché… Il finira sans aucun doute par sentir sourdre en lui une eau pure et jubilante : le chant inspiré par l’Esprit de Jésus vivant en lui et murmurant : « Abba, en tes mains… » (Ps 30,6).
Une dernière recommandation ?
En ce temps de Carême, je vous propose une résolution toute simple : trouvez un petit psautier et faites-en votre livre de chevet. Gardez-le avec vous pendant la journée, dans la poche ou le sac à main. Éventuellement avec un petit crayon ou un surligneur pour repérer les versets qui vous auront touché au cœur. En même temps que vous avancez dans le psaume, laissez résonner en vous la basse continue qui murmure « Abba ». Vous entendrez alors immédiatement et physiquement que c’est Jésus qui parle en vous au Père. Passez vraiment à l’acte : cela peut changer votre vie. Dire les psaumes, c’est participer à l’engendrement du Christ en soi. En s’enivrant de la parole du Christ, on ouvre en grand la porte à l’Esprit Saint !