Les principes négatifs de la politique moderne - France Catholique
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Marie dans le plan de Dieu
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Les principes négatifs de la politique moderne

La négation de la loi naturelle est le socle du système politique moderne.
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La Liberté ou la Mort (1795), de Jean-Baptiste Regnault, Kunsthalle de Hambourg (Allemagne).

Quand on considère l’ensemble des bouleversements provoqués par la politique moderne, on se prend à rechercher la clé qui permettrait d’en saisir le principe, l’unité, la logique fondamentale.

Certains, pour aller directement à la racine, ramenèrent tout à une sorte d’assomption du péché originel, de déchaînement sans frein de la prétention de l’homme à monter sur le trône de Dieu pour proclamer son autonomie absolue. « Il y a dans la Révolution française, écrivait Joseph de Maistre, un caractère satanique qui le distingue de tout ce qu’on a vu et peut-être de tout ce qu’on verra. » Et si Maistre s’en désolait, d’autres s’en réjouirent. On se rappelle le cri de triomphe de René Viviani, sous la IIIe République : « Nous avons éteint dans le Ciel des étoiles qu’on ne rallumera plus ! »

Sans contester leur diagnostic, mais en usant d’un ton sans doute un peu plus tranquille, je voudrais montrer ici que la politique moderne a pour principe fondamental la négation systématique des cinq préceptes de la loi naturelle, tels que saint Thomas d’Aquin, les avait énoncés dans La Somme théologique (I-II, 94, 2).

Cinq fins indéracinables

De quoi s’agit-il ? C’est très simple.
S’interrogeant sur les préceptes premiers de la morale, saint Thomas met au jour les cinq tendances essentielles suivantes, qui sont les fins indéracinables de notre nature – qu’on en ait une claire conscience ou non : 1 – poursuivre le bien et fuir le mal ; 2 – conserver la vie ; 3– procréer et élever une descendance ; 4– connaître la vérité sur Dieu ; 5 – vivre en société dans des relations de justice.
Le libéralisme – métaphysique et politique – consiste précisément à nier que ces préceptes soient absolument nécessaires, et à les présenter comme des contraintes indûment imposées à notre liberté absolue. La négation de ces principes, en commençant par le cinquième, pour remonter progressivement jusqu’au premier, constitue le programme des réjouissances modernes. Voyons cela.

Du bien commun aux intérêts particuliers

Tout commence par la négation du caractère intrinsèquement social et politique de la nature humaine. À partir de la fin de la Renaissance, les philosophes – sous l’effet combiné du nominalisme [doctrine philosophique selon laquelle les concepts n’existent que dans les mots servant à les exprimer et non dans la réalité, N.D.L.R.] et des guerres de Religion – ont entrepris de refonder tout l’ordre humain sur l’idée d’individu. Il ne s’agit plus pour l’État de rechercher le bien commun, mais de maximiser la somme des intérêts particuliers. L’idée selon laquelle faire partie d’un tout organique plus grand que soi puisse constituer un bien supérieur aux biens individuels est perdue. Les hommes ne sont plus décrits comme les « animaux politiques » dont parlait Aristote, mais comme de véritables « loups pour l’homme » (Hobbes).

Ce n’est donc pas sur la poursuite du bien objectif des communautés naturelles, ni sur la recherche de la vertu, ni encore moins sur celle du Salut, que les libéraux ont entrepris de refonder l’ordre politique, mais sur des passions simples, fondamentales, attachées à l’individu : la peur de la mort, la soif d’aisance matérielle, le libre épanouissement de l’arbitraire subjectif. La liste des droits s’ensuit logiquement, consignée dans ce formulaire en extension perpétuelle qu’on appelle la Déclaration des droits de l’homme.

Aveugle aux attachements sociaux fondamentaux, la politique moderne finit par oublier qu’il n’y a pas de droits de l’homme sans droits du citoyen, et – surtout – pas de droits du citoyen sans un fort sentiment d’appartenance nationale – ethnique, linguistique, culturelle. Elle oublie, en somme, qu’il n’y a pas de démocratie sans nation. Car pour vouloir passer un contrat avec quelqu’un ou accepter la loi de la majorité, il faut se sentir lié très profondément aux autres sociétaires, par des liens antérieurs à toute association contractuelle. L’ignorance du caractère naturel, et non contractuel, de la sociabilité humaine conduit évidemment à de très lourdes déconvenues.

Rejet de la métaphysique

Cette première négation est accompagnée d’une autre, toujours dans un but d’émancipation radicale : le refus de l’ordination de l’intelligence humaine à la connaissance de Dieu. Cela se traduit concrètement par le rejet de la métaphysique, réalisé par les matérialistes français du XVIIIe siècle – D’Holbach, Helvétius et consorts – mais aussi par Kant, père des idéalistes allemands. Plus concrètement, cela entraîne une laïcisation croissante de la société, la séparation de l’Église et de l’État, et, en matière morale, la montée du relativisme.

Vient alors la troisième négation : la remise en cause du caractère naturel de la famille. Cette cellule fondamentale se voit elle-même ravalée au rang d’association purement contractuelle, ce qui entraîne, très rapidement, la légalisation du divorce. Renan dans La Réforme intellectuelle et morale, résuma la chose d’un trait : « Notre nouveau code de lois semble avoir été fait pour un citoyen idéal, naissant enfant trouvé et mourant célibataire. » Les conséquences sur les enfants s’ensuivent naturellement, pour parvenir à la situation contemporaine d’effondrement éducatif. Ne reste plus alors, et nous y sommes, qu’à nier aussi la distinction des sexes, désormais présentée comme une « construction » du patriarcat blanc occidental.

Mais ce n’est pas fini. Nous n’avons encore rien dit des deux premiers préceptes de la raison pratique. Or, eux aussi, doivent passer à la moulinette de la liberté absolue. La préservation de la vie, d’abord. Pour une liberté révoltée, tombée amoureuse d’elle-même, la vie n’est pas un don, elle doit être un choix, le résultat d’une décision. Il n’est donc pas interdit de s’en débarrasser – du moins quand le vivant n’est pas en état de se plaindre : fœtus ou vieillards peuvent donc être éliminés selon le droit de l’émancipation intégrale.

Il n’y a plus de mal objectif

Enfin, la volonté, dans une ultime torsion sur elle-même, nie le premier principe de toute moralité : qu’il faille poursuivre le Bien et fuir le Mal. Ou plutôt, elle les redéfinit en les vidant de toute substance. Elle entreprend ainsi d’affirmer sa nouvelle Table de la Loi : le seul Mal absolument objectif, c’est d’affirmer qu’il existe un Bien et un Mal ! Et le seul Bien, c’est l’affirmation de soi : la pride universelle. Arrivé à ce point, il ne reste plus deux pierres l’une sur l’autre de la civilisation. Vient alors le temps de tout reconstruire avec ceux qui auront maintenu vaillants les cinq principes de la loi naturelle.