Les mots - France Catholique
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« Ô Marie conçue sans péché »
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Les mots

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Un vieux poème disait : « il est possible que des pierres et des bâtons brisent mes os, mais des mots ne pourront jamais me blesser. » Dans notre monde actuel, il faudrait le recomposer de cette manière : « des pierres et des bâtons peuvent seulement briser mes os, seuls les mots peuvent me blesser. » Business Insider donne une liste des quatorze mots que les gens considèrent « d’un usage de bon ton au bureau, mais qui sont vraiment racistes, sexistes ou offensant de quelque manière. »

Nous sommes confrontés à une liste toujours changeante, légale ou d’usage, de mots « haineux ». Chaque jour, de nouveaux mots interdits sont ajoutés à une liste déjà longue de ce que nous ne devons pas prononcer en bonne compagnie, ni même en public. Même des mots que nous prononcions il y a vingt ou quarante ans peuvent être retenus contre nous. Nous ne pouvons même pas nous les murmurer à nous-mêmes.

Nous passons rapidement d’un monde de « libre parole » à un monde de « parole muselée ». Le pape lui-même semble avoir décidé que le silence est la meilleure politique même quand il est question de problèmes nécessitant des éclaircissements. Nous passons la moitié du temps à essayer de lire entre les lignes pour comprendre de quoi parle le locuteur.

Nous minimisons la portée du mot. Ce n’est pas seulement que le christianisme est fondé sur la notion du Verbe, bien que ce soit probablement derrière la fuite des mots que la réalité présente vraiment ce qu’ils signifient. Nous faisons le maximum pour ne pas appeler nos péchés par leur nom, de peur de devoir les reconnaître pour des déviances. Beaucoup de ce que nous nous faisons à nous-mêmes et de ce que nous faisons aux autres est dur à supporter, alors nous l’appelons d’un autre nom.

L’interdiction légale d’un langage de « haine » a presque toujours derrière soi une tentative idéologique pour obscurcir ce dont il est question. Elle est utilisée pour approuver ce qui en fait n’aurait jamais dû être approuvé. Cependant, nos esprits devraient être en lien avec les choses telles qu’elles sont.

Dans l’univers, nous sommes les seuls êtres à nommer les choses. Pour ce faire, nous devons distinguer les choses – cette chose-ci n’est pas cette chose-là. Nous voyons ce que les choses ont en commun, ce qui les différencie. Cette différence entre les choses que nous nommons avec nos mots exige notre honnêteté.

Mgr Robert Sokolowski a écrit : « si nous n’utilisons pas les mots avec leur syntaxe, l’intelligibilité des choses ne sera pas identifiée et démontrée. Elle ne sera pas mise en lumière. Les mots font apparaître sa présence, l’intelligibilité est potentielle, non réelle, et il n’y aura pas de compréhension s’il n’y a pas de mots ni de gens pour les utiliser. » (Phénoménologie de la personne humaine).

L’intelligibilité se trouve toujours dans les choses. Nous ne l’y mettons pas. Nous l’y trouvons. Les mots expriment ce que nous trouvons.

Le mal dans l’énonciation d’un mensonge, dans la déclaration ou l’insinuation délibérées que ce qui est n’est pas, est la rupture d’un lien de confiance entre nos esprits et ce qui est. A contrario, le bien est l’affirmation de la vérité des choses. Nous donnons le nom qui convient aux choses que nous rencontrons.

Un bon dictionnaire nous donnera souvent l’histoire d’un mot – l’époque de sa première utilisation, ses différents sens le cas échéant. Nous savons également qu’un même objet, disons une chaise, aura autant de phonèmes différents pour le nommer qu’il y a de langages.

Supposons que nous avons une centaine d’hommes, chacun parlant un langage différent, réunis autour d’une chaise. Si nous demandons : « qu’y a-t-il là au milieu ? », nous allons entendre cent sons différents. Mais tous font référence à la même réalité. Nos langages peuvent nous séparer, mais la réalité qu’ils indiquent nous unit.

Pourquoi réfléchir sur le mot « mot » ? Le mot fait référence à quelque chose qui est déjà là. Nous lui avons donné un nom. Nous lui avons attribué un mot. Nous nous éloignons de l’objet mais nous conservons le mot dans nos esprits. Nous parlons à d’autres de quelque chose. Nous devons trouver un langage commun. Une fois que nous l’avons fait, nous vivons dans le même monde, sauf si nous nous mentons les uns aux autres.

Le fait que nous soyons capables de mentir, et que nous mentions effectivement, ne réfute pas le fait que les mots ont un sens précis. De vrai, le fait même que nous soyons capables de détecter un mensonge signifie que nous pouvons connaître la vérité. Le « père du mensonge », dans le Jardin d’Eden, a dit : « vous ne mourrez pas ». il savait finalement mieux que ceux qu’il a trompés.

Toutes choses ont été créées dans le Verbe. L’intelligibilité des choses est rendue manifeste et désignée par des mots. Le mot fait connaître ce qui existe. Le Verbe est la source de tous les mots.


James V. Schall S.J., qui a été professeur à l’université de Georgetown durant trente cinq ans, est l’un des écrivains catholiques les plus féconds en Amérique.

Illustration : « La tour de Babel » par Lucas van Valckenborch 1594 [musée du Louvre – Paris]

Source : https://www.thecatholicthing.org/2018/09/25/on-words/