Les funérailles, un temps « d'annonce de la conversion et du Salut » - France Catholique
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Les funérailles, un temps « d’annonce de la conversion et du Salut »

L’abbé Thomas Chapuis est chargé de 79 clochers dans sa paroisse rurale du Cœur-Immaculé de Marie, dans l’Oise. Les funérailles sont devenues, selon lui, l’un des premiers lieux d’évangélisation. Entretien.
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© Fred de Noyelle / Godong

Combien de funérailles célébrez-vous chaque année ?

Abbé Thomas Chapuis : Dans les paroisses rurales de taille importante, les funérailles ont pris proportionnellement une place croissante dans la vie pastorale. Alors que de nombreuses activités paroissiales ont tendance à décroître – catéchisme, baptêmes, mariages, célébrations dominicales –, le nombre d’obsèques chrétiennes demeure important, presque stable : entre 250 et 300 par an sur ma paroisse ! La pyramide des âges ne suffit pas à expliquer ce phénomène : les jeunes générations déchristianisées continuent à faire appel à l’Église à l’occasion d’un deuil. Les questions de la signification de la mort, du drame de la souffrance et de la permanence de la vie de l’âme sont profondément inscrites dans le cœur de la personne humaine. L’absence de Dieu dans la société ne les a pas effacées. À cet égard, la foi chrétienne a des réponses et une espérance à transmettre.

Quelle importance accordez-vous aux funérailles dans votre ministère de prêtre ?

L’inhumation, la prière pour les défunts et la consolation des affligés font partie des œuvres de miséricorde et concernent chaque baptisé. Elles constituent aussi une mission spécifique du prêtre, qui signifie et réalise sacramentellement la présence du Christ pasteur auprès de son peuple souffrant. Ces missions « qualifient » l’identité du prêtre, et nous pourrions nous interroger sur les pastorales qui écartent le prêtre de la célébration des funérailles, soit par confort, soit par idéologie…

Il reste que la situation actuelle est, pour les paroisses et leurs pasteurs, un immense défi, en termes de temps, de personnes disponibles, de stress, mais aussi de cohérence de l’annonce de l’Évangile. Cette mission prend donc beaucoup de place dans mon ministère, mais elle peut aussi être source de fragilité et de fatigue lorsqu’elle est trop importante. Le curé de paroisse que je suis ne peut absolument pas assumer seul cette charge et cette annonce. La présence de fidèles baptisés à ses côtés est indispensable et, lorsqu’un prêtre ou un diacre ne peut pas être présent, c’est une mission qui peut leur être déléguée. Ils l’assument d’ailleurs avec courage et foi !

Les familles demandent-elles encore une messe lors des funérailles ?

L’expression de la foi de l’Église dans la liturgie des funérailles est bousculée par la déchristianisation des familles et les demandes qui en découlent. C’est indéniable. Dans ma paroisse rurale, pour les funérailles, il est désormais assez rare que l’Eucharistie soit demandée. Mais quand elle l’est, nous ne la refusons pas, même quand les familles sont éloignées de la foi. La proportion de célébrations d’obsèques sans messe est probablement voisine de 95 %. Nous prions aussi pour les défunts de la paroisse à l’occasion des messes, célébrées ou non à leur intention, car l’Église ne peut priver le défunt des secours de la messe. Bien entendu, quand la messe est célébrée au cours des obsèques, avec une assemblée réellement participante, les fruits de paix et d’espérance sont d’une autre mesure que sans la messe.

Faites-vous face à des demandes incongrues ?

Il y a là un enjeu important. Dans une compassion mal comprise, et face au désarroi des familles qui veulent rendre un hommage à leur défunt, il est plus facile de « séculariser » nos célébrations que d’annoncer vraiment la foi telle que l’Église nous la transmet dans la liturgie… L’exemple donné lors des obsèques de célébrités publiques ne nous rend pas toujours service, quand la liturgie de l’Église cède la place aux chansons profanes et aux interventions affectives ou mondaines, parfois très éloignées de la foi chrétienne. Les évêques devraient y mettre une limite ! Mais il faut reconnaître que la pression de la société est immense dans ces situations…

Le résultat de cette catharsis émotionnelle, subjective et larmoyante, est souvent très éloigné de l’espérance que doit transmettre la célébration des obsèques chrétiennes et de l’annonce qui en découle. Comment trouver les mots pour refuser à une famille la chanson préférée de leur défunt lorsque la référence des obsèques à l’église, ce sont les obsèques de Johnny Halliday ou de la princesse Diana ? La paroisse n’organise pourtant pas une célébration d’hommages : elle célèbre et annonce le mystère de la rédemption face à la mort et intercède pour les défunts. Il nous faut accompagner au mieux les familles dans ces choix. Ce n’est pas toujours évident.

Comment prêcher face à un auditoire déchristianisé ?

Le célébrant ne connaît pas toujours le défunt, en raison de la distance des familles avec la paroisse. Trop d’homélies stéréotypées en ont parfois découlé et ont poussé les familles à souhaiter délivrer leurs témoignages, pour mettre un peu « de chair, d’histoire et de larmes » dans nos célébrations. Or une première étape de l’annonce de notre espérance consiste précisément à montrer que le Salut que nous proclamons est pour celui-là même que nous présentons à Dieu. Il s’agit de tirer de sa vie du neuf – ce qui, dans son histoire, annonce l’espérance, appelle la nouveauté de la vie éternelle – et de « l’ancien », qui doit mourir : péché, souffrances, fragilités, qui appellent la miséricorde de Dieu. Cette étape requiert de la part du pasteur une réelle attention à faire droit, avec finesse, à l’évocation du défunt – non pour elle-même mais pour l’annonce de la conversion et du Salut.

Quels sont les thèmes qui vous paraissent incontournables ? Comment choisissez-vous l’Évangile ?

Le choix d’un Évangile est délicat car les familles un peu éloignées se tourneront souvent vers les passages les plus consensuels, les moins rugueux. Ils en font souvent une lecture très humaniste, axée sur le service ou l’amour du prochain ; toutes valeurs profondément évangéliques mais qui se comprennent à la lumière de la grâce, de la miséricorde et de la foi agissante. L’annonce de l’Évangile en vérité suppose que nous puissions aussi aborder les thèmes aussi forts que ceux de la conversion, de la Croix, de la foi en Jésus-Christ Seigneur, du jugement particulier, de la résurrection de la chair… Paradoxalement, cela est indispensable si nous voulons que l’annonce de l’Amour de Dieu ait de la consistance ; nous ne pouvons en rester aux sentiments. Si tout le monde est beau, gentil et le salut automatique, la Croix du Seigneur est vidée de sa signification et de sa valeur.

Les funérailles peuvent-elles être le lieu d’un véritable retour à Dieu et à la foi ?

De manière générale, je pose l’acte de foi que la société est reconnaissante à l’Église de répondre présente dans ces moments douloureux, et je vois que les familles se trouvent souvent pacifiées. De manière particulière, une part importante des fidèles qui reviennent aujourd’hui à la foi l’ont été à la suite de l’accompagnement des funérailles de leur proche. Ce retour à la foi est souvent assez discret car il intervient dans une période de deuil. Mais parce qu’il s’est confronté au cœur du mystère du Salut, qu’il est passé à travers la souffrance jusqu’à l’espérance répandue en nos cœurs, il est souvent solide. Nombre de demandes de baptême font aussi suite à de telles expériences. La confrontation avec la mort conduit toute personne qui cherche en vérité à répondre à la question fondamentale de la vie après la mort et de Dieu. Un choix est indispensable.

Quels en sont les fruits spirituels et surnaturels pour votre paroisse ?

La charité, la compassion, le dévouement, l’esprit de sacrifice, de la part de ceux qui accompagnent les obsèques, sont les signes surnaturels les plus visibles. Nous ne devons pas ignorer la charge importante que cela représente, sans toujours de reconnaissance. Les fruits surnaturels invisibles nous viennent probablement du Ciel lui-même et de l’assemblée des saints et des bienheureux que nos prières, associées au Sacrifice du Christ, ont accompagnés auprès du Père.

À l’approche de la commémoration des défunts, quel message souhaitez-vous adresser ?

La mort de nos défunts nous rappelle la fragilité de notre existence, nous sommes posés sur l’abîme ! Ce monde, dans ses réalités matérielles ou temporelles, fuit comme une ombre… Or, pour la foi chrétienne, nous ne nous dissolvons pas après la mort. Ce qui fait l’être le plus personnel, ce que nous percevons de plus irréductible en l’homme, que nous nommons l’âme et qui est la vraie valeur, demeure en Dieu et en vue de Dieu qui veut se donner à nous, partager avec nous sa beauté et sa bonté.