Les écrivains face à la mort - France Catholique
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Enfance : éduquer à la sainteté
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Les écrivains face à la mort

Et si la spiritualité d’un écrivain se comprenait au moment de sa mort ? Le journaliste Robin Nitot – qui sera présent au festival du livre à Angers – raconte les derniers instants de Molière, de Péguy et de plusieurs autres auteurs dans La Plume et le Tombeau (Salvator).
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Molière mourant assisté de deux Sœurs de la Charité, 1806, Pierre-Auguste Vafflard.

Votre ouvrage comporte des récits surprenants, comme celui d’Arthur Rimbaud recevant les derniers sacrements. Le poète s’était-il « in extremis » réconcilié avec Dieu ?

Robin Nitot : La sœur d’Arthur Rimbaud a insisté pour qu’il se confesse avant d’expirer. Elle prévient d’abord le prêtre, en lui disant que son frère ne partage pas sa piété, et s’est même déjà montré par le passé franchement hostile aux dogmes de la religion. Pourtant, à la fin de la rencontre, le prêtre sort en disant : « Votre frère a la foi, mon enfant, que nous disiez-vous donc ! Il a la foi, et je n’ai même jamais vu de foi de cette qualité ! » Rimbaud s’était non seulement confessé, mais il avait demandé les derniers sacrements. Cette réconciliation était-elle en gestation depuis longtemps ? Est-elle l’effet d’un sursaut de spiritualité avant la mort ? Rimbaud a emporté ces secrets dans la tombe.

Au seuil de la mort, Molière cherchera à avoir une mort chrétienne, mais il sera privé des derniers sacrements. Son trépas illustre aussi une époque de la vie de l’Église…

Molière consacre sa vie à la scène, joue trois soirs par semaine pendant presque trente ans, ne craint pas de se mettre à dos les tartuffes, les faux dévots et l’Église, le tout en exerçant un métier au statut ambigu car frappé d’excommunication jusque sous Louis XIII. Mais, au moment de mourir, il se souvient de son baptême, il est prêt à abjurer son métier et à supplier les prêtres de venir l’absoudre. Il s’entoure même de religieuses pour prier à son chevet pendant son agonie. Mais le prêtre refuse de faire le déplacement pour le confesser. On fait appel à un deuxième abbé, qui refuse lui aussi. Un troisième finit par accepter, mais trop tard : Molière est mort.

Commencent alors les tractations entre sa veuve, Armande Béjart, et l’archevêque de Paris, auprès duquel la pauvre épouse essaie d’obtenir des funérailles chrétiennes pour son mari. Elle argue de la relative pratique religieuse du défunt, présente comme témoin un abbé lui ayant donné la communion à Pâques, et insiste sur la faute des clercs qui ont refusé de l’accompagner dans son agonie. L’affaire est embarrassante pour l’archevêque, qui accepte les funérailles chrétiennes, sous conditions : elles doivent être réduites au service minimal, nocturnes, et sans être annoncées au public. Cela ne suffit pas à garantir la discrétion de la cérémonie le 21 février 1673. Elle réunit, par le seul bouche-à-oreille, près de 800 personnes pour une procession aux flambeaux afin d’amener le cercueil jusqu’à l’église Saint-Eustache, où la messe sera célébrée par deux prêtres. Contrairement à Don Juan qui, dans sa pièce de théâtre, ne renonce pas à son impiété au seuil de la mort, Molière n’hésite pas une seconde à se jeter dans les bras de l’Église pour donner la priorité au salut de son âme.

Pour Charles Péguy, mort au front en 1914, vous évoquez « une fin-couronnement », incorporée à son œuvre. Que voulez-vous dire ?

La mort de Péguy intervient à la fin d’une longue marche vers l’Église, à l’apogée d’un parcours sinueux et douloureux du socialisme anticlérical au christianisme. Il y a quelque chose d’extrêmement touchant à le voir se débattre au fil des années avec ses doutes et ses questions, à rester sur le pas de l’Église même après son retour à la foi, pour qu’il finisse, quelques jours avant sa mort, par retourner pour la première fois à la messe. Ce sera le 15 août 1914, jour de l’Assomption de la Vierge Marie qu’il a tant priée. Péguy savait qu’il ne pouvait pas mourir sans avoir d’abord conclu cette aventure spirituelle. Si je parle de « fin-couronnement », c’est parce qu’on ne peut oublier ce vers prophétique paru dans le long poème Ève quelques mois avant le début de la guerre : « Heureux ceux qui sont morts pour la terre charnelle. »

L’écrivain Daniel-Rops écrit dans son Péguy, de 1933 : « Il est de ces écrivains qui ne sont pas arrivés à l’expression totale d’eux-mêmes, dont la personnalité vivante dépasse et déborde la personnalité littéraire. Leur œuvre n’est qu’un moyen d’expression de l’âme. » De son côté, Romain Rolland écrira à propos de sa mort le 5 septembre 1914, aux premières heures de la bataille de la Marne : « Oui, c’était l’heure exacte, c’était le lieu, où devait s’achever cette vie héroïque. Il n’eut pas souhaité une autre fin : elle comblait ses vœux les plus profonds. » En mourant au front, le lieutenant Charles Péguy réconciliait tous ses combats et accomplissait son travail de soldat, d’essayiste, de poète et de chrétien.

Vous évoquez un possible baptême pour la philosophe Simone Weil au moment de rendre l’âme…

À en croire son amie Simone Pétrement, citée par l’écrivain Georges Hourdin, auteur d’une biographie de référence sur Simone Weil, elle aurait bien été baptisée à l’article de la mort, dans le plus grand secret, par son amie Simone Deitz ! Le baptême peut, en effet, être administré par une personne qui n’est pas clerc dans le cas d’un danger de mort imminent. L’idée selon laquelle elle aurait demandé le baptême in extremis est soutenue dans sa lettre écrite à son ami le Père Perrin : « Dieu ne me veut pas dans l’Église. N’ayez aucun regret. […] Il me semble que sa volonté est que je reste au-dehors à l’avenir aussi, sauf peut-être au moment de la mort. » Il semblerait donc qu’un élan d’humilité l’ait finalement poussée à faire sienne la condition de chrétienne catholique en entrant dans l’Éternité.

Il y a un mystère Antoine de Saint-Exupéry. Vous présentez l’écrivain comme un chrétien qui s’ignore. Pourquoi ?

Saint-Ex n’avait, selon ses dires, pas la foi. Pourtant, la religion nourrit toute sa vie, ses écrits comme ses engagements : « Il faut servir l’idée chrétienne du Verbe qui se fait chair », dit-il pour justifier son engagement physique dans la Résistance. Il ne renie jamais son éducation religieuse, porte toute sa vie dans son portefeuille une image de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, part prier à Lourdes dès la défaite de 1940, porte un attachement aux textes chrétiens notamment dans son ouvrage Citadelle. Lors de ses missions de pilote de guerre, il joue souvent avec la vie, comme prêt à mourir parce qu’il fait son devoir mais aussi parce que la modernité le dégoûte. « Je hais mon époque de toutes mes forces. L’homme y meurt de soif », écrira-t-il dans sa Lettre au général X. Sa dernière mission, le 31 juillet 1944, lui épargne de voir évoluer un monde qu’il craint tant lorsque son avion s’abîme dans la Méditerranée. 

La Plume et le Tombeau, Robin Nitot, éd. Salvator, 224 pages, 18,90 €.

1er Festival du livre chrétien
Le 1er février aura lieu, à Angers, la première édition de ce festival littéraire, organisé par les librairies Siloë d’Angers et Nantes. Robin Nitot y sera présent, France Catholique également, avec une soixantaine d’auteurs chrétiens : Chantal Delsol, Henri d’Anselme, Alexandre Caillé… Au programme : dédicaces, interventions de certains auteurs et table-ronde. Un prix des librairies Siloë sera remis à un auteur. De 10 h à 18 h, à l’UCO, bâtiment Bazin, 3 place André-Leroy, 49000 Angers.