Les cinq « Padre » de Diên Biên Phu - France Catholique
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Les cinq « Padre » de Diên Biên Phu

Il y a 70 ans, pour accompagner les hommes piégés à Diên Biên Phu face au Vietminh, cinq aumôniers – quatre catholiques et un protestant – furent dépêchés dans la cuvette. Ils surent leur apporter un puissant réconfort sous l’orage d’acier.
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Des soldats français capturés de Diên Biên Phu

Des soldats français capturés de Diên Biên Phu, escortés par des troupes vietnamiennes, marchant vers un camp de prisonniers de guerre, 1954.

Rarement hommes d’Église eurent l’occasion de vivre dans une « paroisse » aussi bigarrée que celle constituée par les 15 000 combattants qui constituaient la garnison du camp retranché, dont l’état-major espérait faire un puissant môle à partir duquel déclencher des offensives dans ce secteur stratégique du Tonkin. Des Français, bien sûr, mais aussi des Vietnamiens, des Thaïs, des Nord-Africains, des Sénégalais, et toute la gamme des Européens qui constituaient le gros des unités de la Légion.

Militaires et « civils »

Nommé par le colonel de Castries, qui commande la place, le Père Yvan Heinrich est le responsable de l’aumônerie pour tout le camp. Ordonné prêtre en 1946, il est aumônier militaire depuis 1952. Le second aumônier militaire stricto sensu est le Père Michel Trinquand, ordonné en mars 1945 et qui a participé aux derniers combats de la Seconde Guerre mondiale dans les rangs de la Première Armée. Pendant trois ans, il a dû batailler ferme pour aller en Indochine. À Diên Biên Phu, il est affecté à la 13e demi-brigade de Légion étrangère (13e DBLE), unité mythique de la Légion qui a forgé son mythe à Bir Hakeim. Ce tandem s’est trouvé renforcé par deux prêtres « civils », issus des Missions étrangères de Paris : le Père Paul Guidon – ordonné en 1935, envoyé au Tonkin deux mois après – et le Père Paul Guerry, ordonné en 1948. Tous deux ont dû se replier en décembre 1953 du secteur de Laïchau dans lesquels ils étaient en mission et se sont réfugiés à Diên Biên Phu.

Ces quatre prêtres sont arrivés sur place avant l’attaque qui démarre le 13  mars 1954. Durant les 57 jours que va durer le « Verdun indochinois », ils vont se dépenser dans des conditions de plus en plus atroces puisqu’à partir du 27 mars, des pluies diluviennes et la DCA empêchent toute rotation aérienne. Seuls quelques Dakotas parviennent à larguer par petits paquets les ultimes volontaires. Parmi ceux-ci, le pasteur Tissot, qui parvient à embarquer le 19 mars sur le tarmac d’Hanoï. Dans ses pas, un certain Pierre Schoendoerffer qui se fait passer pour son secrétaire pour pouvoir monter à bord !

Tandis que le Père Heinrich est affecté au QG du colonel de Castries, le Père Guidon et le pasteur Tissot sont stationnés sur Isabelle, le point d’appui où se bat notamment le 3e régiment étranger d’infanterie (3e REI). Le Père Trinquand, lui, est en position sur Béatrice où le chef de corps de la 13e DBLE, le colonel Gaucher, est tué dès le 13 mars par un obus de 105 mm qui frappe son poste de commandement. Quant au Père Guerry, il reste auprès des partisans et réfugiés thaïs venus avec lui de Laïchau, puis à partir de la généralisation des combats, rejoint l’antenne chirurgicale du médecin-commandant Paul-Henri Grauwin, où il croise chaque jour Geneviève de Galard, « l’ange de Diên Biên Phu ».

Un dévouement sans limite

C’est le Père Trinquand qui a livré le témoignage le plus nourri sur cette expérience dans un article publié en 1965 dans la revue Ecclesia. « Heinrich, Trinquand, Guidon, Guéry, avec le pasteur Tissot, se trouvaient là pour dire bien plus par leur présence que par leurs paroles que le Christ est venu parmi les hommes pour donner un sens à leur vie, même si celle-ci, vouée à la violence, semble déboucher dans l’absurde », écrit-il.

Les scènes admirables se multiplient. Le Père Heinrich « est présent partout, auprès des innombrables blessés, toujours prêt à assister et bénir les mourants, veillant à la sépulture des morts. Il porte sur lui, en permanence, les hosties consacrées afin de pouvoir donner la communion n’importe où et à ceux qui le demandent », rappelera-t-on lors de ses funérailles en 2012. On raconte même qu’un jour le Dr Grauwin le vit baptiser deux soldats vietminh. « Le Père Paul [Guerry] s’occupe des blessés vietminh faits prisonniers et il obtient d’un médecin les soins médicaux les plus indispensables », rapporte son ami et biographe Charles Jouanade. « Ceux qui ont connu celui que nous appelions fraternellement “pasteur” [Tissot] gardent le souvenir de son calme courage et surtout de la certitude qu’il donnait aux croyants que le Christ était avec lui. Sans même dire un mot, par la seule tendresse de son regard, la douceur de son sourire et la simplicité avec laquelle il rendait service, même lorsque, blessé par un éclat d’obus au bras, il n’avait qu’une seule main valide », rapportera encore le Père Trinquand. L’un des moments les plus émouvants est la messe de Pâques, le 18 avril 1954, le jour de l’évacuation d’Huguette 6 : une table d’opération – dit-on – fut transformée en autel de fortune.

Les cinq padre échappent à la mort, mais à l’issue des combats, le 7 mai, quand l’ordre est donné de cesser le feu, de briser les radios et de détruire les armes, ils sont faits prisonniers et prennent le chemin des camps de rééducation avec 10 300 camarades, dont – soulignons ce chiffre effroyable – seulement 3 300 seront libérés après les accords de Genève du 21 juillet 1954. Séparés des hommes durant la captivité, ils ne manqueront pas de protester auprès des autorités vietminh.

Le Père Heinrich poursuivra son action au sein de l’aumônerie militaire. On le retrouvera en Algérie. Le Père Trinquant retournera en France dans le village de Misy (Yonne) où il avait été curé. Le Père Guidon poursuivra son œuvre de missionnaire en Thaïlande. Le Père Guerry également, mais au Brésil. Quant au pasteur Tissot, il retournera en métropole pour y reprendre ses activités pastorales dans le pays de Montbéliard, tout en s’engageant aussi dans la Société des Missions évangéliques de Paris.