Les catholiques américains à la reconquête du bien commun - France Catholique
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Marie dans le plan de Dieu
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Les catholiques américains à la reconquête du bien commun

Alors que Donald Trump a remporté l'élection présidentielle américaine, retour sur la place éminente tenue par les catholiques dans le paysage intellectuel américain, qui pensent l’Amérique de demain.
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La cathédrale Saint-Patrick à New York, aux États-Unis. © Jimmy Teoh / pexels-

Article initialement publié le 25 octobre 2024.

La devise « In God we trust » – « En Dieu nous croyons » – qui frappe tous les billets et pièces de monnaie américaines depuis le milieu du XIXe siècle, et qui est même devenue la devise officielle du pays en 1956, détonne toujours, vue d’une France habituée à la laïcité de 1905. Aux États-Unis, pays majoritairement chrétien (lire encadré ci-dessous), la question religieuse est beaucoup moins taboue, au point d’irriguer des courants de pensée occupant le devant de la scène intellectuelle et politique publique. Un courant, en particulier, est sous le feu des projecteurs depuis la nomination en juillet de l’un de ses représentants, J. D. Vance, sénateur de l’Ohio et converti au catholicisme, comme colistier de Donald Trump : « post-libéralisme », « illibéralisme »… Les termes fleurissent, se recoupent parfois, témoignant de la vitalité d’une école de pensée parcourue de différents courants, ayant en commun une remise en cause du libéralisme économique et moral influencée par la pensée catholique, et se diffusant dans les campus et les séminaires américains.

Libéralisme débridé

C’est en 2018 que le post-libéralisme s’est véritablement imposé dans le paysage intellectuel, avec la parution de Pourquoi le libéralisme a échoué (traduit en 2020 chez L’Artisan). Son auteur, Patrick Deneen, est professeur de sciences politiques à l’université Notre-Dame dans l’Indiana et est un converti à la foi catholique. Dans ce livre, il y développe l’idée selon laquelle la Constitution américaine, cherchant à protéger les droits et les libertés des citoyens avant tout, a totalement délaissé la notion de bien commun, provoquant l’avènement d’un libéralisme débridé. « Les post-libéraux considèrent que ce libéralisme, incarné par la gauche, est responsable de la déréliction de la société américaine et qu’il risque d’entraîner des catastrophes sociales », résume Blandine Chelini-Pont, professeur d’histoire contemporaine à l’université d’Aix-Marseille et auteur de plusieurs travaux sur le post-libéralisme. La thèse de ces post-libéraux est simple : en réduisant les individus à l’exercice et au respect absolu de leurs droits, le libéralisme fractionne la société.

Que le terme de « bien commun » soit fixé comme horizon politique est loin d’être un choix neutre : il révèle d’emblée l’influence décisive de la foi catholique sur le post-libéralisme. L’une de ses sensibilités, dite « intégraliste », aujourd’hui en perte de vitesse, a d’ailleurs été portée par des théologiens comme Edmund Waldstein. Ce cistercien reprend la théorie de saint Augustin, exprimée dans La Cité de Dieu, sur la nécessité de subordonner le pouvoir temporel au pouvoir spirituel. Quant à saint Thomas d’Aquin, autre figure de l’Église développant cette idée de bien commun, il irrigue la pensée influente d’Adrian Vermeule, professeur de droit constitutionnel à l’université d’Harvard et, lui aussi, converti à la foi catholique.

Des universités à la politique

L’une des raisons de la vitalité du discours post-libéral aux États-Unis est à chercher dans sa popularité dans une partie des campus du pays. « De nombreux jeunes Américains, le plus souvent des hommes blancs, expliquent avoir réalisé qu’il était de plus en plus compliqué pour eux d’entrer dans des grandes institutions auxquelles ils pouvaient autrefois prétendre, au nom de la priorité accordée aux minorités, avance Paul Carpenter, chercheur franco-américain en sciences religieuses. Ils sont arrivés à la conclusion que le projet libéral aboutit, en fin de compte, à une intolérance qui les exclut : ils se sont donc mis à penser un autre système, le post-libéralisme. »

Phosphorant dans le milieu universitaire et pouvant paraître très intellectuelle et relativement éloignée d’une application politique concrète, la pensée post-libérale portée par ces intellectuels catholiques parvient pourtant à franchir les murs. « Ces intellectuels n’ont certes pas de pensée politique pratique, mais ceux qu’ils inspirent vont chercher à l’appliquer de manière concrète, estime Blandine Chelini-Pont. Ce courant influence notamment le milieu des think-tanks [groupes de réflexion, NDLR], parmi lesquels le Parti républicain va venir puiser. » L’imprégnation du post-libéralisme dans la pensée conservatrice a ainsi été révélée au grand jour de l’une des manières les plus spectaculaires qui soit : la nomination du sénateur de l’Ohio, J. D. Vance, comme candidat à la vice-présidence des États-Unis au côté de Donald Trump. Ce converti au catholicisme de 40 ans ne cache en effet rien de sa proximité avec cette école de pensée : en 2023, il était apparu aux côtés de Patrick Deneen dans une conférence intitulée « Changement de régime », en se revendiquant « explicitement contre les élites et le régime libéraux » et n’hésitant pas à parler, lui aussi, de « bien commun ».

Le précédent « Roe v. Wade »

Pour pénétrer la société, les post-libéraux ont en commun un pragmatisme politique commun au mouvement pro-vie, dont ils partagent les objectifs et qui s’est illustré en 2022, lorsque l’arrêt « Roe v. Wade », qui constitutionnalisait l’avortement, a été révoqué. Ce renversement n’a été rendu possible que par un long travail de formation de juristes par les milieux pro-vie, qui avaient, pendant des décennies, patiemment remis en cause l’arrêt jusqu’à réussir à le porter devant la Cour suprême, où règne désormais une majorité conservatrice – et catholique. « L’idée des post-libéraux est simple : il y a 50 ans, les libéraux étaient minoritaires et aujourd’hui, ils sont au pouvoir. Ainsi, pour les remplacer, il suffit d’appliquer les mêmes recettes qu’eux, afin d’investir les milieux de la politique et de la culture », résume Paul Carpenter. « [Il faut] prendre le contrôle et […] transformer le régime en décomposition à partir de son propre noyau », expliquait ainsi en 2018 Adrian Vermeule, dans une recension de Pourquoi le libéralisme a échoué, parue dans la revue American Affairs. « La vaste bureaucratie créée par le libéralisme à la poursuite d’un mirage de gouvernance dépolitisée peut, par la main invisible de la Providence, être tournée vers de nouvelles fins, devenant le grand instrument avec lequel restaurer une politique substantielle du bien », espérait-il encore dans son article au titre révélateur : Integration from within, « l’intégration depuis l’intérieur ».

Doctrine sociale de l’Église

Reflétant sa volonté de proposer une refonte générale du système américain, le post-libéralisme s’aventure également sur le terrain économique en convoquant, là encore, la tradition catholique. Juste salaire, politiques familiales, soutien des corps intermédiaires, principe de subsidiarité… « Les post-libéraux sont allés chercher dans la doctrine sociale de l’Église une remise en question du libéralisme économique, avec l’idée que la qualité de vie doit être le devoir moral d’un bon gouvernement », souligne Blandine Chelini-Pont. « Le principal apport de l’enseignement social de l’Église est la réconciliation des classes en vue du bien commun, avance pour sa part Sohrab Ahmari, auteur de Tyrannie and co (éd. Salvator). Pour cela, l’État doit limiter le pouvoir des plus riches et soutenir les plus pauvres, sans que cela ne se transforme pour autant en une vénération de la classe ouvrière. » Dans un conservatisme américain encore marqué par le libéralisme débridé de l’ère Reagan (1981-1989), le positionnement social des post-libéraux détonne et séduit une partie des électeurs. « Le post-libéralisme est plus adapté à l’électorat populaire que la droite classique, car il se situe plus à gauche sur le plan économique », remarque Paul Carpenter.

Mais bien commun et doctrine sociale suffisent-ils à faire du post-libéralisme un mouvement promu par l’Église aux États-Unis ? « Nous assistons à une phase de transition, où le post-libéralisme devient fréquentable petit à petit, bien que l’Église reste très prudente, relève Paul Carpenter. Certains des représentants post-libéraux ont de bonnes relations avec l’épiscopat américain, issu de la génération Jean-Paul II et Benoît XVI, c’est-à-dire conservateur mais s’accommodant tout de même avec le libéralisme. » Fait notable : Patrick Deneen est apparu dans le très populaire podcast de Mgr Robert Barron, évêque de Winona-Rochester (Minnesota) et personnalité médiatique. « Son podcast est un bon curseur de la ligne de l’USCCB [l’équivalent américain de la Conférence des évêques de France, NDLR] indique encore Paul Carpenter. Le fait que Mgr Barron discute avec Deneen est la preuve que le courant de pensée qu’il représente est jugé digne d’intérêt. »

Aux portes de la Maison-Blanche

Éclos il y a moins de dix ans, le post-libéralisme est-il parti pour durer ? « Au vu de la polarisation extrême de la vie politique américaine, les post-libéraux ont de l’avenir », estime Blandine Chelini-Pont. « L’avenir du mouvement post-libéral semble prometteur, quelle que soit l’issue du scrutin, abonde Paul Carpenter. Soit Trump gagne et certains catholiques post-libéraux seront aux affaires. Soit il perd, laissant un Parti républicain décapité, offrant pour les post-libéraux l’opportunité de parvenir au sommet du parti. »

Au-delà de la question politique, l’avenir d’un mouvement plaçant le bien commun au-delà de la défense absolue des droits individuels paraît s’ancrer également dans le dynamisme du catholicisme outre-Atlantique. « Nous sommes arrivés à un stade où les post-libéraux ont gagné la bataille des idées chez les jeunes conservateurs dans les milieux d’élite américains, relève Paul Carpenter. Dans le même temps, on observe même de leur part un grand mouvement de conversion à la foi catholique. » Il en est de même pour les prêtres de demain : une grande enquête du New York Times, publiée en juillet dernier, constatait la pénétration de ces idées dans les séminaires et arrivait à la conclusion que « dans un avenir proche, le prêtre catholique libéral pourrait disparaître aux États-Unis ».

Si le phénomène reste difficile à quantifier et si les catholiques américains ne sont pas réductibles aux conservateurs, une jeune génération associant engagement politique et foi catholique sous l’égide du bien commun semble donc émerger aux États-Unis. Le résultat de l’élection présidentielle du 5 novembre sera à scruter de près et l’éventuelle recomposition politique qui suivra le sera encore plus. Une chose est sûre : les catholiques américains n’ont pas fini de faire parler d’eux. 

SONDAGE
Les catholiques aux États-Unis

Selon un sondage de l’institut Gallup publié en 2023, 22 % des Américains se disent catholiques. Si le nombre est inférieur aux protestants (33 %), il est deux fois supérieur à ceux qui, bien que se disant chrétiens, ne se reconnaissent dans aucune confession en particulier (11 %). La part de catholiques reste inchangée depuis 1948, tandis que celle des protestants a chuté – ils étaient 69 % à l’époque.
Dans une société américaine où le nombre d’athées ne cesse d’augmenter – ils sont désormais 22 % – et où le protestantisme chute de manière rapide, la stabilité des catholiques est un signe de leur vitalité et un gage de visibilité, les rendant mécaniquement de plus en plus visibles parmi les chrétiens.