Les bâtisseurs de cathédrales sont-ils les ancêtres des francs-maçons ? - France Catholique
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Les bâtisseurs de cathédrales sont-ils les ancêtres des francs-maçons ?

Les artisans du Moyen Âge n'étaient pas les précurseurs de la Révolution. La prétention des francs-maçons à s'en réclamer est une tromperie.
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La reine de Saba devant le Temple de Salomon à Jérusalem, 1657, Salomon de Bray, musée Frans-Hals, Haarlem, Pays-Bas.

Vous avez remarqué ? Il n’est pas rare que les bougres les plus anticléricaux témoignent de quelque indulgence, voire de quelque tendresse pour les cathédrales gothiques. À l’évocation des bâtisseurs médiévaux, ils s’échangent volontiers des clins d’œil appuyés. Pourquoi donc ? Pour une raison simple : ils s’en estiment les héritiers, voire les seuls héritiers légitimes, attendu qu’à les écouter, les cathédrales auraient été construites par des confréries de libres-penseurs avant la lettre, possesseurs d’une doctrine ésotérique, dont la franc-maçonnerie serait la moderne détentrice.

« Une tradition inventée »

Il est vrai que le vocabulaire et le symbolisme des francs-maçons sont empruntés à la corporation médiévale des bâtisseurs : loge, équerre, compas, ciseau, fil à plomb, maillet, règle, pierre brute et pierre taillée. De même, les trois premiers grades de la franc-maçonnerie reprennent les trois premiers grades des corporations : apprenti, compagnon et maître, tous tenus à la transmission des « secrets » maçonniques et autres « mots de passe », analogues des secrets professionnels de jadis.

Ainsi la « maçonnerie opérative », celle des bâtisseurs de cathédrales, se serait-elle transformée en « maçonnerie spéculative », celle des francs-maçons modernes, en Angleterre à la fin du XVIIe siècle. Le passage se serait produit progressivement au sein des loges opératives, sociétés d’entraide qui, pour des raisons financières, auraient admis en leur sein des bourgeois étrangers à la profession – 
gentlemen masons. Tant et si bien que ces sociétés auraient changé de nature pour devenir des clubs de réflexion, travaillant au « perfectionnement de l’Humanité », nourris d’une spiritualité mystérieuse autrefois cultivée par les maçons opératifs. Tout cela n’est que légendes.

Roger Dachez, l’un des meilleurs historiens de la franc-maçonnerie, franc-maçon lui-même, l’a bien établi (Les Francs-maçons de la légende à l’histoire, Paris, Tallandier, 2003) : cette histoire de transition de la maçonnerie opérative à la spéculative n’est qu’une fiction, une « tradition inventée » visant à fournir un folklore, un rituel et des origines immémoriales aux sociétés de pensée des élites libérales, alors naissantes. Si rien ne permet de documenter une continuité entre les deux maçonneries, il faut reconnaître que le symbolisme architectural était bien choisi par la seconde : il convenait parfaitement aux projets de construction d’un monde idéal, et d’un homme nouveau, qui allaient se développer au siècle des Lumières. Mais la profusion de références, aussi décoratives que superficielles, à l’Égypte ancienne, au néoplatonisme et à la kabbale dont regorge cette spiritualité de pacotille, ne saurait être prise au sérieux. Tout ce fatras date de la Renaissance et n’a pas de rapport avec les confréries médiévales.

Amateurs d’occultisme

Ne vous laissez donc pas impressionner par les amateurs d’occultisme et d’alchimie – inspirés par le trop fameux livre de Fulcanelli, Le Mystère des cathédrales et l’interprétation ésotérique des symboles hermétiques du Grand Œuvre (1926) – qui essaient de faire croire aux visiteurs de cathédrales que certaines pierres portent des marques « kabbalistiques », témoignant d’une gnose mystérieuse. Ces marques, bien réelles, étaient purement utilitaires : elles indiquaient la provenance des pierres, leur positionnement ou l’identité des équipes d’ouvriers qui les avaient taillées ou mises en place. Pour le reste, comme le soulignait Émile Mâle (1862-1954), l’un des plus grands historiens de l’art religieux français, « les artistes du Moyen Âge ne furent ni des révoltés, ni des “penseurs”, ni des précurseurs de la Révolution. Il est devenu inutile de les présenter sous ce jour pour intéresser le public à leur œuvre » (cf. L’art religieux du XIIIe siècle, 1948).

Rien à voir avec le Temple de Salomon

Dans le même ordre d’idées, il ne faut pas se laisser prendre aux fables qu’on lit ici et là, nous assurant que les temples maçonniques seraient les continuateurs du Temple de Salomon, au même titre que les cathédrales. Cette idée saugrenue provient des textes fondateurs de la franc-maçonnerie – les Constitutions d’Anderson (1723) et la Masonry dissected (1730) – qui affirment que le grand ancêtre de l’Ordre maçonnique aurait été Hiram, l’architecte du Temple du roi Salomon à Jérusalem (I Rois 7, 13). Il est vrai que les temples maçonniques comportent un certain nombre d’éléments directement tirés de la description du Temple de Jérusalem dans la Bible : c’est en particulier le cas des deux colonnes situées à l’entrée des temples, marquées des lettres J et B, signifiant Jakin et Boaz, référence directe à ce passage du premier livre des Rois : « Hiram dressa les colonnes dans le portique du Temple ; il dressa la colonne de droite, et la nomma Jakin ; puis il dressa la colonne de gauche, et la nomma Boaz » (7, 21). On pourrait ajouter les grenades qui couronnent les colonnes (2 Chroniques 3, 15), les séphirots et le tétragramme hébraïque qui ornent le mur oriental.

Mais ces rapprochements sont de pure surface et ne sauraient dissimuler la différence radicale entre les deux.

Les temples maçonniques ne peuvent en aucune façon prétendre à une quelconque continuité avec le Temple de Salomon pour la bonne raison qu’ils ne sont pas des lieux de culte. On n’y adore pas le vrai Dieu et l’on n’y fait pas de sacrifices. Ce sont de simples lieux de réunions, de colloques philosophiques, agrémentés de symboles syncrétiques, où la référence à l’Ancien Testament a pour fonction essentielle d’éviter l’évocation du christianisme.

Le prêtre et la victime

Les seuls édifices religieux qui remplissent les mêmes fonctions que le Temple de Salomon, ce sont précisément les églises, puisqu’elles ne sont pas des lieux où la communauté se contemple le nombril spirituel en vue de s’auto-perfectionner. Ce sont des lieux d’adoration, où tout le monde est tourné vers Dieu, non vers soi. L’église, comme le Temple de Salomon, avec son Saint des Saints, son tabernacle, est le lieu de la présence divine, de la Présence réelle en vue du pardon des péchés. Car les sacrifices du Temple n’ont jamais été abolis, ils ont été dépassés, accomplis par le Christ, qui est la fois le prêtre et la victime – et se perpétuent, transfigurés, sur l’autel de la messe.