Quelle était la situation politique de la France en 1924 ?
Les élections de mai 1924 donnent la majorité au Cartel des gauches, alliance entre le parti radical et la SFIO, qui entend revenir à une application stricte des lois laïques.
Quelle était la situation de l’Église en France ?
La loi de 1901, qui excluait les congrégations du statut commun des associations, avait provoqué l’exil de nombreux religieux. Celle de 1905, sur la séparation des Églises et de l’État, fut ressentie par une très grande majorité de catholiques comme une loi inique.
Mais la guerre de 1914-1918 a rapproché les Français les uns des autres, c’est le fameux esprit de l’Union sacrée. Le Bloc national élu en 1919 a mené une politique conciliante vis-à-vis des catholiques. Il tolère la présence sur le sol français des religieux et religieuses rentrés en France pour accomplir leur devoir patriotique. En 1923, il rétablit même, au détour d’une loi de finances, l’ambassade près le Saint-Siège.
Pourquoi l’initiative du général de Castelnau a-t-elle réussi alors que les précédentes tentatives des catholiques pour s’organiser avaient échoué ?
La réussite de l’initiative du général de Castelnau tient à trois facteurs. D’une part, les échecs des tentatives de divers partis catholiques avaient convaincu un certain nombre d’entre eux qu’il fallait réaliser l’union non sur le terrain partisan mais sous une forme plus large qui permettrait de dépasser les clivages politiques habituels des catholiques. Avant même la guerre de 1914, des unions paroissiales et des unions diocésaines se constituent dans un certain nombre de régions.
Le deuxième facteur tient à la conjoncture : l’anticléricalisme n’est plus susceptible de mobiliser les Français. La FNC trouve peu de contre-manifestations, même si celles-ci sont parfois violentes. Les catholiques eux-mêmes ont changé d’état d’esprit. Si le ralliement prôné par Léon XIII dans sa fameuse encyclique Au milieu des sollicitudes (1892) a en grande partie échoué, le second ralliement réussit sous l’action conjuguée de Pie XI et de l’esprit de l’Union sacrée.
Enfin, l’envergure de la personnalité du général de Castelnau lui permet de mettre sur pied une organisation trouvant de nombreux relais chez les laïcs.
Comment le mouvement s’est-il organisé ?
La FNC est organisée de façon pyramidale. Les unions paroissiales dépendent des unions diocésaines qui, elles-mêmes, sont rattachées à la grande organisation centrale. Lorsque la FNC est créée, il n’existe aucun grand mouvement, si ce n’est pour les jeunes de l’AJCF, et chez les femmes la Ligue patriotique des Françaises. Lorsque Pie XI demande des cadres plus stricts et l’organisation de l’Action catholique française (ACF) coiffée par le chanoine Courbe, la FNC craignit de perdre son indépendance mais le principal problème de la fin des années 1930 fut celui du recrutement et du désir des jeunes qui avaient été formés par l’Action catholique spécialisée de retrouver une formule équivalente chez les adultes.
Décrivez-nous la presse de la FNC.
La FNC créa rapidement une presse importante. Tout au long de son existence, jusqu’en 1939, elle édita un mensuel destiné aux cadres du mouvement, bulletin officiel qui prit rapidement le nom de Credo. Ce mensuel, tiré à 50 000 exemplaires, comporte une cinquantaine de pages traitant de questions sociales, religieuses et même politiques. La FNC se dote d’un hebdomadaire destiné au public plus vaste de l’ensemble des adhérents. Celui-ci a porté plusieurs noms et devient en 1932, La France Catholique, correspondance hebdomadaire de la FNC. La FNC a tenté d’éditer un mensuel au tirage encore supérieur avec Le Point de direction à 400 000 exemplaires qui devient en 1934 France-Monde catholique, mensuel illustré. Enfin, il ne faut pas oublier que le général de Castelnau avait ses entrées à L’Écho de Paris où il écrivait souvent l’éditorial.
Quelle était l’attitude des évêques vis-à-vis de la FNC et du général en particulier ?
Le général de Castelnau lança l’appel à une fédération des forces catholiques en 1924 sans demander l’aval de la hiérarchie ecclésiastique. Elle se rallie assez volontiers à ce choix et de nombreux évêques le soutiennent, à commencer par le cardinal Dubois, archevêque de Paris. Dans les années 1930, les rapports deviennent plus tendus. L’ancrage à droite de la FNC et du général de Castelnau le fait désormais apparaître trop politique. Par ailleurs, il revendique l’entière liberté des laïcs sur le terrain politique. Or, son âge, son expérience – il a affronté le courroux de Joffre et de quelques ministres – expliquent sans doute qu’il n’est pas du tout impressionné par les évêques. Plusieurs des lettres qu’il leur adresse commencent par ce genre de formules : « Vous pardonnerez à un vieux soldat de ne savoir farder la vérité. »
Et l’attitude de Rome ?
L’attitude du Saint-Siège a été fluctuante et je crois que l’on peut dégager trois phases. Dans les années 1920, Pie XI donne de nombreux signes d’amitié et de soutien à la FNC mais les polémiques du général de Castelnau avec Francisque Gay et ses journaux, L’Aube et La Vie catholique, son attitude intransigeante en matière de défense extérieure, sa méfiance vis-à-vis de l’Allemagne vont à l’encontre des souhaits de Pie XI. La FNC entre alors au purgatoire.
Mais la guerre d’Éthiopie et la guerre d’Espagne constituent un tournant. Pie XI redonne son soutien au général de Castelnau et à la FNC, comme en témoigne d’ailleurs une lettre de l’ambassadeur François Charles-Roux. Tout se passe comme si Pie XI avait tenté d’arbitrer entre ces catholiques de droite et de gauche tentant d’obtenir un certain équilibre en barrant tantôt d’un côté tantôt d’un autre.
La condamnation de l’Action française a-t-elle affecté cette « ligue » catholique ?
Les rapports entre l’Action française et la FNC étaient déjà largement détériorés avant la condamnation de l’Action française. Cela tient principalement à deux facteurs : le général de Castelnau n’appréciait pas les méthodes de l’Action française ni les personnalités de Léon Daudet et de Charles Maurras. D’autre part, il avait créé la FNC pour la maintenir au-dessus et en dehors des partis, comme le proclamait l’article 2 de ses statuts, et l’Action française cherchait à jouer un rôle prééminent. Lors de la condamnation de l’Action française par Rome, la presse de la FNC retransmit rapidement la lettre du cardinal Andrieu et appuya le Saint-Siège mais elle devient beaucoup plus discrète sur cette question à partir de 1927, le général de Castelnau arguant dans sa correspondance privée qu’il s’agissait de rendre possible pour les catholiques d’Action française un repli vers la FNC. Il fut accusé par ses adversaires, notamment par Francisque Gay, de complaisance.
Après 1940, vous avez étudié les collections de journaux de la FNC. Leur position est-elle originale par rapport à la presse de l’époque ?
Pendant la guerre, la FNC réduit sa presse. Après la défaite, La France Catholique ne paraît à nouveau qu’à partir de novembre 1940. Elle s’adresse désormais surtout aux cadres du mouvement. Repliée à Toulouse, son équipe rédactionnelle évolue quelque peu. André Pironneau, l’ex-rédacteur en chef de L’Écho de Paris et René Tournès rendent visite chaque semaine au général pour lui présenter le numéro de La France Catholique où, jusqu’en 1943, il écrit assez régulièrement, bien que ses articles soient souvent « caviardés » par la censure de Vichy. Le général de Castelnau n’y écrit pas une seule fois le nom de Pétain, les éditoriaux de Jean Le Cour-Grandmaison sont plus favorables. D’autres articles, comme ceux de A. G. Michel spécialiste de l’antimaçonnisme à la FNC et resté fidèle à sa dénonciation des francs-maçons, peuvent conforter la politique menée par le régime de Vichy. Globalement, vu les contraintes de la censure, La France Catholique adopte un ton assez indépendant louant par exemple l’immense effort de l’industrie d’armement américaine, « la grande nation américaine et son digne chef », en février 1941.
Comment le général est-il mort ?
Le général de Castelnau est mort le 19 mars 1944 dans sa propriété de Lasserre. Le cardinal Suhard qui fait célébrer un service à Montmartre lui rend hommage : « Tout tient en un mot, il a servi. » Pour Mgr Saliège, « il s’en est allé porter auprès de Dieu le message de la France qui ne veut pas mourir ».
L’intégralité de cet entretien est parue dans France Catholique le 19 novembre 2004.
À la droite de Dieu. La Fédération nationale catholique, 1924-1944, Corinne Bonafoux-Verrax, éd. Fayard, 2004, 652 pages, 41 €.