Léon XIII et notre âge populiste - France Catholique
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Pâques. La foi des convertis
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Léon XIII et notre âge populiste

Quoique l'on pense du populisme, les maladies qui l'ont engendré sont réelles. Pour en guérir, l'Église a son rôle à jouer.
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Léon XIII.

Je me souviens très bien de la première fois que j’ai entendu quelqu’un suggérer sérieusement que Donald Trump pourrait faire un bon président. C’était à la fin de l’été 2015 et je me faisais couper les cheveux. La femme qui me coupait les cheveux m’a dit qu’elle espérait que Trump gagnerait les élections de l’année suivante parce qu’elle aimait sa position sur l’immigration. J’ai trouvé cela amusant pour deux raisons.

Premièrement, comme presque tout le monde à l’intérieur du périphérique de la capitale à l’époque, je pensais que la candidature naissante de Trump n’était pas vraiment sérieuse. Deuxièmement, la femme qui se tenait derrière moi avec les ciseaux et qui vantait les mérites de la ligne dure de Trump en matière d’immigration parlait avec un fort accent étranger. Comme toutes les autres femmes qui coupaient les cheveux dans ce salon de coiffure, c’était une immigrée.

Toujours conscient des ciseaux, j’ai gentiment suggéré qu’il y avait de l’ironie dans tout cela. Pas du tout, me dit-elle ! Elle avait immigré légalement il y a quelques décennies. Elle était fière de son pays d’adoption et reconnaissante des opportunités qu’il lui offrait, à elle et à sa famille. Et elle a clairement indiqué que l’immigration illégale massive était tout simplement injuste pour les Américains, en particulier pour les personnes (comme elle) qui avaient « suivi les règles ». Donald Trump a promis d’y mettre un terme, et c’est pourquoi elle pense qu’il fera un bon président. C’est simple.

Opposition à l’immigration ne rime pas forcément avec égoïsme

J’avoue que je n’ai pas quitté ce salon de coiffure en pensant que Donald Trump ferait un bon président, ni même qu’il serait un jour président. Mais je suis reparti avec un rappel durable que ceux qui s’opposent à l’immigration de masse, ou qui déplorent ses conséquences, ne sont pas tous motivés par l’égoïsme, pas plus que ceux qui sont favorables à l’immigration de masse ne sont toujours animés par l’altruisme. C’était aussi le premier d’une longue série d’indices sur l’ampleur que pourrait prendre la coalition des mécontents que Trump attirait.

La vague de populisme qui a remodelé la politique américaine (et celle de nombreuses démocraties occidentales) au cours de la dernière décennie a de nombreuses causes, et l’immigration de masse figure en tête de liste. Plus généralement, il existe un profond mécontentement à l’égard de la manière dont les « élites » politiques et économiques – ou, si vous préférez, l’« establishment », l’« uniparti », la « classe professionnelle et managériale », etc. – ont tenu les rênes au cours des dernières décennies.

La condescendance avec laquelle l’expression de ce mécontentement a été accueillie par cette même « classe dirigeante », qui est à l’origine de ce mécontentement, ne fait qu’exacerber le mécontentement et, par conséquent, alimenter le sentiment populiste. Exprimez des objections au statu quo et vos « supérieurs » culturels daigneront vous informer que ces objections découlent de l’ignorance économique, du racisme, de la xénophobie et d’attitudes non chrétiennes en général, ce sont parfois des représentants de la classe dirigeante qui sont à l’origine de ce mécontentement. Malheureusement, ce sont parfois des représentants de l’Église qui ont fait les reproches.

Accuser les « élites », « l’establishment » ou la « classe dirigeante » est presque toujours une simplification abusive (qui n’est pas sans rappeler Marx). Mais mon objectif ici n’est ni de justifier le populisme ni de l’enterrer. Il s’agit plutôt de souligner que, quoi que l’on pense du populisme en tant que remède à nos maux, les maladies sous-jacentes qui l’ont engendré sont réelles, pressantes, et ne vont nulle part.

Depuis le XIXe siècle, des défis identiques

À cet égard, les défis de notre brave et nouveau monde globalisé ne sont pas tout à fait différents des crises du XIXe siècle qui ont poussé Léon XIII à écrire Rerum novarum. À certains égards, les défis d’aujourd’hui – en particulier les conséquences et les implications de notre technologie – sont très différents de ceux de 1891. Mais comme celle d’aujourd’hui, la crise à laquelle Léon XIII répondait n’était pas simplement une crise économique, mais un remodelage rapide de la vie économique, politique et sociale à la fois.

La critique sans complaisance du libéralisme économique de son époque s’accompagne d’une critique acerbe des alternatives socialistes, alors présentées comme une réponse juste à la « question ouvrière », mais qui n’avaient pas encore pris la forme d’un État politique. Le socialisme était une fausse réponse à une vraie crise. Comme l’écrira plus tard le pape Jean-Paul II, « le remède [socialiste] s’avérerait pire que la maladie ».

Autant Léon XIII comprenait que le socialisme n’offrait pas de solution juste aux grandes questions de l’époque, autant il reconnaissait sans réserve les conditions injustes qui favorisèrent la diffusion de ces idées socialistes.

C’est là que se trouvent les leçons à tirer pour notre époque. De nombreux catholiques, non sans raison, craignent que le populisme d’aujourd’hui ne soit un remède qui s’avère pire que la maladie, comme le fut le socialisme à l’époque de Léon XIII. Si c’est le cas, ils devraient s’efforcer de reconnaître et de corriger les véritables échecs de la gouvernance et de la politique qui ont créé les conditions mêmes qui ont rendu tant de démocraties si mûres pour le populisme. Il ne suffit pas de déplorer le changement ou d’espérer un retour au statu quo ante.

De nombreux autres catholiques, non sans raison, applaudissent les mouvements populistes d’aujourd’hui, ou du moins certains de leurs éléments. Comme les socialistes de l’époque de Léon XIII, ils reconnaissent les échecs du statu quo et espèrent sincèrement que les griefs légitimes trouveront enfin réparation après des décennies de négligence. Mais là encore, la prudence s’impose. Il est plus facile de démolir que de construire. Et de nombreuses bonnes choses peuvent être endommagées ou détruites, même pour une cause juste.

Tous les catholiques feraient bien de se rappeler la sagesse du pape Léon XIII qui, en ces temps si semblables et si différents des nôtres, a tracé une voie pour l’ensemble de l’Église au milieu de tout cela.

Nous affirmons sans hésiter que tous les efforts des hommes seront vains s’ils laissent de côté l’Église. C’est elle qui insiste, sur l’autorité de l’Évangile, sur les enseignements qui permettent de mettre fin au conflit, ou du moins de le rendre beaucoup moins amer ; elle s’efforce non seulement d’éclairer les esprits, mais de diriger par ses préceptes la vie et la conduite de tous et de chacun.

L’Église insiste toujours sur le fait que sa mission n’est jamais réductible à la politique ou à l’économie. Mais sans elle, tous nos efforts en matière de politique, d’économie et de culture seront vains.

Source : https://www.thecatholicthing.org/2025/03/06/leo-xiii-and-our-populist-age/

Stephen P. White, traduit par Vincent