Que l’Église s’oppose à l’avortement, tout le monde le sait. C’est pour elle une évidence : la personne humaine est inviolable, dès sa conception. Sans évoquer expressément ce sujet, l’Écriture sainte contient toutefois tout ce qu’il faut pour s’en convaincre. Cela tient en deux points.
Premier point : tuer délibérément une personne innocente, quel que soit le motif, est contraire à la loi de Dieu ; ce qu’exprime très clairement le Décalogue : « Ne tue pas un innocent » (Ex 23, 7). Deuxième point : un petit d’homme dans le ventre de sa mère est une personne humaine innocente ; intuition dont on trouve dans l’Écriture de multiples attestations, par exemple au livre de Jérémie (1, 5) : « Avant d’être façonné dans le ventre maternel, je te connaissais. Avant ta sortie du sein, je t’ai consacré. » La conclusion s’ensuit immédiatement : l’avortement, qui consiste à tuer délibérément le petit d’homme dans le ventre de sa mère, est un crime d’homicide.
Les chrétiens s’en sont d’ailleurs avisés très tôt, comme en témoigne la Didachè – texte du Ier siècle, trop peu connu, qui recueille l’« enseignement », didachè, en grec – des douze apôtres : « Tu ne tueras pas d’enfants, par avortement ou après la naissance » (2, 2). S’ensuivirent seize siècles de condamnations ininterrompues, depuis le concile d’Elvire en 306 jusqu’au deuxième concile du Vatican (Gaudium et spes, § 51). Il est peu de sujets de mœurs sur lesquels l’infaillibilité pontificale soit plus solennellement engagée que celui-là (cf. Jean-Paul II, Evangelium vitae, § 62).
De ces références bibliques et autres condamnations magistérielles, certains concluent que rejeter l’avortement est une stricte affaire de conviction religieuse et qu’il serait absolument nécessaire « d’avoir la foi » pour estimer que l’avortement est immoral. Rien de plus faux !
La raison naturelle est parfaitement capable d’appréhender cette question et d’éclairer notre jugement à son propos. Encore faut-il se livrer honnêtement à l’exercice, en repoussant les sirènes de l’idéologie – chose inconnue chez nous, mais pas aux États-Unis, où il existe un véritable débat philosophique universitaire sur le sujet. Les philosophes pro et anti-avortement s’y affrontent, non pas à coups d’invectives, ni de versets de l’Écriture, mais à coups d’arguments. Et l’on se tromperait en pensant qu’il s’agit d’une joute stérile : on assiste au contraire à un véritable progrès dans la compréhension philosophique du problème, et certains philosophes changent même d’avis.
Le fœtus est une personne
Voici, dans les grandes lignes, ce qui s’est passé : pendant des années, plutôt que de remettre en cause l’interdiction de tuer des personnes innocentes – intuition morale de base – les philosophes pro-avortement se sont échinés à montrer que le fœtus n’est pas une personne. Quoiqu’elle leur parût prometteuse au premier abord, cette ligne s’est révélée une impasse, tous les arguments en ce sens ayant été défaits.
Que le fœtus soit « une partie du corps de la femme » est vite apparu complètement insoutenable : c’est un autre organisme, une autre individualité, on ne saurait donc invoquer le « droit à disposer de son corps » pour autoriser l’avortement.
Arbitraire complet
On passe alors à un deuxième argument, qui consiste à dire que, quoique distinct du corps de la femme, le fœtus n’est « pas encore une vie humaine ». Là encore, la chose ne peut se soutenir très longtemps : le fœtus, dès la conception, dispose d’un ADN complet, unique, qui en fait un individu de l’espèce humaine – ce qu’on appelle, en bon français, « un homme ».
Reste alors le dernier recours : tenter de prouver que le fœtus, s’il est un homme, n’est « pas encore une personne », autrement dit pas encore digne de respect inconditionnel. Pour tenter d’établir ce point, les philosophes ont multiplié les distinctions : pour avoir droit au respect, un être humain devrait avoir, selon les avis, un cerveau d’une certaine taille, ou être capable de ressentir la douleur corticale, ou avoir une conscience de soi réflexive, ou l’idée de sa propre valeur, ou encore faire l’objet d’un projet parental, ad libitum. Mais les plus honnêtes des pro-avortement ont été contraints d’admettre que ces distinctions nous font plonger dans l’arbitraire le plus complet, avec les conséquences qui s’ensuivent. Chacun peut en effet donner la définition qu’il souhaite de la personne, et mettre la limite où bon lui semble. C’est ce qui amène Peter Singer, le plus célèbre utilitariste anglo-saxon, athée, à estimer qu’il est plus immoral de tuer un cochon adulte que de tuer un nouveau-né vagissant. Car le premier a une conscience plus développée, et un droit supérieur au statut de « personne ».
Mais tenez-vous bien : la distinction entre « individu humain » et « personne » paraissant finalement trop impalpable, voire sophistique, les partisans les plus avancés de l’avortement ont changé leur fusil d’épaule : ils ont entrepris de nier l’autre proposition, en soutenant qu’il est licite, dans certaines conditions, de tuer une personne innocente ! C’est la thèse en particulier de Judith J. Thomson (1929-2020), qui traite le fœtus comme une sorte de parasite ou de squatteur, entré par effraction, dont la femme ne serait pas tenue d’assurer la survie. Car, dit Thomson, nul n’a le droit d’utiliser mes organes vitaux sans mon consentement. Il est charitable, bien sûr, de les prêter, mais nul n’y est obligé.
Le droit naturel du bébé
Voilà qui fait bon marché de deux différences énormes entre le squatteur et le fœtus : d’abord, le fœtus n’est pas entré par effraction, mais à la suite d’un acte qui, sauf accident, engage la responsabilité des parents ; ensuite, une fois dans le ventre, le bébé a un droit naturel à l’usage des organes de sa mère, car ils sont faits pour cela ! Ma maison n’est pas faite pour le cambrioleur, qui n’y a aucun droit. En revanche, le sein d’une femme est fait pour l’enfant qu’elle porte ; une fois qu’il est là, il y a droit. On voit ici que, poussés dans leurs retranchements, les partisans de l’avortement sont contraints de traiter l’enfant comme une sorte de criminel, objet de la légitime défense des adultes. L’inversion morale est complète !
19 janvier 2025
Marche pour la vie
C’est le dimanche 19 janvier que se déroulera la Marche pour la Vie, à Paris. Cinquante ans après la promulgation de la loi Veil « qui a ouvert les digues de la culture de mort » – jusqu’à l’inscription de l’avortement dans la Constitution en mars dernier –, les manifestants rediront leur « opposition la plus farouche à l’égard des lois mortifères de notre pays ». Une mobilisation d’autant plus importante que de nombreux parlementaires voudraient poursuivre l’examen du projet de loi sur l’euthanasie et le suicide assisté, interrompu l’an dernier par la dissolution. La Marche pour la Vie débutera à 14 heures, place du Trocadéro.
Site Internet : enmarchepourlavie.fr
La raison est pro-vie. Arguments non-religieux pour un débat dépassionné, Matthieu Lavagna, éd. Artège, 2024, 280 pages, 18,90 €.
Pour aller plus loin :
- L'avortement, le Massacre des innocents des temps modernes
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- A propos du projet de loi espagnol sur l’avortement
- Liste des ouvriers pastoraux, Evêques, Prêtres, Religieux, Religieuses et Laics tués en 2011 et 2010
- Quand le virtuel se rebelle contre le réel, l’irrationnel détruit l’humanité