Qu’est-ce que les Saintes Écritures nous apprennent sur l’espérance dans la persécution ?
Didier Rance : La pédagogie divine est à l’œuvre. On peut qualifier l’Ancien Testament d’odyssée de l’espérance – n’est-elle pas fondée sur une promesse et une alliance ? Au départ, il s’agit plus d’espoirs humains que d’espérance : espérer ceci ou cela – terre, biens, abondance… Puis, peu à peu, ces espoirs laissent la place à la confiance nue en Dieu, quoi qu’il arrive : l’espérance vraie. En Jésus, cette espérance reçoit son achèvement : participation à la communauté de destin avec lui – « Ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront vous aussi » (Jn 15, 20) – pour le salut du monde. Les martyrs sont les premiers témoins de cette bouleversante communauté de vie avec lui.
Quel lien peut-on faire entre les martyrs et l’attente de la fin des temps ?
Il est fort. Pour le saisir, il faut partir de ceci : personne ne sait ce qui va se produire à l’avenir, à commencer par demain. Comment espérer, alors ? Mais nous, chrétiens, savons comment cela se terminera car Dieu n’est pas trompeur : l’Apocalypse, formidable livre d’espérance, nous le dit. Elle parle de la Terre nouvelle et des Cieux nouveaux, de la victoire finale de Dieu et du Christ, mais aussi de la persécution. Personne ne peut comprendre cela plus profondément que les martyrs et les persécutés puisqu’ils vivent celle-ci. Dans un monde qui semble bien vouloir se construire sur le refus de ce que révèle l’Apocalypse, ils en sont les premiers témoins et nous obligent à regarder la réalité en face.
Ce qui ressort de tous ces témoignages de martyrs, c’est que leur désir de Dieu est premier ?
Absolument. Un des témoignages les plus forts pour notre XXIe siècle est celui d’un des martyrs coptes de Daech en Libye, en 2015 : sur la vidéo diffusée par leurs tueurs, on l’entend dire au moment d’être égorgé : « Jésus Seigneur. » La fidélité et le désir de Dieu jusqu’au bout ! Cette espérance comprend bien sûr celle du Ciel, de l’éternité bienheureuse, mais elle est fondamentalement – comme ces dernières paroles en témoignent – espérance de Quelqu’un. Ce que l’on sait de la vie de ces martyrs coptes dans leurs villages égyptiens avant d’aller travailler en Libye le corrobore : des hommes simples, honnêtes et humbles, vivant avec piété leur foi chrétienne. Ces martyrs espéraient d’abord Dieu de Dieu. On comprend que le pape François les ait inscrits dans le Martyrologe romain, alors qu’ils n’étaient pas catholiques. Jean-Paul II le disait déjà : en nos martyrs et nos saints, nos Églises sont déjà unies.
Vous dites que la patience – celle des chrétiens d’Orient, notamment – peut être une forme de martyre ?
Oui, une patience de près d’un millénaire et demi ! Le défunt patriarche copte Chenouda écrivait à ce sujet : « Dans l’émerveillement, on s’interroge : Comment as-tu pu résister ? Il faut qu’une voix ait inlassablement résonné en toi, qu’elle ait enflammé en toi une force : la voix de celui qui a dit que les portes de l’Hadès ne pourraient rien contre toi ! » C’est aussi un témoignage pour nous en ces temps difficiles pour notre Église.
Il ne faut cependant pas idéaliser le martyre. Mais vous dites : « Les martyrs sont comme nous. » C’est-à-dire ?
Oui, il ne faut pas idéaliser les martyrs. Le Christ lui-même est passé par l’agonie de Gethsémani puis, le jour suivant, par l’ignominie abominable de la crucifixion – et ces mots sont bien faibles pour dire ce qu’était ce supplice : il suffit de contempler le Saint Suaire ou de lire une étude sérieuse sur ce sujet pour en saisir l’inhumanité totale. C’est le paradoxe de notre foi, que rien ne peut émousser : la Croix glorieuse réalise notre Salut, mais le supplice reste ce qu’il est. La persécution et le martyre sont le témoignage le plus fort de ce paradoxe.
L’expérience que j’ai faite, en allant pendant des années en Europe de l’Est après la chute du communisme quant je travaillais pour l’AED, est que ce qu’ils ont vécu, ce que vivent aujourd’hui les chrétiens persécutés à travers le monde, est autrement plus dangereux et risqué, et source de souffrance, que ce que nous vivons chez nous. Mais l’essentiel du martyre n’est pas ce qu’ils subissent, mais la façon dont ils le vivent : en témoins de Jésus. Et là, nous les retrouvons. Ce dont ils témoignent vaut pour nous comme pour eux : suivre Jésus, être chrétien est exigeant, que ce soit dans la mort violente pour eux ou, pour nous, dans le « martyre à coups d’épingle » de la vie quotidienne qu’évoquait sainte Thérèse. Disons-le d’un mot : c’est crucifiant – l’adjectif correspond au nom croix, et ce n’est pas un hasard – et, en même temps, tellement formidable que cela en vaut toujours la peine. Bien sûr, la différence est qu’eux y laissent leur vie et pas nous, mais l’Église a toujours dit que le martyre est une grâce, donc qu’il ne dépend pas d’abord de nous mais de Dieu.
Un des signes distinctifs du martyre chrétien, c’est le pardon aux bourreaux : il revient fréquemment ?
Le pardon est la signature de Dieu sur une âme, l’épiphanie de la divine miséricorde. Il est le don qui, comme son nom l’indique, va jusqu’au bout, et le plus grand signe de l’amour de charité. Hannah Arendt a écrit : « C’est Jésus de Nazareth qui a découvert le rôle du pardon dans les affaires humaines », le pardon inconditionnel bien sûr. « Découvert » est erroné, c’est révélé et apporté qu’il faudra mettre, mais la remarque est juste.
Le martyre était déjà incompréhensible pour les Romains, et le demeure aujourd’hui pour beaucoup, mais le pardon des martyrs à la suite de Jésus sur la Croix l’est « au carré », en quelque sorte. L’amour qui suit Jésus jusqu’au bout dans son pardon sur la Croix. J’ai dans mes fichiers des centaines de témoignages de ce pardon des martyrs de notre temps, ce fait massif de notre époque que Jean-Paul II a appelée en 2001 en Ukraine « le siècle du martyre ». Comme c’est vrai, et il n’est pas moins vrai que c’est le siècle du pardon des martyrs.
Les martyrs. Pèlerins de l’espérance, Didier Rance, éd. Saint-Léger, janvier 2025, 272 pages, 18 €.
Pour aller plus loin :
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- Dénoncer les abus sectaires dans la vie consacrée et passer l’épreuve en union au Christ Epoux
- La paternité-maternité spirituelle en vie monastique est-elle menacée en Occident ?
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