C’est une heureuse initiative que cette commande à un institut de sondage – l’IFOP – pour déterminer en quoi le scoutisme est un facteur de vitalité pour la société. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Ainsi, 87 % des anciens scouts sont engagés dans une structure associative, ce qui est largement supérieur à la moyenne nationale (33 %). Ceci permet à Jérôme Fourquet, un de nos meilleurs sociologues, de déclarer : « Les bénéfices sociétaux du scoutisme s’observent pour la collectivité dans la participation électorale, l’engagement citoyen, la philanthropie mais également sur la propension à contribuer à forger des individus ou des citoyens équilibrés et bien dans leur peau, qui s’en sortent psychologiquement mieux que le reste de la population. C’est un point positif pour la société que de pouvoir compter sur des citoyens bien dans leur tête. »
Défi sociétal
Lorsqu’on sait l’appréciation pour le moins négative de Jérôme Fourquet sur les évolutions de la société française (cf. La France d’après. Tableau politique, Seuil, 2023), son jugement favorable sur cette école de formation de la jeunesse qu’est le scoutisme ne peut qu’impressionner. Face à un processus de « décivilisation » marqué par la montée de la délinquance, l’emprise croissante de l’usage des stupéfiants, on conçoit la nécessité d’une réponse à la mesure de tels défis. Or, la création d’un mode particulier de formation de la jeunesse à l’initiative du britannique Robert Baden-Powell (1857-1941) n’a cessé d’affirmer sa fécondité au-delà de tous les changements qui ont affecté le monde contemporain. Les principes du scoutisme, tels qu’ils ont été énoncés au début du XXe siècle, n’ont pas eu besoin de réaménagement, tant ils correspondent à la nécessité d’une santé physique et morale, qui contribue à la formation de la personnalité et à l’affrontement avec les aspérités de la vie.
Vision chrétienne de l’homme
Il faut noter de plus que le fondateur ne séparait pas cette formation de ce qu’il appelait « le sens de Dieu ». C’est sans doute pour cette raison que le jésuite français Jacques Sevin (1882-1951) voulut s’informer en Angleterre des réalités de cette nouvelle institution pour la jeunesse, ce qui lui permit de rencontrer Baden-Powell (cf. FC n° 3866). En dépit des fortes réticences des milieux ecclésiastiques français, il parvint à faire admettre que le scoutisme correspondait à la vision chrétienne de l’homme. Le sens de Dieu se trouve approfondi avec l’Évangile. D’où la formation et l’expansion des Scouts de France, encouragées par la hiérarchie et le pape Pie XI.
En un siècle, toute une histoire du scoutisme s’est développée, non sans crises et sans ruptures – création des Scouts d’Europe en 1958, des Scouts unitaires de France en 1971. Cependant, l’enquête de l’IFOP concerne l’ensemble du scoutisme et englobe ses trois principales composantes, ces dernières se réclamant de leur appartenance au catholicisme. Ce qui permet d’induire que « l’expérience du scoutisme est très largement évoquée de façon positive par les anciens scouts et imprègne ainsi fortement leurs valeurs et leur rapport à la foi ».
Renouveau des patronages
Eu égard à la persistance de la pédagogie initiée par Baden-Powell et le Père Sevin, on est obligé d’observer sa remarquable résistance à l’usure du temps et à la corrosion des idéologies. D’autres institutions ecclésiales ont parfois presque disparu, notamment dans les années 1960. On pense aux patronages qui fleurissaient dans la plupart des paroisses et qui se sont trouvés concurrencés par des activités d’éveil, de sport en particulier, dans un climat areligieux. Il s’en crée désormais de nouveaux : tant mieux ! car leur éclipse n’a pas peu contribué à la déchristianisation du pays. C’est aussi pourquoi l’Église en France s’est trouvée éloignée des milieux populaires, au moment même où elle se voulait paradoxalement « ouverte au monde ». L’enquête de l’IFOP montrant l’étonnant impact social d’une formation chrétienne de la jeunesse pourrait donc susciter une précieuse réflexion.