Paul-Jean Toulet a immortalisé le premier cimetière chrétien d’Arles avec son célèbre poème :
« Dans Arles, où sont les Alyscamps
Quand l’ombre est rouge sous les roses
Et clair le temps,
Prends garde à la douceur des choses.
Lorsque tu sens battre sans cause
Ton cœur trop lourd ;
Et que se taisent les colombes :
Parle tout bas si c’est d’amour,
Au bord des tombes. »
Mais celui qu’on rencontre partout dans Arles, c’est Frédéric Mistral. Il est en statue, son nom est donné aux places, aux rues et le Muséon Arlaten qui est le premier écomusée du monde, où il a rassemblé les arts et traditions populaires, est son œuvre. C’est dans les arènes d’Arles qu’a été représenté pour la première fois l’opéra de Gounod Mireio, inspiré par le poème de Frédéric Mistral, Mireille.
Arles fut la capitale d’un royaume : le royaume d’Arles. Elle fut préfecture romaine et haut lieu de l’Église. Elle est aujourd’hui une belle endormie, animée ou envahie par les touristes.
Vivantes traditions
Cependant, ces mêmes traditions, que Mistral avait chantées et renouvelées, demeurent vivantes. Le 1er mai, devant la cathédrale de la Major, se rassemblent les gardians à cheval et, après la messe célébrée en langue provençale, le prêtre vient bénir les hommes et les chevaux avant que tous repartent en procession vers Saint-Trophime, la basilique devant laquelle, après une danse qui rappelle les danses grecques, est élue la reine d’Arles dont la mission sera de représenter la ville à l’échelle du monde pendant deux ans. Le prestige des arènes et des corridas qui s’y déroulent rappelle qu’Arles est toujours la capitale du taureau – la nation taurine.
Le visiteur attentif qui contemplera le porche de Saint-Trophime pourra s’apercevoir qu’au paradis terrestre le fruit défendu n’était pas une pomme sur un pommier mais la figue sur le figuier et que le péché était bien partagé par Adam et Ève.
Pour caractériser la réputation des filles d’Arles, Mistral avait composé une chanson dont voici la traduction :
« En Arles au temps des fées,
Vivait la reine Poncierade
Un rosier.
L’empereur romain vient lui demander sa main,
Mais la reine en se moquant lui répond “demain”. »
Ensuite, elle demande à l’empereur de construire un aqueduc pour amener l’eau potable à Arles. Ce que fait l’empereur, et là est l’origine de cet aqueduc que l’on peut toujours voir dans Arles. Quand l’eau arriva dans la ville, l’empereur revint voir la reine Poncierade pour lui dire : « Je t’ai amené l’eau, maintenant donne-moi ta main. » Mais elle lui répondit qu’elle le remerciait beaucoup pour cet aqueduc et qu’elle avait, pour ce qui la concernait, un joli porteur d’eau qui lui amenait l’eau jusqu’à son lit et qu’elle l’aimait à la folie.
Ainsi sont les filles d’Arles, belles et moqueuses. Aujourd’hui encore, lors des fêtes traditionnelles, les dames et les demoiselles d’Arles revêtent leur costume et se coiffent selon les canons fixés depuis près de deux siècles. Ainsi, on peut les voir toutes transfigurées lors des défilés et processions, et tout
particulièrement le 1er mai.
Selon ce qui nous a été dit, Arles vit sur son passé mais encore sur l’élevage des taureaux.
Dynamisme de l’Église
La présence chrétienne y est forte. La paroisse catholique est confiée à trois jeunes prêtres issus de la Communauté Saint-Martin dont le rayonnement est attesté par tout le monde.
Les vestiges du passé montrent que cette ville – que l’empereur Constantin aimait au point qu’il avait voulu l’appeler Constantine, mais sa volonté ne prévalut pas sur l’usage et Arles garda son nom – exerçait elle-même sa propre magistrature. On voit encore le banc sur lequel les Sages rendaient leur jugement et on se dit que tout cela pourrait revivre si une véritable autonomie locale était rendue à cette noble cité.
Un conte arlésien
L’amour transfiguré par la foi
Mistral situe dans les environs d’Arles le dénouement de sa nouvelle intitulée Nerte. Nerte était une jeune noble que son père, un jour de désespoir, avait vendue au diable. Avant de mourir, son père, repentant, la supplie d’aller trouver le pape à Avignon pour qu’il la délivre de cette malédiction. Le Saint-Père dit à Nerte qu’il ne peut rien contre cette malédiction sauf à la faire rentrer dans un couvent, ce qu’elle accepte pour se sauver de l’enfer.
Mais le neveu du pape tombe amoureux de Nerte, lui fait la cour et, pour être sûr de l’enlever, se confie lui-même à Satan. La jeune fille prend l’habit, mais le prince l’enlève pour l’emmener dans un palais que Satan a construit pour abriter leurs amours. Toutes les pièces de ce palais sont vouées aux péchés capitaux. Dans la première, qui est vouée à l’orgueil, Mistral montre ce que Gustave Thibon considérait comme un trait de génie « devant l’homme maîtrisant à son gré le monde naturel, Dieu pas à pas se retirant ». Le jeune prince emmène la nonne dans ce palais, mais elle lui résiste en lui disant qu’elle ne peut pas l’épouser puisqu’elle est religieuse. À minuit, Satan vient chercher la jeune fille. Le prince s’interpose, sort son épée et trace un signe de la croix qui fait disparaître Satan et s’écrouler le palais. Le prince et la nonne sont emmenés au paradis et il ne reste plus sur terre qu’une pierre qui ressemble à une jeune religieuse agenouillée et que tout le pays appelle la moungeto. Ainsi l’amour transfiguré par la foi en Jésus-Christ a triomphé de Satan, telle est la leçon de Nerte, conte arlésien.