Dans La Nuit des rois, l’un de ces éclairants essais dont il a le secret, fulgurantes synthèses des grands moments de notre civilisation, Jacques Trémolet de Villers fait dire à Henri III concernant la politique religieuse de sa mère, la régente Catherine de Médicis, que son erreur fut d’avoir, au commencement des guerres de Religion, dans les années 1560, « voulu tenter une impossible conciliation en refusant de trancher entre la religion catholique et les religions protestantes. […] Ce jeu du relativisme qui refuse de voir où est la vérité et où est l’erreur s’est terminé dans le sang, la nuit de la Saint-Barthélemy – 24 août 1572. […] Ce drame eût été évité s’il avait été décidé, comme nous l’avons fait nous-même et mon successeur Henri IV, de maintenir que le royaume de France était catholique mais que cette affirmation n’interdisait pas à ceux qui cherchaient une autre voie de suivre leur religion ».
Il eût donc fallu, non pas vouloir concilier l’inconciliable – au point que la reine envisagea d’abjurer le catholicisme et le faire abjurer à ses enfants, quitte à y revenir si la balance penchait ensuite du côté de Rome –, mais choisir ce qui était de tout temps la position catholique : être dur au péché ou à l’erreur, indulgent au pécheur ou à celui qui erre. Ainsi pouvait-on aboutir à une tolérance capable d’apaiser les tensions civiles, puis à un retour à l’unité de la foi au sein du royaume, au prix d’un enseignement profond des vérités du catholicisme. « Car la force armée n’est pas un moyen de conversion », même si certains souverains purent y recourir, tel Louis XIV, mal informé, abolissant l’édit de Nantes en 1685, dans l’idée fausse qu’il n’avait plus de raison d’être puisque le protestantisme n’existait plus dans le royaume…
Socle civilisationnel
L’on saisit bien où veut en venir l’auteur en appelant nos rois à éclairer de leur sagesse et de leur expérience les méandres de la politique actuelle. Qui ne voit que la France est aujourd’hui menacée par une crise auprès de laquelle les atrocités des guerres de Religion seraient une plaisanterie car elles ne remettaient pas en cause le socle civilisationnel commun ? Au-delà des différends sur la messe, le culte des saints et la soumission à Rome, demeuraient malgré tout, au XVIe siècle, une croyance chrétienne commune et la certitude de l’appartenance à un seul pays, à un seul peuple.
Le choix d’Henri III et d’Henri IV destiné à réconcilier les Français fut audacieux, car il n’allait pas de soi aux yeux des fanatiques des deux bords, et héroïque, car il provoqua leur assassinat – péril dont ils étaient tous deux conscients. Mais il relevait de ce pragmatisme capétien « qui savait toujours raison garder ». En rappelant que le catholicisme était la religion du royaume, il parvenait à la fois à respecter le serment du sacre, qui faisait du roi le défenseur de l’Église et de la foi, et le rôle primordial du prince chrétien tel que l’Église le définissait depuis la conversion de l’empire romain, à savoir veiller au salut des âmes de ses sujets en les conduisant au Christ. Mais cette affirmation essentielle, qui ne rabattait rien des droits du catholicisme, n’en tolérait pas moins l’autorisation du culte dissident, en vue de la restauration de la concorde et de la paix. Et Jacques Trémolet de faire dire à Henri III : « Nous avons réussi parce que nous avions d’abord affirmé la vérité pour ensuite organiser l’exception. »
En cela, les rois très chrétiens osaient, dans l’intérêt de la France, s’opposer à Rome, dans la certitude qu’il n’appartenait pas au pape de se mêler de la gestion temporelle des affaires des États catholiques. Cette laïcité était avant tout la mise en vigueur du précepte évangélique « rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ». Encore faut-il – et c’est tout le drame de notre histoire depuis la rupture révolutionnaire qui se fit contre Dieu et son lieutenant sur terre – admettre les droits divins.
Culte sans Dieu
Le relativisme n’est rien d’autre que ce refus du règne du Christ sur les nations. Dès lors que Jésus est déchu de ses droits souverains sur les peuples qu’Il a rachetés de Son sang, il n’y a aucune raison que le catholicisme prétende à quoi que ce soit – pas davantage, d’ailleurs, les autres religions puisque, aux yeux des partisans de la laïcité, aucune croyance n’est vraie… sauf le culte sans Dieu qu’ils professent.
Le problème est que cette idéologie est sans prise sur le monde réel. L’abaissement systématique du catholicisme depuis l’époque des Lumières, l’acharnement mis à le détruire, son effacement organisé du domaine public n’ont pas conduit à la création d’un monde et d’une France libérés des « superstitions » et des « fanatismes » des « siècles obscurs » mais à l’implantation de croyances qui s’avèrent ne pas être « solubles dans la laïcité », entraînant un fractionnement de la nation, l’apparition de blocs antagonistes qu’il est vain de chercher à concilier car ils ne le sont pas. « Pourtant, il faut tenir que le relativisme, en matière de religion, est l’erreur la plus néfaste qui se puisse commettre. En ce domaine aussi, il faut savoir accepter la vérité et le bon sens quoi qu’il en coûte. »
Jacques Trémolet de Villers offre donc l’unique issue à la crise à venir et au danger de « libanisation » de notre pays : réaffirmer la primauté de l’Évangile tout en permettant aux autres, dans l’attente de les conduire par l’amour à la lumière de la foi, de vivre selon leurs convictions sans attenter aux nôtres.
Sans doute objectera-t-on cette solution impossible en l’état actuel de notre pays et de nos institutions. Certes, mais rien n’est impossible à Dieu.
La Nuit des rois. Colloque des morts, Jacques Trémolet de Villers et Zélie de Peyroux, éd. Les Belles Lettres, 2024, 180 pages, 21,50 €.