Les Américains ont le génie de l’amnésie. C’est dans notre ADN. Henry Ford l’a saisi au mieux il y a plus d’un siècle quand il a dit : « L’Histoire est plus ou moins une foutaise. C’est la tradition. Nous ne voulons pas de tradition. Nous voulons vivre dans le présent et la seule Histoire qui vaille est l’Histoire que nous faisons aujourd’hui. » Le passé apporte des leçons agaçantes. Il interfère avec notre imagination du futur. Et pourtant on ne peut lui échapper. Le passé façonne qui nous sommes et explique d’où nous venons – des détails qui sont utiles pour essayer de comprendre une crise comme le crash politique auquel nous faisons face cet automne.
Les États-Unis ont commencé comme un mariage entre la foi biblique et la pensée des Lumières. La tension entre ces éléments dans le caractère américain a nourri depuis le commencement le dynamisme de la nation. Le calvinisme des fondateurs comme John Witherspoon, ancré dans la Réforme écossaise, combiné à la modération des Lumières en Écosse, a façonné l’expérience américaine primitive. Ensemble, ils ont différencié la Révolution Américaine des événements révolutionnaires extrêmes en France et l’ont inscrite dans un parcours plus florissant.
Le calvinisme est la clef pour comprendre le psychisme américain et ses implications politiques. Pour l’aspect positif, Pierre Manent, le philosophe politique catholique français le crédite d’une « magnifique contribution à la liberté politique moderne ». Dans le profond respect du calvinisme pour la loi, « le pouvoir humain est libéré ou encouragé, mais aucun être humain, religieux ou laïc, n’est au-dessus des lois ». Cela fait contraste avec les préférences passées de l’Église Catholique pour les régimes autoritaires et sa résistance à la pensée libérale. Pour Manent, la pensée catholique a toujours été « plus vigilante aux risques… qu’à la grandeur de la liberté politique ».
Cependant le même calvinisme a l’inconvénient de conséquences indésirables. Cela est rapporté dans le détail par l’historien de Yale Carlos Eire et le regretté philosophe anglican George Parkin Grant. La devise de Calvin était « à Dieu seul la gloire ». Dans la pratique calviniste, cela a conduit non pas uniquement à une foi puissante mais également à un iconoclasme intense. L’élimination des reliques, des sacramentaux, des statues religieuses, de la pensée « magique » à propos des saints et de l’eucharistie et de la croyance en des choses comme le Purgatoire a logiquement suivi.
Dans les faits, le calvinisme a désacralisé le monde, balayant les liens de médiation dans l’adoration et les affaires quotidiennes entre cette vie et celle à venir. En faisant ainsi, argumente Eire, Calvin est devenu « un pionnier dans ce sentier escarpé » qui a mené, des siècles plus tard, à l’incroyance moderne.
En même temps – écrivait George Grant – le calvinisme a créé une communauté d’individus très motivés qui cherchaient à être les élus de Dieu. De nos jours Dieu peut sembler absent mais une communauté d’élus demeure, plus motivée et puritaine que jamais sur les problèmes allant des « droits reproductifs » au changement climatique. Ce sens de l’onction, d’une faveur spéciale du destin et son exigence d’une poursuite sans fin du succès est au cœur des politiques progressistes modernes. Les faveurs du destin s’accompagnent d’une intolérance pour tout ce qui se met en travers.
C’est pour cela que l’avortement à la demande, dans la campagne de Kamala Harris, n’est pas rien qu’un sujet politique comme un autre. C’est un élément passionné d’un credo. Pour le dire simplement, le droit d’une femme de tuer son enfant à naître à tout stade de son développement est un sacrement non négociable.
Alors que tirer de tout cela ? Encore et toujours le passé nous façonne. Et bien qu’il n’ait pas besoin de déterminer nos actions à venir, oublier ses leçons peut être amèrement coûteux. Avant de nous engager dans les dernières semaines précédant l’élection présidentielle de cette année, nous pourrions désirer nous rafraîchir la mémoire sur les racines d’une politique humaine et d’un ordre légal :
Il n’est pas exagéré de dire qu’avant l’époque chrétienne, la loi était souvent faire par le dirigeant lui-même, et la loi changeait selon les caprices de ce dirigeant. La parole du chef avait force de loi. La moralité de la loi, sa droiture, n’avaient aucune importance. Le chef avait le pouvoir d’édicter la loi et de l’appliquer comme il le jugeait bon. Il n’y avait pas d’appel à un idéal plus élevé.
Cependant, avec le christianisme, le chef d’état… non seulement avait le droit d’édicter les lois et de les faire appliquer, mais il avait le devoir de faire des lois droites, des lois justes et de les appliquer sans crainte ni favoritisme.
Nous avons entendu parler de l’idée post-Réforme du « droit divin des rois »… Mais primant sur le droit divin des rois, il y avait le devoir divin des rois : les rois étaient comptables devant Dieu et une loi morale plus élevée, au-dessus de toute justice humaine.
En embrassant cet idéal, les rois chrétiens et leurs lois chrétiennes se trouvaient chercher et chérir une humilité et une objectivité qui étaient inconnues des législateurs d’avant l’ère chrétienne. Ils ne prisaient ni n’appliquaient les critères du politiquement correct ou de l’opportunisme ou des théories sociales à la mode. Ils examinaient les faits en tentant d’atteindre la vérité des choses et faisaient leur jugement en adéquation.
Cette humilité, cette conscience que notre façon de faire les lois est imparfaite a donné à la législation chrétienne force et stabilité en Europe. Elle orientait les législateurs vers une application qui ne favorisait pas les riches et les puissants ni ceux avec les plus grands gourdins. Au contraire la législation d’inspiration chrétienne favorisait la réalité, la vérité, l’honnêteté et l’intégrité.
Ces paroles (depuis « il n’est pas exagéré de dire ») ont été prononcées le mois passé à Edimbourg en Ecosse, lors de la Red Mass, qui marque l’ouverture de l’année légale, par l’archevêque catholique Leo Cushley. L’auditoire était composé de juges et législateurs écossais dans une nation marquée par la baisse de pratique religieuse et un esprit toxique « woke » grandissant. Mais les commentaires de l’archevêque sont utiles pour nous en Amérique cet automne. Il n’y a ni vérité, ni honnêteté ni intégrité dans le culte de l’avortement. Chacune de ces « procédures médicales » est le meurtre d’un enfant à naître. Nous devons nous en souvenir quand nous votons. La législation est imparfaite parce que les gens sont imparfaits, y compris ceux qui nous gouvernent. Cependant nous devons choisir au mieux parmi ce qui est imparfait. Et les candidats qui promeuvent un « droit » à tuer l’innocent ne font pas partie des options.
Francis X. Maier, traduit par Bernadette Cosyn
Source : https://www.thecatholicthing.org/2024/10/09/the-cost-of-forgetting/