Le Père Sevin, l’âme du scoutisme catholique - France Catholique
Edit Template
Millénaire de la cathédrale de Chartres
Edit Template

Le Père Sevin, l’âme du scoutisme catholique

Image :
Le Père Sevin, à Chamarande, dans les années 1920. À sa droite, André Noël, qui fut l’un de ses bras droits, et l’Anglaise Vera Barclay, qui fit connaître le louvetisme dans les milieux catholiques britanniques. © Sœurs de La Sainte-Croix de Jérusalem

Le Père Sevin, l’âme du scoutisme catholique

« La meilleure réalisation de ma pensée est ce qu’en a fait ce religieux français. » Ainsi Baden-Powell parlait-il du Père Sevin et de la fondation du scoutisme en France – pédagogie que le jésuite porta à son excellence en y insufflant la foi catholique. Portrait de ce prêtre fondateur, à l’heure des camps d’été.
Copier le lien

«Sois prêt quand la vertu réclame tes efforts,
Sois prêt à triompher de l’éternel Retors,
Sois prêt chaque matin à recevoir mon Corps.
Sois prêt à pardonner car c’est prouver qu’on aime,
Sois prêt à faire honneur au Dieu de ton baptême,
Et, si tu marches seul, à marcher droit quand même.
Sois prêt à t’immoler sur un banal autel,
Sois prêt comme un vrai scout à répondre à l’appel
Sois prêt à tout moment à partir pour le Ciel. »

Ces quelques vers sont extraits d’un poème, Être prêt, écrit par le Père Sevin. Dès l’adolescence, son besoin d’évasion trouva un dérivatif dans la poésie. Cet amour des mots resta ancré toute sa vie dans son cœur : il l’utilisera plus tard pour offrir aux scouts leurs chants les plus captivants.

Jacques Sevin naît à Lille en 1882. Ses parents sont des catholiques fervents, très engagés dans le domaine social. En famille, il comprend l’importance du combat spirituel contre le péché, et pour une vie généreusement donnée. Plusieurs retraites chez les jésuites lui permettront de confirmer sa vocation naissante. Il rentre au noviciat de la Compagnie de Jésus le 3 septembre 1900. « Pour sauver mon âme. Pour sauver des âmes. Pour avoir une règle, des supérieurs et une vie de communauté. Pour ne pas être vulgaire », écrira-t-il.

Retrouver l’esprit missionnaire

En raison de l’anticléricalisme politique, les congrégations religieuses françaises sont contraintes à l’exil et le noviciat jésuite se déplace en Belgique. Tout en continuant ses études de théologie, Jacques Sevin passe une licence d’anglais et devient professeur dans divers collèges jésuites, se découvrant une passion pour la pédagogie. Il passe plusieurs étés dans la banlieue de Londres pour perfectionner son anglais. C’est en Angleterre qu’il découvrira le scoutisme.

Fondé en 1907 par Baden-Powell, le scoutisme s’exporte en France rapidement. Ce sont d’abord les protestants qui se lancent dans l’aventure… mais la plupart des garçons qui les rejoignent sont catholiques ! À ce constat, l’abbé Cornette, vicaire de Saint-Honoré-d’Eylau, estime qu’il est urgent de mettre en place un mouvement catholique similaire et il monte un groupe d’inspiration scoute dans sa paroisse parisienne. L’abbé Andréis, à Nice, se lance lui aussi dans l’aventure – malgré la méfiance de nombreux catholiques à l’égard d’un mouvement créé par un anglican.

Jacques Sevin, lui, s’intéresse au scoutisme car il est préoccupé par le renouvellement des méthodes pédagogiques de la Compagnie. Les jésuites sont traditionnellement des éducateurs, mais il perçoit un certain décalage entre l’esprit missionnaire des origines et la vie concrète dans les collèges. Le scoutisme pourrait lui fournir les instruments pour retrouver en partie l’intuition ignatienne d’une éducation active, généreuse et missionnaire. Encouragé par ses supérieurs, il se rend en Angleterre pendant l’été 1913 pour rencontrer Baden-Powell et le cardinal Bourne, grand soutien du scoutisme depuis les origines. Au retour, sa décision est prise : il veut fonder un mouvement scout catholique en France.

Paradoxalement, la guerre lui fournira l’occasion de mûrir son projet. Jacques Sevin est ordonné prêtre le 2 août 1914, à la veille de l’entrée de la France dans le conflit mondial. Réformé, il sera contraint de rester pendant la guerre en Belgique, occupée par les Allemands, et pourra se consacrer à son grand projet.

Lui qui rêvait, plus jeune, de voyages et d’explorations, lui qui recherche un système pédagogique efficace pour la jeunesse dont il a la charge comme professeur et prêtre, il se plonge dans le scoutisme avec la fougue qui le caractérise.

Le Père Sevin travaille à son premier ouvrage, Le Scoutisme. Études documentaires et Applications. Il y expose la manière de procéder pour fonder un mouvement catholique national. En 1917, il met en pratique ses connaissances théoriques et monte en Belgique occupée un embryon de troupe avec des garçons réfugiés. Bien qu’elle soit totalement clandestine, car le scoutisme est interdit par les Allemands, cette première tentative est un succès.

Une rencontre déterminante

À cette époque, le Père Sevin est le seul à être allé en Grande-Bretagne pour étudier le scoutisme. Sa connaissance de la langue et de la mentalité anglaises l’aide à démêler ce que le scoutisme « contient de spécifiquement britannique et de simplement humain ». Après la guerre, il prend contact avec l’abbé Cornette. Une rencontre déterminante : le 1er mars 1920, l’abbé présente le jésuite au petit milieu scout de la capitale. Le Père Sevin propose de réunir toutes les initiatives individuelles et de fonder un groupe catholique au niveau national. Il plaide pour que soit conservée la quasi-totalité des éléments du scoutisme de Baden-Powell. Ce scoutisme possède une telle force éducative qu’il serait absurde et contre-productif, selon lui, de s’en priver. Il suffit de lui donner un sens spirituel catholique qui vient le compléter. Cependant, d’aucuns rechignent à récupérer un mouvement anglais sans lui apposer une touche plus française ! Mais Sevin ne cède pas. Les dernières résistances sont vaincues au bout de quelques semaines. Ainsi naît la Fédération nationale catholique des Scouts de France, le 25 juillet 1920.

Le nouveau mouvement prend très vite beaucoup d’ampleur, malgré des réticences encore nombreuses. En 1922, après avoir réuni les différents chefs de troupe, le Père Sevin comprend que le succès du scoutisme est lié à l’excellence de la formation des chefs : seuls des chefs bien formés sauront accompagner les enfants et leur permettre de tirer le meilleur d’eux-mêmes. Il commence alors par fonder une revue, Le Chef, qui propose à la fois des articles techniques, pédagogiques et spirituels. Cette revue renforce les liens entre les chefs d’unités et le QG mais elle ne suffit pas pour assurer la formation pratique. Le Père Sevin retourne alors en Angleterre pour suivre le cours du camp-école de Gilwell Park – centre de formation fondé par Baden-Powell. Il en revient avec le titre de Deputy Camp Chief et l’autorisation d’ouvrir un camp de formation scoute en France. Ainsi est créé, en 1923, le premier camp-école des Scouts de France, à Chamarande (Essonne).

Dans ce vaste domaine non loin de Paris, les scouts peuvent désormais suivre une formation de qualité. En responsable avisé, le Père Sevin envoie plusieurs chefs suivre la formation de Gilwell Park, afin de ne pas être le seul à assurer la transmission entre les scouts de France et le mouvement d’origine. Il y retourne lui-même plus tard pour suivre les cours de louvetisme de Vera Barclay. Il obtient le titre d’Akela Leader qui lui permet d’ouvrir la branche française du louvetisme et de former à son tour des louvetiers. La branche féminine n’est pas en reste : les Guides de France sont fondées en 1923 par Albertine Duhamel, sous le patronage du cardinal Dubois, archevêque de Paris.

Au cœur du camp, la chapelle

Pendant dix ans, le Père Sevin se consacre à la formation des chefs et des cheftaines. Tous ceux qui sont passés par le camp de Chamarande se souviennent avec émotion de la chapelle, construite au cœur du camp, avec la Présence réelle qui rayonnait en permanence. Ils se souviennent de la messe quotidienne que le Père Sevin célébrait avec tant de piété et d’ardeur. Un ancien décrit ainsi la vie dans le camp : « Dieu était présent à Chamarande, c’était le secret de l’atmosphère si particulière du camp. Vie confiante et heureuse au sein de la Création de Dieu – atmosphère chantante et calme – poésie et travail – sens chevaleresque du service – rappel constant de la Loi scoute – cette unité profonde dans la diversité des tâches et des activités, tout cela était l’œuvre incomparable du Père Sevin. »

Calomnié à de nombreuses reprises, le Père Sevin est accusé d’indifférentisme religieux en raison de sa proximité avec Baden-Powell, qui est anglican. Dénoncé au Saint-Office, il est convoqué au Vatican en 1925. Il se justifie aisément et repart muni de la confiance de Pie XI. Le Père Sevin sera déclaré vénérable en 2012. Sa foi et sa persévérance lui ont permis de réaliser son rêve : proposer à la jeunesse française un moyen pour accéder à la sainteté. Comme il aimait à le répéter : « Ils ne sont scouts que pour vivre en chrétiens plus parfaits. »