Le pape, la Corse et l’Espérance - France Catholique
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Le pape, la Corse et l’Espérance

Jacques Trémolet de Villers a assisté à la venue du Pape François à Ajaccio. Choses vues et entendues le 15 décembre.
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© Antoine Mekary / Godong

La Corse est une montagne dans la mer ou, pour être plus exact, une chaîne de montagnes dans la mer. Les sommets sont élevés et, en cette saison, ils ont revêtu leur blanc manteau. Les villages de montagne sont dans la neige et les villageois qui sont descendus à Ajaccio pour voir le pape ont dû pour la plupart emprunté le train, ce qui, pour ces amoureux de l’automobile, constitue un dépaysement. C’était donc une aventure qui se commentait sur les places de la ville en attendant le Saint-Père.

Comme une énumération de diplômes

Pour justifier leur présence, les Corses faisaient assaut de connaissances religieuses. On entendait comme une énumération de diplômes : « Moi je suis baptisé, j’ai fait ma communion privée, ma communion publique, ma communion solennelle, ma confirmation et j’ai 15 ans de catéchisme ». À quoi un autre répondait en brandissant la main : « Et moi j’ai le chapelet de ma grand-mère ». En revanche, ils gardaient majoritairement un grand silence sur le mariage et, quand on se hasardait à poser la question, la réponse masculine était invariablement : « Ah non ! ça, je ne peux pas ! » Il était fort étonnant de trouver plus d’hommes que de femmes pour un événement religieux, mais beaucoup d’entre elles étaient restées au village pour veiller sur les enfants et la maison.

Quand arriva la papamobile, les cris fusèrent : « Viva il Papa Francescu ». Le pape s’arrêta, bénit les enfants, descendit pour bénir les malades ou les handicapés, alla embrasser une dame qui portait une pancarte « J’ai 108 ans ». On dit que c’est la doyenne de la Corse. Il était étonnamment souriant et agile. Cette disponibilité et cette joie manifeste accroissaient la ferveur. La foule reprenait des Ave Maria, le Dio Vie Salve Regina. La Madonuccia, patronne d’Ajaccio qui avait libéré la ville de la peste, était sortie de sa maison, portée sur les épaules par quelques costauds légèrement barbus. La procession s’en est allée du palais des Congrès à la cathédrale en s’arrêtant à l’Hôtel de Ville où le maire reçut officiellement le Saint-Père.

Des milliers de fidèles

Comme il était l’heure de déjeuner, les pèlerins se répandaient dans les brasseries et les restaurants avant de rejoindre pour la messe la place d’Austerlitz, dite aussi le Casone où 10 000 places étaient retenues et la place Miot, plus loin vers les Sanguinaires, qui pouvait contenir jusqu’à 20 000 fidèles. Mais la messe était retransmise dans toutes les églises de la ville et sur toutes ses places permettant à chacun de rester là où il était. Nous étions place Miot dans un carré réservé aux personnes d’un certain âge dont le chiffre n’était pas précisé… Un service d’ordre très accueillant et très aimable nous conduisit jusqu’à des chaises bienvenues après un long chemin. Il faisait un temps radieux. Derrière l’écran, la mer et le ciel et au loin les îles sanguinaires qui s’empourprèrent au soleil couchant.

La cérémonie était commentée par le vicaire général du diocèse de Montpellier qui fit un véritable cours de catéchisme et de liturgie bien utile pour ceux, nombreux, qui ne sont que des pratiquants occasionnels. Avant d’aller rejoindre le Casone pour y présider la messe, le Saint-Père passa devant nous place Miot au milieu des cris de joie et de ferveur.

Défense des enfants et des vieillards

L’homélie du pape prononcée en italien fut évidemment comprise par toute l’assistance qui applaudit vigoureusement à la défense des « bambini » et au respect des vieillards. Le Saint-Père s’écarta plusieurs fois de son texte pour improviser un petit commentaire sur ces vieux et ces enfants qu’il affectionne particulièrement. J’ai alors pensé à la préface que Victor Hugo a donnée à son recueil de poèmes Les rayons et les ombres, dans laquelle il écrivait : « Dans ce monde où tout s’écroule [nous sommes en 1827…], le poète doit tenir ces deux colonnes de toute civilisation : le respect des vieillards et l’amour des enfants ».

Après la messe, la foule s’écoula doucement vers la place du marché. En mangeant des haricots, des crêpes, et en buvant du vin chaud, les pèlerins commentaient l’événement, fêtaient des retrouvailles familiales.

Les marchands qui avaient suivi l’événement sur leur téléphone réclamaient des récits plus précis. Dans la nuit qui était déjà tombée, l’atmosphère était à la joie et à l’amitié.

Le lendemain, un coup de fatigue m’emmenait à l’hôpital de la Miséricorde sur les hauteurs d’Ajaccio. Personnels et patients ne parlaient que de la venue du pape. Une aide-soignante me disait : « Je suis catholique et j’ai fait ma première communion mais, dans ma famille, on ne pratique pas. Hier, j’ai eu comme un regret parce que je pensais qu’en ayant été pratiquante j’aurais participé de plus près à la fête ». En entendant ce regret à la Miséricorde d’Ajaccio et en pensant à la Majesté de Notre-Dame de Paris la semaine précédente, on pouvait entendre avec certitude la mise en marche de la « petite fille Espérance ».