« Un grand malaise, c’est le sentiment qui domine après la venue du pape en Belgique. Sur les femmes et sur l’avortement, il s’est montré en décalage avec une bonne partie de la société belge, y compris de nombreux catholiques. »
Ces propos d’un média local à propos du pape et de ses déclarations sur des sujets particulièrement sensibles peuvent aussi créer un sentiment de malaise. Certes, on savait d’avance à quel point la Belgique était en décalage par rapport à la doctrine catholique, à la mesure de ses « avancées » dans le domaine des réformes dites sociétales. Il n’était donc pas étonnant que ce décalage apparaisse lors de cette visite pastorale. En dépit de sa réputation parfois progressiste, le pape n’est nullement disposé à transiger sur des questions que son prédécesseur avait déclarées « non négociables ». Ainsi le rappel du refus de l’avortement, commun à tous les papes, ne pouvait étonner.
Mettre les choses au point
Sans doute, beaucoup auraient préféré que François se fasse pour le moins discret sur les sujets qui fâchent. Mais ce n’est ni dans son tempérament ni dans la façon dont il conçoit son ministère. S’il est intervenu avec force, notamment sur les questions de la vocation de la femme et de l’avortement, c’est qu’il estimait de son devoir de successeur de Pierre de mettre les choses au point, au risque de créer un sérieux trouble dans un pays acquis à des mutations morales profondes – cf. la législation sur l’euthanasie –, et dont l’épiscopat va jusqu’à admettre qu’il convient d’accepter la société telle qu’elle est aujourd’hui.
Le nonce convoqué !
Mais voilà qui nous conduit à un conflit direct d’une autorité spirituelle avec un pouvoir politique. Dans le langage des chancelleries, on appelle cela « incident diplomatique ». C’est bien le cas, lorsque le nonce en Belgique est convoqué par le Premier ministre pour une explication. Celui-ci avait déclaré au Parlement fédéral que « l’époque où l’Église pouvait dicter les lois est révolue ». Et encore : « Je demande le respect pour les médecins qui font leur travail en âme et conscience dans les limites d’un cadre légal. Qu’un chef d’État étranger tienne ce type de propos sur des lois de notre pays est inacceptable. Nous n’avons aucune leçon à recevoir concernant le vote de lois démocratiques par les parlementaires. »
On comprend bien que, pour M. De Croo, il y a un abîme entre ses conceptions morales et celles du pape. Que le désaccord soit public, on peut l’admettre. Mais cela justifie-t-il qu’une sorte d’interdit soit opposé au pape, lorsque celui-ci entend rappeler des principes qui tiennent à la tradition la plus incontestable de son Église ? François est certes « un chef d’État étranger » en visite officielle à Bruxelles, mais il est aussi et d’abord une autorité spirituelle dont la mission dépasse largement un cadre purement politique et diplomatique. Et la position du Premier ministre belge revient à lui interdire toute liberté de parole. Ce qui pourrait s’avérer particulièrement grave. Car à cette liberté de parole sont indissociablement liées la liberté de conscience et la liberté religieuse. Somme toute, on voudrait interdire au pape d’être pape.
La leçon d’Antigone
Sans doute, ce désaccord fondamental, à propos de l’avortement n’est-il pas nouveau. Voilà plusieurs décennies déjà qu’il donne lieu à des controverses, notamment en raison du décalage entre ce qui ressort du légal et ce qui est du domaine de la conscience.
Déjà au moment de la publication de l’encyclique Evangelium vitæ de Jean-Paul II, des protestations avaient été émises de la part de ceux qui n’admettaient pas cette intrusion de l’Église, contestant la législation des pays ayant légalisé l’avortement. Mais récuser d’autorité un désaccord de fond sur une question à portée morale aussi sérieuse, c’est de fait récuser l’objection de conscience, qui est l’acquis privilégié de la civilisation. De ce point de vue, la leçon d’Antigone demeure à jamais. La voix de la conscience sera toujours supérieure à celle de Créon.