Verlaine avait raison quand il qualifiait le Moyen Âge d’« énorme et délicat ». Le XIXe siècle, qui l’a redécouvert, a surtout été sensible à l’énorme. Il faut attendre les chansonniers du XXe siècle, Léo Ferré et Georges Brassens, pour fredonner à nouveau les complaintes de Rutebeuf (1245-1285) ou les nostalgiques ballades de François Villon (1431-1463). Que sont mes amis devenus Que j’avais de si près tenus Et tant aimés Ils ont été trop clairsemés Je crois le vent les a ôtés L’amour est morte Ce sont amis que vent emporte Et il ventait devant ma porte Les emporta. Complainte de Rutebeuf.
Dites-moi où, dans quel pays Est Flora la belle Romaine […] Et Jeanne la bonne Lorraine Qu’Anglais brûlèrent à Rouen ? Où sont-ils, Vierge souveraine ? Mais où sont les neiges d’antan ? Ballade des dames du temps jadis, François Villon.
Au XVIe siècle, les poètes de la Pléiade se moqueront de leurs anciens mais c’est chez eux qu’ils ont trouvé ces formes poétiques qu’ils reprendront : la ballade, le rondeau.
Concours de poésie
En ce temps-là, tout le monde rimait : le docte et cicéronien Alain Chartier, poète et diplomate à la cour de Charles VII, la très aristocratique veuve Christine de Pisan – « Seulette suis et seulette veux être » –, le prince Charles d’Orléans (1394-1465) et le truand François Villon. Où ? Dans quel pays ? En quel temps a-t-on vu concourir en poésie un duc, fils de roi, cousin du roi et père de roi, Charles Ier d’Orléans, et un repris de justice qui, « povre et de petite extrace », échappa de peu à la pendaison ? François Villon emporta le prix de ce jeu improvisé sur cette mélancolique antithèse : « Je meurs de soif auprès de la fontaine. »
La vie de François Villon fut aussi chaotique que celle de Charles d’Orléans, qui resta vingt-cinq ans prisonnier en Angleterre après la défaite d’Azincourt. Mais, chez les deux, le prince et le truand, on trouve, avec l’amour de la poésie, la confiance inébranlable dans la miséricorde divine par la médiation de Marie et l’affection tout aussi inébranlable pour le « doux royaume de France ». Villon, devant la peine capitale, fait parler les pendus : « Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre » et, au milieu des trivialités de son testament, compose une prière à Notre-Dame pour sa mère (lire encadré).
Tel fut, en cet apogée de l’histoire du « Moyen Âge, énorme et délicat », le très poétique et très catholique royaume de France.