Le martyre chrétien, vérité ou névrose ? - France Catholique
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Le martyre des carmélites
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Le martyre chrétien, vérité ou névrose ?

Les martyrs, dont on a loué la force et la constance pendant des siècles, sont aujourd’hui incompris. L’abbé Paul Roy, de la Fraternité sacerdotale Saint-Pierre, rétablit leur gloire en rappelant le sens de leur sacrifice.
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Martyrs chrétiens entrant à l’amphithéâtre, 1852, Léon Benouville,.

© Julian Kumar / Godong

Le temps semble lointain où les fidèles se rassemblaient dans les catacombes pour célébrer les mystères sacrés sur les corps des martyrs, où la petite Thérèse de Ahumada, 7 ans à peine, quittait Avila, brûlant du désir de recevoir le martyre en terre mauresque.

Les martyrs n’ont jamais été aussi nombreux qu’au XXe siècle, et pourtant, ils sont aujourd’hui cachés, et leur acte incompris. Contre Pascal qui affirmait ne croire « que les histoires dont les témoins se feraient égorger », Nietzsche soutient que le martyre n’a aucun rapport avec la vérité. Au contraire, pour lui, le martyr n’attesterait par son acte que sa fermeture d’esprit. Le « maître du soupçon » – l’expression est de Paul Ricœur – reproche surtout à saint Paul d’avoir infléchi le message de Jésus dans un sens doloriste. L’Apôtre, qui n’est autre selon lui que le véritable fondateur du christianisme, aurait projeté ses propres névroses et son obsession du péché et de la souffrance sur son héros. L’homme de Tarse aurait ainsi entrepris de les transférer au monde entier, en une gigantesque vengeance des faibles sur les forts.

On retrouve cette approche chez Michel Onfray, qui reprend à son compte la critique nietzschéenne et prétend la renouveler : vouant Paul aux gémonies, il lui adjoint saint Augustin, qui acheva selon lui de transformer l’Occident en « un immense pleuroir ». Sa réflexion rejoint la critique psychanalytique du martyre, qui s’inscrit dans le cadre du rejet généralisé du sacrifice, hors de l’Église et parfois jusqu’en son sein. Le don de sa vie serait ainsi l’expression extatique d’un fantasme sacrificiel. Dans la mentalité de nos contemporains, les martyrs des temps anciens subissent un nouveau massacre…

Le martyre dans la Révélation chrétienne

Ces incompréhensions illustrent le mépris de la réflexion millénaire de l’Église sur le martyre. Loin d’être un aliéné, le martyr est l’homme libre par excellence. La liturgie le célèbre fréquemment par des lectures du Livre de la Sagesse : est-ce un hasard si cette œuvre – étonnamment moderne – oppose justement l’incrédulité des matérialistes de l’époque à la sagesse de ces justes, qui paraissaient être morts mais qui sont dans la paix, qui subissent un châtiment devant les hommes mais dont l’espérance est pleine d’immortalité (Sg 3) ?

Cette réflexion autour du sens de la souffrance du juste, menée au long de l’Ancien Testament à travers les figures de Joseph, de Job, de David, sembla s’accélérer dans les siècles précédant immédiatement la venue du Christ, avec la révolte et le martyre des Maccabées. C’est cependant seulement la parole et les actions du Christ qui illumineront le mystère de la souffrance et qui en feront l’une des plus insondables richesses du message chrétien. Fort de cette longue tradition, saint Paul n’est pas un névrosé, ni un jaloux : il « surabonde de joie » (2 Co 7, 4) car il accomplit dans sa chair « ce qui reste à souffrir à Jésus-Christ, en souffrant pour son corps, qui est l’Église » (Col 1, 24). Lorsque l’Apôtre accumule les persécutions, rapporte ses tribulations et se glorifie de ses faiblesses, ce n’est pas morbidité mais joie profonde, car il a profondément compris ce que l’orgueil des modernes les empêche de voir : « La puissance de Dieu se déploie dans la fragilité » (2 Co 12, 9).

Entre douleur et joie, le sens du sacrifice

Saint Thomas d’Aquin décompose le mécanisme de la douleur : elle est une passion, c’est-à-dire la réaction de notre être – corps et esprit – affecté par un événement désagréable. Ainsi la souffrance physique, expérience pour ainsi dire animale, commune aux êtres doués de sensation, ne peut être connue par les purs esprits – anges et démons. Quant à ceux qui sont dénués d’intelligence et de liberté – animaux, brutes –, ils ne peuvent que la subir. Pour les hommes en revanche, à la fois sensibles et spirituels, la douleur physique ou morale acceptée et offerte peut recevoir un sens. Elle incline d’abord à fuir le mal présent. Mais surtout, elle nous confronte à notre finitude, et par-delà, nous oriente vers celui qui peut nous combler au-delà de nos manques. La vie et la mort du Christ donnent au martyre son sens véritable : offrant à son Père sa propre vie en unique sacrifice acceptable, il nous permet de nous inclure dans cette oblation de lui-même pour devenir à son image un « sacrifice d’agréable odeur ».

La joie de la vérité

Le martyre est pour saint Thomas l’acte principal de la vertu de force – constance face au plus grand des dangers. Plus largement, toutes les vertus chrétiennes, jusqu’à la charité manifestée dans cet acte d’amour suprême, peuvent être causes du martyre. Mais le docteur ajoute qu’une cause profonde du martyre est la foi : en grec, le « martyr » est un témoin. Le martyre s’enracine dans la fidélité indéfectible à la vérité, qui fait sourdre dans l’âme une joie profonde.

De la douleur peut donc naître la joie : « Ceux qui sèment dans les larmes moissonneront dans l’exultation » (Ps 126, 5). Cette joie paradoxale du martyre chrétien est celle qui transparaît dans les écrits de saint Paul, une joie de la vérité : car la charité « trouve sa joie dans ce qui est vrai » (1 Co 13, 6).

Notre réflexion permet d’éclairer le rejet contemporain de toute forme de sacrifice : le relativisme qui triomphe peut-il encore accepter l’insoutenable provocation du martyre ? Comment donner sa vie pour la vérité aurait-il un sens dans un monde où il n’y a plus de vérité ?

Retrouvez cette chronique sur sur claves.org, le site de formation chrétienne de la Fraternité Saint-Pierre.