Le Liban occupe une place importante dans la Bible. Déjà Moïse l’envisageait comme une partie de la Terre promise lorsqu’il implorait Dieu de lui permettre d’y accéder : « Daigne donc me laisser passer, pour que je voie ce bon pays qui est au-delà du Jourdain, cette bonne montagne, et le Liban » (Dt 3, 25). Il n’y parviendra pas mais le Christ en personne s’est rendu à Tyr et à Sidon, région méridionale du territoire que l’on appelait alors la Phénicie. Il y accomplit la guérison miraculeuse de la fille d’une Cananéenne païenne, à qui il rendit grâce pour sa foi (Mt 15, 21-28).
Les Libanais d’aujourd’hui n’ont pas oublié cet épisode, comme en témoigne la vitalité du sanctuaire Notre-Dame de l’Attente, situé à Maghdouché. Dominant Saïda – nom arabe de Sidon –, la basilique actuelle voisine avec les restes de la tour construite au IVe siècle par l’empereur romain Constantin près d’une grotte où, selon la tradition, la Vierge Marie attendait son Fils lors de ses visites pastorales sur le littoral.
Évangélisé à partir de l’an 36
Jésus lui-même y sema ainsi les germes de l’Église, qui devait par la suite s’enraciner dans ce pays renommé pour ses cèdres et dont le bois, offert à Salomon par le roi Hiram de Tyr, avait servi à la construction du Temple de Jérusalem. L’évangélisation organisée commença vers l’an 36, selon les Actes des Apôtres qui s’attardent notamment sur les visites de saint Paul à Tyr et Sidon. Au IVe siècle, la conversion de Constantin et son édit de Milan proclamant la liberté de la foi chrétienne (313) entraînèrent la progression rapide du christianisme et l’effondrement du paganisme.
Héritière de cet âge apostolique, la chrétienté libanaise s’est déployée sous une forme composite qui s’est constituée au fil des siècles au rythme des aléas géopolitiques – rivalités entre empires – et religieux – hérésies christologiques, malentendus linguistiques, ralliements à Rome – ayant marqué l’histoire du Proche-Orient. Servie par sa géographie aux sommets élevés, aux gorges profondes et aux terres fertiles, dotée de ports sur la Méditerranée, l’attachement atavique de ses habitants à la liberté de pensée et ses liens étroits avec l’Europe, la vocation du Liban s’est vite imposée comme celle d’un « pays-refuge », accueillant au fil des siècles des chrétiens de diverses confessions. Ainsi, au début du XXe siècle, les Arméniens rescapés du génocide turc ont été reçus généreusement au pays du Cèdre où ils conservent leur culture. Le territoire a aussi intégré des adeptes de religions non chrétiennes, des chiites, des sunnites, des druzes, des juifs, puis des alaouites. Aujourd’hui, sur les dix-huit communautés confessionnelles reconnues officiellement par l’État, douze relèvent du christianisme.
La place éminente des maronites
Au sein de cette mosaïque, l’Église maronite, dont la culture syriaque et la foi catholique s’affermirent au prix de nombreuses épreuves, occupe une place éminente, en raison de son rôle pionnier dans l’avènement du Liban actuel. La devise de son patriarcat, « La gloire du Liban lui a été donnée », tirée du livre du prophète Isaïe (35, 2), exprime le lien privilégié de cette communauté avec le pays du Cèdre où elle est majoritaire parmi les chrétiens. Ayant résisté aux déchirements entraînés par les hérésies des débuts du christianisme, les maronites élirent en 685 leur premier patriarche, saint Jean-Maron, évêque de Batroun, où il accueillit une partie de ses fidèles fuyant l’hégémonie de Byzance. Ils furent rejoints, au IXe siècle, par leurs coreligionnaires persécutés par les musulmans sous le califat abbasside de Mamoun (813-833).
Par sa configuration naturelle très protectrice, la vallée de la Qadicha – la Sainte en syriaque – exerça un attrait particulier pour les maronites. En 1440, le patriarche Jean El-Jajji, menacé par les Mamelouks, se réfugia au monastère Notre-Dame de Qannoubine qui resta siège patriarcal jusqu’à 1823, date de son transfert à Bkerké, au-dessus de Jounieh. Loin de s’isoler du monde, les dix-sept patriarches qui résidèrent en ce lieu assurèrent à leur Église un rayonnement exceptionnel.
La tragédie des grands massacres des maronites et autres chrétiens par les druzes et les musulmans en 1860 (voir p. 12 à 14) se solda par une reconnaissance d’autonomie du Mont-Liban sous protection des nations européennes (Règlement organique de 1864), prélude à la création, en 1920, de l’État du Grand-Liban dans ses frontières et sa configuration confessionnelle actuelles. Elias Hoayek, patriarche maronite de 1899 à 1931, dont le procès en béatification est en cours, joua un rôle décisif dans cet événement.
Face à la déstabilisation croissante du Liban, l’actuel patriarche, Béchara Boutros Raï, dans la ligne du rôle historique de son Église, s’autorise aujourd’hui à réclamer un statut de neutralité reconnu internationalement. Le 7 août 2020, soit cent ans après l’indépendance du pays, il a signé un mémorandum, remis au pape François et envoyé à l’ONU, exposant l’utilité d’un tel statut qui le protégerait des ingérences étrangères sans pour autant le laisser indifférent aux problèmes régionaux. Aucune suite ne lui a encore été donnée.