C’est dans un style disparu depuis bien longtemps que les officiers d’état-civil de l’arrondissement de Saint-Affrique (Aveyron) ont consigné dans les registres officiels la naissance d’un enfant de sexe masculin, qu’est venue leur annoncer Mathieu de Curières de Castelnau, avocat âgé de 33 ans. C’est le 24 décembre 1851 que s’est déroulé l’heureux événement, à 9 heures, « dans sa maison située rue basse de la Grave ». L’enfant est de lui « et de dame Marie, Antonine, Léonie Barthe ».
De profondes convictions
Au regard de sa date de naissance, c’est tout naturellement qu’il reçoit les prénoms de Noël, Joseph, Marie, Édouard. Si c’est le dernier qui sera utilisé dans la vie courante, on ne peut s’empêcher de penser que les trois premiers ont contribué à forger la foi du dernier rejeton d’une vieille lignée aristocratique, catholique et désargentée.
Après un passage par le collège Saint-Gabriel tenu par les jésuites à Saint-Affrique, conclu par l’obtention d’un baccalauréat ès sciences, Édouard de Castelnau prépare Saint-Cyr, d’où il sort lieutenant en 1870 pour recevoir son baptême du feu face aux Prussiens. Avec l’armée de la Loire avec laquelle il retraite, il subit le terrible hiver 1870-1871, non sans livrer plusieurs batailles presque désespérées. Jusqu’à la Première Guerre mondiale, il enchaînera ensuite des affectations et des commandements classiques, dans l’infanterie métropolitaine ou en état-major. Pour autant, déjà, Castelnau ne va pas manquer d’afficher ses convictions profondes, ce qui lui vaut bien des ennemis.
Le pamphlétaire Urbain Gohier l’accuse de descendre d’un officier de l’armée des Émigrés, ce qui bloque sa carrière durant deux ans. Nommé au ministère de la Guerre en 1900, le général André – celui-là qui tombera quatre ans plus tard lors de l’affaire des Fiches – le chasse du Premier Bureau de l’état-major. Même s’il reçoit le soutien du général Delanne, le chef d’état-major, Castelnau ne se fait plus aucune illusion sur ses chances de décrocher un jour les étoiles de général. On le voit alors organiser des parades consacrées à l’histoire des armées dans lesquelles il fait défiler tant des hommes en tenue d’Ancien Régime, que des hommes en tenue républicaine. Et, bien sûr, il ne se cache pas d’assister à la messe dominicale. Et quand une urgence impose de le solliciter le jour du Seigneur, il ne cache pas sa contrariété. « Le dimanche, c’est culte ! », s’emporte-t-il, avec son caractère vif, tranché, parfois cassant, comme le rapportera dans ses mémoires le général Léon Zeller qui sert de nombreuses années sous ses ordres (Souvenirs sur le maréchal Foch et le général de Castelnau, Economica, 2020).
C’est pourtant un homme réputé proche des loges, Paul Doumer, président du Conseil, qui va œuvrer pour que Castelnau soit enfin reconnu à sa juste valeur. En 1906, c’est chose faite. Il est nommé général de brigade et, trois ans plus tard, général de division avec le soutien du général Joffre. Face à la menace croissante d’une guerre, il ne cesse de plaider pour l’allongement du service militaire à trois ans, ce qui va déclencher de vifs débats politiques au cours desquels Clemenceau lui attribue méchamment un surnom qui lui restera : le « capucin botté ».
Héros de la Grande Guerre
Que faut-il retenir du parcours du général de Castelnau durant la Première Guerre mondiale ? Sa résistance remarquable dans le secteur de Nancy en 1914 qui va priver les Allemands de forces précieuses lors de la bataille de la Marne ; son rôle clé lors de l’offensive de Champagne en 1915 ; son intervention capitale dans la défense du secteur de Verdun en 1916, une mission de liaison militaire en Russie, suivie d’un commandement dans les Vosges en 1917. S’il participe aux grandes festivités de la victoire, Castelnau n’accédera pas au maréchalat, qu’il méritait certainement, d’où un autre de ses surnoms : « le maréchal oublié ». Mais était-ce vraiment sa préoccupation majeure aux heures de liesse ? Avec son épouse Marie, Édouard de Castelnau doit pleurer trois de ses fils, Xavier, Gérald et Hugues, tombés en 1914 et 1915. Une citation datant du 8 octobre 1915 témoigne néanmoins de sa dignité dans la douleur : « Bien qu’atteint très cruellement dans ses plus chères affections, a conservé la plus mâle énergie et une foi inébranlable dans le succès. A gagné la confiance de ses subordonnés par la justesse et le sens pratique de ses conceptions. Vient de s’acquérir des droits imprescriptibles à la reconnaissance du pays. »
Gardien de la foi
Si le général de Castelnau est maintenu dans l’armée d’active à l’issue de la guerre, il choisit de servir son pays différemment. En 1919, tout en prenant la présidence de la Commission nationale des sépultures militaires, il se lance dans l’arène politique et rejoint la « Chambre bleu horizon » dans les rangs du Bloc national, en tant que député de l’Aveyron. Après son échec lors des élections de 1924, il voit avec inquiétude le vieil anticléricalisme revenir dans les bagages du Cartel des gauches, balayant l’éphémère Union sacrée.
Devant quitter le champ de bataille parlementaire, il monte alors une arme puissante pour faire barrage aux laïcistes : la Fédération nationale catholique (FNC) qui regroupe d’influentes associations comme l’Association catholique de la jeunesse française (ACJF) ou la Ligue des droits du religieux combattant (DRAC), et se veut une organisation de masse – elle aurait culminé à 2 millions de membres –, s’appuyant sur le maillage paroissial, portant la riposte partout, montant des manifestations de plusieurs dizaines de milliers de personnes, et s’appuyant sur un média privilégié : La France Catholique. Ses cibles récurrentes ? Le communisme et la franc-maçonnerie. Aucune place en revanche pour le racisme et l’antisémitisme, régulièrement dénoncés dans les années 1930 dans le mensuel Credo, autre organe notable du mouvement.
Le ressort qui anime la FNC n’est pas le renversement du régime mais la protection et la promotion du catholicisme. Aussi le général de Castelnau ne soutiendra-t-il pas les émeutiers du 6 février 1934, tout comme il avait approuvé plus tôt la condamnation de l’Action française par Pie XI, en 1926. On le verra aussi prendre des positions favorables à certaines lois sociales du Front populaire. Après la défaite de 1940, il prend ses distances avec le régime de Vichy puis deviendra de plus en plus critique, au point d’être considéré des leurs par les résistants locaux. Devenu très âgé, le vieux soldat finit par s’éteindre au château de Lasserre, à Montastruc-la-Conseillère, le 19 mars 1944, sans avoir vu sa patrie libérée, mais fidèle à la devise de sa famille : Semper post gloriam currens – « Toujours courant après la gloire ».